LA RECHERCHE MAROCAINE AU FIRMAMENT

DES RESPIRATEURS DE HAUT NIVEAU, DES TESTS PCR...

En dépit de moyens qui restent foncièrement modestes, les chercheurs marocains ont su particulièrement performer en cette période de pandémie de Covid-19.

Au moment d’aborder, ce 9 juin à la Chambre des représentants, les prouesses réalisées par ce qu’il appelle les “jeunes” au cours de cette pandémie de Covid-19 en matière de recherche et développement (R&D), Moulay Hafid Elalamy a particulièrement bombé le torse. Ainsi, le ministre de l’Industrie, du Commerce et de l’Économie verte et numérique s’est attardé quelques minutes durant, devant les élus de la première chambre, sur les trois respirateurs “de haut niveau” mis au point au cours des trois derniers mois par les chercheurs nationaux -il n’a pas précisé de quels respirateurs il s’agissait au juste, puisqu’il y en a eu une pelletée qui ont été développés au cours de cette période- ainsi que le fameux test PCR sorti le 1er juin des laboratoires de la Fondation marocaine pour l’innovation et la recherche scientifiques avancées (MAScIR) et qui, selon le responsable, est aussi performant que celui produit en Corée du Sud -d’où, pour rappel, le gouvernement marocain avait passé commande de 100.000 de ces tests le 26 mars.

Une véritable “effervescence”
Mais M. Elalamy aurait très bien pu faire mention d’autres projets encore, au risque, toutefois, de s’y étaler plusieurs heures. Car comme le souligne le responsable de la division Appui à la recherche et coopération du Centre national pour la recherche scientifique et technique (CNRST), Abdellah Ziadi, dans l’entretien qu’il nous accorde pour notre numéro de cette semaine, c’est d’une véritable “effervescence” dont il est actuellement question. “Nous sommes sur la bonne voie,” assure-t-il, même.

Sentant ce besoin de la communauté scientifique nationale d’aider son pays à faire face au Covid-19, le ministère de l’Education nationale, de la Formation professionnelle, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique était d’ailleurs, justement, passé le 7 avril par le CNRST ainsi que son Département de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (DESRS) pour lancer un programme de soutien à la recherche scientifique et technologique en lien avec la pandémie et qui, à ce jour, a bénéficié à 141 projets. Quinze millions de dirhams ont, ainsi, été attribués à ces projets, en plus de 5 millions d’autres dirhams qui, eux, proviennent des caisses des différentes universités du Royaume. Des montants qui, bien évidemment, ne sont pas mirifiques, mais dont la disponibilité, surtout dans la période de disette actuelle, est significative. Peut-être faudrait-il y voir la main personnelle du ministre de l’Education nationale, Saïd Amzazi, lui-même chercheur à la base -en biologie- et qui d’ailleurs, malgré un agenda justement de ministre, avait trouvé le temps de publier, le 3 mai, avec dix-huit autres chercheurs nationaux une analyse génomique du SARS-CoV-2, le virus responsable du Covid-19.

Ecosystème réactif
“C’est d’abord un scientifique de très grand renom,” disait de lui, dans l’interview que nous avions publiée de lui dans notre édition quotidienne du 14 mai, le directeur du laboratoire de biotechnologie de la faculté de médecine et de pharmacie de Rabat MedBiotech, Azeddine Ibrahimi, qui lui-même avait pris part à ladite analyse (lire Maroc Hebdo au quotidien n°32). D’autres chercheurs n’ont, cependant, pas attendu d’obtenir des financements pour passer à l’action. C’est notamment le cas de ceux qui oeuvrent dans le domaine des technologies de l’information et de la communication (TIC) et qui, souvent, n’ont “besoin que de [leur] cerveau et, à la rigueur, d’huile de coude”: ainsi, en tout cas, Pr Azedine Boulmakoul voit les choses, lui qui avec cinq de ses étudiants anciens et présents à la Faculté des sciences et techniques (FST) de Mohammedia, où il est enseignant-chercheur depuis avril 1994, avait, avec les moyens du bord, élaboré un “écosystème réactif holistique de pilotage et de monitoring de la propagation du Covid-19” permettant de suivre l’évolution du Covid-19 dans une zone donnée, en l’occurrence le territoire national, et, à partir de là, proposer des stratégies de confinement/ déconfinement.

