Récit d'un feuilleton inédit

Fuite de passagers marocains du vol Air Arabia dérouté en Espagne

La rocambolesque fuite de vingt-quatre Marocains du vol de la compagnie Air Arabia, qui a été dérouté à l’aéroport de Palma de Majorque suite à une supposée urgence médicale, alimente les débats et suscite des interrogations. Retour sur un scénario hollywoodien.

Aéroport Mohammed V de Casablanca, vendredi 5 novembre 2021. L’hiver pointe le bout du nez. Un froid de canard souffle sur les lieux. Les nombreux passagers du vol Air Arabia à destination d’Istanbul s’apprêtent à embarquer à bord de l’Airbus A320. 18h, top départ. L’aéronef quitte le tarmac et disparaît dans les nuages plusieurs minutes plus tard. Après une heure de vol, panique à bord. L’équipage signale au commandant une urgence médicale.

Un des passagers dit souffrir de coma diabétique. Problème dans les airs, retour sur terre. L’avion atterrit en urgence à l’aéroport espagnol Son Sant Joan de Palma de Majorque, dans les Îles Baléares. Pas de temps à perdre. L’heure semble grave.

Une ambulance dépêchée sur le tarmac installe une échelle pour récupérer le «malade». Direction, l’hôpital Son Llatzer, situé à 4 km. Profitant de cette évacuation et de l’inattention du personnel navigant, vingt-quatre Marocains s’enfuient, se promènent tranquillement avant d’enjamber la clôture qui entoure l’aérodrome. Les autorités aéroportuaires n’en reviennent pas. 20h30, fermeture de l’aéroport. Une quarantaine de vols sont affectés.

Treize vols qui devaient arriver à Majorque sont déviés vers Barcelone (5), Ibiza (4), Minorque (2), Madrid (1) et Valence (1). Seize sont contraints de retarder leur décollage. La police entre en jeu. Des patrouilles sont menées dans les alentours pour attraper les fugitifs. Cloîtrés dans l’avion, les autres voyageurs assistent à ce spectacle rocambolesque. L’un d’entre eux filme la scène, via un hublot, pour immortaliser la scène.

Malade imaginaire
Coup de théâtre à l’hôpital. Les médecins ne constatent aucune maladie après l’examen médical. Fin de la comédie pour le malade imaginaire arrêté par les forces de l’ordre. Son compagnon prend la poudre d’escampette. Après avoir découvert le pot aux roses, la police et la Garde civile accélèrent la cadence. Douze fugitifs sont appréhendés, dans la rue Manacor, à Palma, et dans le quartier Sa Cabaneta, situé à 13km de l’aéroport. Ils sont accusés de désordre public et d’entrée illégale en Espagne. Une enquête est ouverte pour élucider les circonstances de cette fuite. Il est minuit sur l’archipel.

Le calme supplante le vacarme. Fin du blocus et reprise du trafic après quatre heures d’interruption. Le vol retourne à Casablanca. Istanbul attendra. Palma de Majorque, samedi 6 novembre 2021. Cet évènement spectaculaire fait la Une de la presse locale. Parmi elle, l’agence EFE. Après avoir réalisé une petite enquête, elle découvre un message qui a été posté le 14 juillet 2021, sur un groupe Facebook dénommé «Brooklyn» géré par de jeunes Marocains. «Les gars, écoutez, la plupart veulent émigrer. Suivez ce plan: nous avons besoin de 40 volontaires, membres de Brooklyn qui doivent réserver le vol à destination de la Turquie via l’Espagne », indique l’administrateur Y.S, un jeune Casablancais.

Le mode opératoire est simple. Un passager devrait faire semblant d’être malade au point de contraindre l’équipage à effectuer un atterrissage d’urgence et ainsi permettre aux autres de s’enfuir par le tarmac de l’aéroport. «Mettez-vous d’accord, nous allons passer à l’acte dans les prochains jours. Si vous êtes intéressés, manifestez- vous», renchérit-il. Après l’atterrissage de l’Airbus A320 à l’aéroport de Palma, le même Y.S a de nouveau publié le plan d’évacuation sur son profil Facebook, qui compte 15.000 abonnés. «Brooklyn n’est pas n’importe quel groupe, mais une légende », s’exclame-t-il, avant de supprimer son message. Interrogé par le média espagnol, un membre déclare que le groupe est un espace de loisirs et «d’échanges de blagues», mais aussi de solidarité. En attestent, selon, lui, des actions y ont été organisées, pour récolter de l’argent et soulager des personnes qui sont dans le besoin. Difficile à croire. Suffisant pour mettre la puce à l’oreille des policiers qui privilégient désormais cette piste.

Emprisonnement
Lundi 8 novembre. Les douze personnes arrêtées sont présentées à la barre du tribunal d’instruction numéro 6 de la ville insulaire. La magistrate estime qu’ils ont «provoqué et organisé» cet incident et ordonne leur emprisonnement pour ce «chaos sans précédent dans l’espace aérien européen». Quelques heures plus tard, l’agence Europa press révèle que le faux malade marocain a déjà été arrêté en Espagne en 2020 pour dégradation de biens d’autrui et résistance aux forces de l’ordre. Nouvelle pièce dans le puzzle judiciaire.

Cette rocambolesque affaire ne laisse pas indifférentes les autorités politiques espagnoles. Interpellée le même jour par le parti d’opposition Parti populaire (PP) sur la gestion de cette rocambolesque affaire, la porte-parole du gouvernement espagnol Isabel Rodriguez Garcia, déclare, lors d’une conférence de presse à l’issue du Conseil des ministres. «Tout incident survenant dans notre pays dans cette zone est susceptible d’être évalué pour améliorer et renforcer les protocoles nécessaires.» Elle n’a pas manqué de saluer «le travail des forces de sécurité de l’État et des juges, qui sont, en fin de compte, ceux qui gèrent actuellement cette affaire», et leur a exprimé «tout son soutien».

La traque des douze autres fugitifs se poursuit et promet probablement de nouveaux rebondissements dans ce feuilleton spectaculaire. Un scénario inédit digne d’une série Netflix, voire hollywoodienne. A suivre.

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