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Réélection de Recep Tayyip Erdogan à la présidence de la Turquie

Une victoire aussi pour Rabat?


Le président turc s’est assuré, le 28 mai 2023, un troisième mandat à la tête de son pays. Pour le Maroc, il y a peut-être de quoi s’en tirer à bon compte.

L’alliance d’une grande partie des forces de l’opposition à son encontre n’y aura rien fait. Pour la deuxième fois consécutive, Recep Tayyip Erdogan a été réélu, ce 28 mai 2023, à la présidence de la Turquie. Au total, 52,18% des 54.023.616 d’électeurs qui sont allés aux urnes ont choisi son nom. Ils l’ont fait au détriment du président général du Parti républicain du peuple (CHP), Kemal Kiliçdaroglu. Depuis la tenue du premier tour de l’élection le 14 mai 2023, ce dernier a, certes, réussi à obtenir 909.374 voix de plus. C’est plus que les 700.843 sur lesquels M. Erdogan a, pendant ce temps, mis le grappin. Mais cela n’aura donc pas suffi pour lui permettre de mettre fin à un pouvoir qui, si l’on inclut le mandat de premier ministre du chef du Parti de la justice et du développement (AKP), dure depuis mars 2003 déjà.

Méthodes fort contestables
La faute, sans doute, à une campagne pas si bien négociée. Alors qu’il se plaisait à se présenter comme un candidat éclairé, porteur du flambeau du kémalisme et de ses idéaux laïques face à l’obscurantisme présumé de M. Erdogan, M. Kiliçdaroglu a fini par céder, au fur et à mesure, au populisme. A l’orée du second tour, il a notamment adopté le discours très à droite des ultranationalistes turcs à l’égard des réfugiés syriens, appelant ouvertement à les chasser du pays. En contrepartie, M. Erdogan avait défendu la politique d’accueil que le gouvernement qu’il dirigeait à l’époque avait adoptée dès après le début de la guerre civile en Syrie. Il n’en a pas moins lui aussi eu recours à des méthodes fort contestables pour rafler la mise. Ses adversaires en ont notamment régulièrement pris pour leur grade, tantôt assimilés aux séparatistes kurdes, tantôt accusés de promouvoir le LGBTisme. Et somme toute, M. Erdogan aurait très bien pu payer son bilan économique en demi-teinte -l’inflation atteint à titre d’exemple, en glissement annuel, 44%, et seuls le Venezuela, le Zimbabwe et l’Argentine font pire- ainsi qu’une gestion généralement perçue comme ayant été loin d’être exemplaire du tremblement de terre qui avait touché différentes régions du pays le 6 février 2023 et fait plus de 50.000 morts.

Dans la perspective des municipales qui sont prévues en 2024, il devra, quoiqu’il en soit, se remettre d’aplomb, et il a d’ailleurs, dans ce sens, d’ores et déjà fait part de son intention de reprendre Istanbul des mains du CHP, qui, depuis le dernier scrutin de mars 2019, contrôle l’ancienne capitale ottomane en la personne d’Ekrem Imamoglu -M. Erdogan avait, pour rappel, lui-même été maire de la ville, dont il est natif, de mars 1994 à novembre 1998. En tout cas, le fait que M. Erdogan soit parvenu à garder les commandes devrait, du point de vue particulier du Maroc, être plutôt bien perçu, dans la mesure où il donne au moins un peu plus de visibilité aux relations maroco-turques pour les cinq prochaines années. À cet égard, le roi Mohammed VI n’a pas manqué d’adresser, au lendemain de l’officialisation des résultats par la commission électorale suprême turque, un message de “chaleureuses félicitations” à son homologue, “exprimant sa grande satisfaction du haut niveau des relations de coopération fructueuse unissant les deux pays”, selon ce qu’a rapporté l’agence Maghreb arabe presse (MAP). “Le Souverain fait part de sa détermination à continuer à oeuvrer avec le président turc pour le renforcement de ces relations distinguées à même de répondre aux aspirations des deux peuples frères et contribuer à la consolidation des liens de solidarité entre les peuples de la oumma islamique,” a poursuivi la même source.

Influence commerciale
Il faut dire qu’il y a eu, au cours de la dernière année surtout, une nette éclaircie dans le ciel bilatéral, marqué notamment par un soutien on ne peut plus affirmé à l’intégrité territoriale du Maroc: présent en mai 2022 à Marrakech à la réunion ministérielle de la coalition contre Daech, le ministre des Affaires étrangères turc, Mevlut Cavusoglu, avait pris l’initiative de “réitérer la position de principe de la Turquie en faveur de l’intégrité territoriale et la souveraineté des pays, et réaffirmer le soutien de la Turquie à la souveraineté et à l’intégrité territoriale du Maroc frère”; ce qui, quand on connaît le contexte marocain et plus précisément celui du différend autour de la région du Sahara, ne peut, pour le moins, souffrir aucun équivoque. Quelques mois plus tard, l’ambassadeur de Turquie à Rabat, Omer Faruk Dogan, se fera d’ailleurs autrement explicite et, dans ces mêmes colonnes, dira justement de ce à quoi sont en proie les provinces du Sud “qu’il s’agit d’un conflit purement artificiel qui profite à des tierces parties dont l’objectif est de freiner le développement de la région, y compris celui du Maroc”.

Il fera aussi, en outre, le parallèle avec la situation dans le Kurdistan turc (lire n°1460, du 4 au 10 novembre 2022). Sous la pression vraisemblable de l’Algérie, M. Dogan a, depuis, été rappelé, mais il ne faut pas pour autant conclure qu’il a été désavoué, sinon c’est illico qu’une décision aurait été prise à son égard: également présente dans la voisine de l’Est, dont il faut rappeler qu’elle a pendant plus de trois cents ans été une province, Ankara se doit, dans une certaine mesure, de ménager le chou et la chèvre. Mais d’un point de vue concret, son intérêt semble davantage se trouver au Maroc; du fait de l’accord de libre-échange (ALE) en vigueur depuis janvier 2006, ce dernier fait, en effet, figure de hub tout indiqué en vue d’étendre son influence commerciale en Afrique.

À ce propos, il était sans doute intéressant de relever qu’en 2022, le Maroc avait été, seulement derrière l’Égypte, le deuxième pays africain à réceptionner le plus de produits turcs, à raison de 3 milliards de dollars d’exportation. Certes, l’objectif est surtout que les hommes d’affaires turcs investissent davantage dans le pays, étant donné tant donné que les enveloppes alloués demeurent, eu égard à l’ALE, en deçà du niveau où ils devraient normalement se placer; tellement que le Maroc avait appelé et obtenu de renégocier l’accord en 2019-2020. Mais il y a vraisemblablement de quoi bâtir des liens plus solides, à l’aune peut-être de celles que M. Erdogan semble donc avoir noué avec son peuple...

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