“Mais vous savez, ce que vous voyez maintenant en termes de R&D, nous le faisons depuis plusieurs années aussi bien à la FST de Mohammedia et les autres FST que dans le reste des établissements de l’enseignement supérieur. Moi-même j’ai, en 26 ans de carrière, déposé douze brevets, en plus de quelque 350 publications. C’est juste qu’on ne prête pas assez attention à cela,” décortique Pr Boulmakoul.

Ce constat fait par ce dernier, de nombreuses figures de la recherche nationale le partagent, et rappellent que les laboratoires nationaux performent depuis déjà de nombreuses années, même si ce n’est, bien entendu, pas au niveau qu’il faudrait -le Maroc était, selon les dernières statistiques disponibles de 2018, cinquième arabe et en Afrique en matière de dépôts de brevets, avec seulement 187 brevets déposés. Président de l’Université Sidi Mohammed Ben Abdellah (USMBA), que le mensuel britannique Times Higher Education avait positionnée, le 18 février, première nationale dans son classement annuel des universités des pays émergents et dont douze projets ont été, au passage, retenus dans le cadre du programme de soutien du ministère de l’Education nationale.

Cité de l’innovation
Pr Radouane Mrabet rappelle les réalisations faites notamment depuis bientôt dix ans au sein de la Cité de l’innovation de Fès, qui relève directement de son institution. “Nous sommes particulièrement réputés dans le domaine de la médecine, et d’ailleurs pour vous dire, une équipe de notre faculté de médecine et de pharmacie qui travaille sur un vaccin contre le Covid-19 a été sollicitée par un réseau de recherche européen pour partager ses résultats avec lui, et cela ne se serait pas produit si ce n’était la qualité de son travail,” souligne Pr Mrabet. Cette cité de l’innovation, c’est, soit dit en passant, le roi Mohammed VI en personne qui avait procédé à son inauguration en janvier 2007 en tant que Centre universitaire régional d’interface (CURI), avant qu’elle ne passe quatre ans plus tard, en juillet 2011, à son statut actuel.

Surtout, elle a, depuis, fait des émules, puisqu’on trouve également désormais des cités de l’innovation à Marrakech et Agadir, avec là aussi l’impulsion du Souverain pour les sortir de terre. C’est que, depuis son intronisation en juillet 1999, le roi Mohammed VI a fait de la recherche scientifique une priorité. Et pour cause: pour lui, “la recherche scientifique, le développement technologique, l’innovation doivent servir ce chantier essentiel et vital qui vise l’amélioration des conditions de vie de nos citoyens et la préservation de leur dignité, outre le fait d’initier une action inlassable pour favoriser leur intégration dans la société du savoir,” comme il le proclamait dans le discours qu’il avait prononcé en mai 2006 à Agadir à l’occasion de l’installation de l’Académie Hassan-II des sciences et techniques, autre institution oeuvrant à la promotion de la recherche scientifique au Maroc et qu’on lui doit directement.

Loin donc d’être un simple crédo. “C’est sûr qu’on lui doit beaucoup,” tranche Pr Hicham Medromi, enseignant-chercheur qui, du temps où il dirigeait l’Ecole nationale supérieure d’électricité et mécanique (ENSEM) -de 2011 à 2019-, avait été à l’initiative du Centre de recherche, de développement et d’innovation en sciences et ingénierie du Grand Casablanca, dont le chantier avait également été lancé par le roi Mohammed VI -en octobre 2014. Ce centre, qui avait coûté 43 millions de dirhams aux pouvoirs publics, est aujourd’hui géré par par la Fondation de recherche, de développement et d’innovation en sciences et ingénierie (FRDISI), dont le président n’est autre que le conseiller royal André Azoulay. Ce qui en dit long sur l’intérêt personnel que lui porte le Souverain.

