#Reconstruire_après_la_tragédie : Le témoignage de Salima Naji (épisode 3)


Salima Naji est architecte et anthropologue. Joint par Maroc Hebdo, elle a partagé avec nous la réflexion suivante quant au chantier de reconstruction sur lequel s'est lancé le Maroc suite au séisme du 8 septembre 2023:

"Cette question de la reconstruction est naturellement centrale. Et tout le monde essaie d’apporter sa pierre. Mais je pense qu’à ce stade, on doit être guidé par de grands principes et du bon sens. Parce que c’est la masse de choses à faire qui pose des défis extrêmement difficiles, surtout que les gens aiment les solutions toutes faites: “Il n'y a qu’à”, ou les choses en kit, alors qu’il y a une nécessité de réflexion. Il faut penser au cas par cas, penser la complexité des relations et la complexité des échelles.

"Ce qui est le plus déstabilisant encore pour les analyses, c’est que l’état des lieux est hétérogène, c’est-à-dire qu’il y a des lieux très fatigués, mais qui sont debout, il y a des lieux qui sont complètement effondrés, il y a des gravats partout. Et dans ce chaos, il faut s'attacher à chercher ce qui a tenu et le consolider dans un premier temps tout en étudiant ce qui n'a pas tenu. Pourquoi cela s'est disloqué, comment c'est tombé.

"On peut aussi classer deux catégories: tout ce qui a été construit en écoconstruction, on peut toujours le réutiliser et on doit le réutiliser, notamment le bois qui est très précieux dans ces régions. Et puis, il y a les gravats de ciment et d’acier, et ceux-là sont très difficiles, parce que non-biodégradables et leurs déchets incompressibles. C'est de l'architecture jetable.

"Donc on a ces échelles de lieux: des bourgs, des petits hameaux, des fermes esseulées, des bergeries… L'échelle est extrêmement vaste dans une situation de haute montagne avec des problématiques de vallées encaissées, de glissement de terrain, d’éboulement et d’éboulis. Donc c’est très compliqué d’arriver avec un plan d’action comme pour les villes. On ne peut pas.

"L'un des grands principes de cette reconstruction est de ne pas enlever aux gens leurs moyens de subsistance. L'élan de solidarité est magnifique. Tous les fonds ne doivent aller qu'aux personnes. Parce que là, on parle d’habitat, c’est évidemment la priorité. Mais en parallèle, il y aura par exemple tout ce qui concerne le bétail, tout ce qui a trait à la gestion de l’eau, aux infrastructures, aux écoles, etc. Tout ceci est coûteux alors l'approche doit être réfléchie, ne pas gaspiller les matériaux, partir des personnes sur place, remonter tout ce qui peut l'être, ne pas raser sans réflexion préalable les architectures vernaculaires...

"La qualité des lieux et leur complexité doivent être préservées en même temps qu’on s'occupera des personnes. Il faut ne rien perdre sur une région où il y a une implantation humaine depuis des millénaires. C’est-à-dire que tous les paysages sont des paysages construits, tout l’habitat, même s’il a été extrêmement éprouvé par ce tremblement de terre, reste un habitat adapté. Ainsi, si l’on veut apporter un plus, on ne doit pas faire comme s’il n'y avait pas avant nous ce legs patrimonial. On doit composer avec les spécificités de cette région, cela a été dit en haut lieu. Donc "Hamdoulah", je crois que c’est un acquis."

La restauration d’Agadir Oufella, un modèle 

"Il faut aussi rassurer par des exemples fiables comme la réhabilitation d’Agadir Oufella effectuée en 2020 et 2022.

"La plateforme d’accueil de la kasbah d’Agadir Oufella, est semi-enfouie et construite en bois et en pierre sèche de l’Atlas. Aussi, on n'a pas utilisé de liant, les murs font une épaisseur de 80 centimètres et les techniques s'inspirent de l’architecture traditionnelle qu’on retrouve dans la vallée d’Ait Bouguemez et Megdaz.

"Parce que je connais par cœur cette architecture que j'ai relevée des années durant, j’ai été très étonnée de retrouver la même technique au Népal, en Himalaya indien ou encore au Pakistan. Ce sont des méthodes qu'utilise la Croix-Rouge suisse avec les populations locales dans les villages esseulés ou inaccessibles pour construire en parasismique. Ainsi, lorsqu’il y a un séisme, la structure en pierre va bouger sans se disloquer, le bois va constituer une ceinture, un chaînage intérieur dans le mur et l’habitation ne va pas tomber sur les personnes."

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