“Le féminisme est un cancer qui menace la société”. C’est avec ces propos pour le moins polémiques et alarmiste qu’est accueilli tout curieux internaute qui jette un coup d’oeil sur le groupe “Red Pill Maroc” sur Facebook. Réunissant pas moins de 85 000 membres, ledit groupe, créé en décembre 2022, fait partie des nombreux rassemblements sur les réseaux sociaux où les adeptes marocains du mouvement dit Red Pill -qui se comptent par dizaines de milliers et dont le nombre semble augmenter rapidement au fil du temps- trouvent un espace propice pour débattre et exprimer leurs visions sur le féminisme, le rapport homme-femme et les valeurs dans la société. “Il y a de tout: des très jeunes étudiants ou actifs, mais aussi des adolescents lycéens ou encore des cadres dans la quarantaine. Mais la majorité ont plus ou moins un point commun: ils ont avalé la pilule rouge ou ils sont sur la bonne voie pour y arriver”, nous explique Ilyas, un membre très actif de ce groupe.
Mouvement misogyne?
Red Pill en anglais, ou pilule rouge en français, fait référence à une scène iconique du très célèbre film de science-fiction “The Matrix” où l’on voit le héros, Néo, faire face à l’obligation de choisir entre deux options: avaler la pilule bleue qui le maintiendra dans l’illusion confortable dans laquelle il a toujours vécu, ou la pilule rouge qui lui ouvrira les yeux sur la dure réalité. Vous l’aurez donc compris: le mouvement Red Pill, dont les origines remontent au début des années 2010 dans les forums en ligne de l’extrême droite américaine, se fixe comme mission de “réveiller” les hommes et les sensibiliser contre une supposée “hégémonie” des idées féministes sur la société à travers les lois ou encore les médias.
“La masculinité est menacée. Les discours selon lesquels la femme et l’homme sont égaux se sont propagés d’une manière dangereuse. Non, l’homme n’est pas la femme et ils ne sont pas égaux. C’est là où le mouvement Red Pill intervient pour rectifier les choses”, nous confie Issam, quadragénaire administrateur dans le groupe Red Pill Maroc. Et d’ajouter “la femme est un être maléfique si les conditions sont réunis comme l’explique bien loi de Briffault: dans toute relation entre leux deux sexes, dès que l’homme ne parvient plus à apporter de la valeur à la femelle, celle-ci mettra fin à la relation et t’écrasera, t’abandonnera”.
Confronté à la question si ce mouvement était motivé par la haine de la femme, notre interlocuteur nie catégoriquement. “On ne déteste pas la femme, on déteste le féminisme”. Une “nuance” qui ne passe pas auprès de beaucoup, notamment des défenseurs des droits de femmes, au vu du langage misogyne hostile voire violent de certains adeptes du mouvement. Pour Soufiane Hennani, activiste pour la masculinité dite “positive”, le mouvement Red Pill s’apparente à une “tumeur qui a profité d’un vide causé par le manque d’éducation sur l’égalité pour se développer auprès des jeunes.”
Quoi qu’il en soit, le mouvement ne cesse de gagner en notoriété, particulièrement depuis que ces adeptes ont lancé sur les réseaux sociaux leur fameuse campagne pour appeler les hommes à ne plus épouser les femmes actives. Un sujet qui anime depuis maintenant deux ans les débats sur la toile. “Épouser une femme qui travaille est un enfer pour l’homme car ça ne lui apportera que du mal. Qui prendra soin du foyer et des enfants?”, nous dit Ayoub, 23 ans, blogueur activiste Red Pill. “Mais je tiens à préciser qu’on n’est pas contre l’institution de mariage, car sans procréation l’humanité disparaîtra”, tempère-t-il tout en rigolant. Mais si les masculinistes sont unis par leur “lutte” contre la misandrie et le féminisme dans la société moderne -et leur “haine viscérale” contre les femmes d’après leurs détracteurs- ils divergent sur certains points. C’est le cas par exemple des MGTOW, acronyme de Men Going Their Own Way (Hommes suivant leur propre chemin, en français), qui vont encore plus loin et refusent de s’engager dans toute forme de relations homme-femme, y compris le mariage.
“Ne pas épouser la femme active”
En réaction à ces communautés masculinistes et à leur activisme montant, un autre mouvement est apparu: les Pink Pill, ou pilule rose en français. Initié depuis un peu plus de deux par des jeunes femmes au Maroc, ce mouvement local s’exprime aussi via internet et les réseaux sociaux et commence à se faire des adeptes. “On avait marre de se faire attaquer avec toute cette virulence sans rien faire”, nous raconte Oumaima, 27 ans, une administratrice dans l’un des groupes Pink Pill qui compte pas moins de 25 000 membres. “Ces hommes se cachent derrière un semblant de discours scientifique et brandissent des recherches et des études pour justifier leur haine contre les femmes et c’est très dangereux car ça donne une fausse crédibilité à ce qu’ils disent et font. Ça rend la tâche difficile un peu pour nous mais c’est un travail nécessaire”, poursuit-elle. Seulement, beaucoup d’internautes reprochent à ces Pink Pill de reproduire les mêmes pratiques des masculinistes qu’elles prétendent combattre, en encourageant le discours violent entre les deux sexes et les raccourcis dangereux.