Société du savoir
A raison d’ailleurs, puisque les 35 chercheurs qui y travaillent actuellement à temps plein sous la supervision de Pr Medromi ont par exemple été derrière la conception, il y a quelques semaines, du respirateur Sircos, un des trois respirateurs auxquels faisait vraisemblablement référence M. Elalamy au parlement. “Au Maroc, nous avons les moyens de faire beaucoup de choses, il suffit juste de croire en nous, comme c’est le cas maintenant dans cette période de Covid-19,” confie Pr Medromi. Et d’ajouter: “Pour les financements, c’est vrai, l’Etat ne peut pas nous en donner beaucoup, mais nous pouvons nous débrouiller avec les entreprises, comme ce que nous faisons d’ailleurs depuis plusieurs années à la FRDISI. Par exemple, c’est la Cosumar qui nous a aidés pour concevoir Sircos, et comme vous devez le savoir le nom du respirateur lui rend hommage puisqu’il signifie “Système intelligent de respiration Cosumar”.

Là où par contre nous trouvons des obstacles, c’est pour obtenir les matériaux que nous devons souvent importer de l’étranger, il faut payer des taxes, en plus du fait que parfois cela peut rester bloqué plusieurs mois à la douane. Et plusieurs mois, c’est beaucoup dans la R&D.” Cette question de l’ouverture au secteur privé national, le CNRST en fait, depuis quelques années, un de ses principaux axes de travail, et c’est ainsi qu’il avait par exemple réussi à décrocher auprès du groupe OCP, en octobre 2014, un budget de 90 millions de dirhams pour faire travailler les chercheurs nationaux sur les phosphates. Et à en croire Pr Ziadi, le géant phosphatier en a été plus que satisfait, au point d’être actuellement en train de négocier avec le CNRST un appel à projets ratissant des thématiques beaucoup plus larges, qu’il s’agisse des sciences exactes, des sciences naturelles ou encore des sciences humaines et sociales.

Le groupe OCP fait d’ailleurs figure d’exemple à l’échelle nationale en termes de R&D, puisqu’il y dépense chaque année des sommes conséquentes, notamment au niveau de l’Université Mohammed-VI polytechnique (UM6P). Ayant ouvert ses portes en janvier 2017 et se rêvant en “université à vocation internationale, tête de pont entre le Maroc, l’Afrique et le monde, fondée pour la recherche appliquée, l’innovation et l’entreprenariat”, celle-ci focalise principalement sur des thématiques qui, pour elle, Pr Hicham Medromi, directeur de l’Ecole nationale supérieure d’électricité et mécanique (ENSEM). répondent aux enjeux et défis du continent africain: eau, agriculture et environnement; ressources naturelles et sécurité alimentaire; énergies renouvelables; génie industriel et chimique; biotechnologie et biomédical engineering; et architecture, urbanisme et aménagement du territoire.

Financement privé
Et pour les explorer, elle peut compter sur différents partenaires internationaux des Etats-Unis, du Royaume-Uni ou encore de France. Une ouverture qui, sans doute, ne peut constituer qu’une force pour l’UM6P mais aussi pour l’ensemble des établissements de recherches nationaux, puisque l’université du groupe OCP ne fait pas exception. C’est, ainsi, en collaboration avec l’INES TEC de Porto et INESC P&D Brasil que l’Institut de recherche en énergie solaire et énergies nouvelles (IRESEN) avait réussi à développer son modèle de respirateur.

Et à son tour, ce dernier a fait en sorte “de transférer [son] savoir et [son] savoir-faire” à un autre pays du Sud, à savoir la Côte d’Ivoire, où il est partenaire depuis juillet 2017 de l’Institut national polytechnique Félix Houphouët-Boigny, comme nous l’expliquait le directeur général de l’IRESEN, Badr Ikken, dans notre numéro du 22 mai.

“Nous restons dans cette dynamique de solidarité. Nous espérons aider aussi d’autres pays africains à développer une expertise dans ce domaine,” nous avait-il indiqué (lire Maroc Hebdo n°1349). En tout état de cause, il faudra capitaliser sur cette pandémie de Covid-19 pour devenir plus performant en termes de R&D. Notamment en mettant plus de moyens -la part de la R&D dans le produit intérieur brut (PIB) n’est que de 0,8%, alors qu’il en faudrait au moins le double eu égard aux standards de l’Organisation des Nations unies (ONU)- et en donnant, globalement, plus de valeur aux chercheurs nationaux, spécialement d’un point de vue médiatique...

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