RAYAN L'ARABE

Réactions régionales au drame du petit Rayan

Les peuples marocain et algérien, en dépit des tentatives acharnées de la junte d’Alger pour les monter l’un contre l’autre, se sont retrouvés unis dans la douleur consécutive à la mort de Rayan.

Il y a de cela deux ans, l’Institut du monde arabe (IMA), basé à Paris, publiait un pavé de quelque 500 pages dont le titre posait la question suivante: Le monde arabe existe-t-il (encore)?. Si l’objectif est d’y trouver une réponse définitive, inutile de le lire, car il n’y en a pas vraiment, mais parmi les nombreux textes de l’ouvrage, qui reste tout de même un must pour toute personne s’intéressant au fait arabe, il y a notamment celui introductif de l’historienne franco-tunisienne Leyla Dakhli, qui écrit ceci: “Par-delà la construction politique ou la projection historique, le monde arabe est un ensemble lié par des émotions et un commun qui se développe à partir d’expériences partagées.

C’est peut-être là que résonne la réalité d’un monde, non pas au sens plat d’un espace ou d’une unité, mais bien au sens plein d’un univers fait d’histoires et de musiques, d’images et de couleurs, de références que l’on peut partager sans les expliquer”. A travers ces mots, l’intéressée avait davantage dans l’idée de tenter de décrypter la “communion transnationale” -c’est son expression- qu’a été le Printemps arabe, mais on devrait sans doute suivre la même piste eu égard à la réaction des foyers arabes aux opérations de sauvetage par les autorités marocaines du petit Rayan Aourram tandis qu’il était bloqué, à partir du 1er février 2022, 32 mètres sous terre au fond d’un puits, dans la commune rurale de Douar Ighran.

Car de l’océan au Golfe, pour reprendre l’expression usuelle, une grande partie des 400 millions d’âmes peuplant la région n’avaient pendant plusieurs jours d’yeux que pour ces opérations, rivées qu’elles étaient sur leurs écrans de télévision et de smartphone à longueur de journée et de nuit. On ne peut bien sûr éluder la nature purement humaine de cet intérêt: quand on voit les messages de condoléances affluant de partout dans le monde, après que, malheureusement, Rayan n’a pu être sauvé, on comprend l’ampleur internationale de l’affaire, loin de toute contextualisation socioculturelle.

Il était ceci dit indéniable que l’implication émotionnelle était d’un niveau autre dans le voisinage concerné: pain distribué gratuitement en Tunisie en signe de deuil, prière de l’absent à la mosquée d’Al-Aqsa, à Al-Qods Acharif; plus généralement, un suivi passionné sur les réseaux sociaux. Depuis peut-être, justement, le Printemps arabe, cité plus haut, jamais le monde arabe n’avait donné l’impression de faire autant cause commune.

Comme s’il fallait à chaque fois une tragédie pour l’unir: hier celle du vendeur ambulant tunisien Mohamed Bouaziz, auto-immolé, aujourd’hui donc celle de Rayan. Une sorte de constante qui trouve bien évidemment sa traduction la plus flagrante dans la cause palestinienne, source régulière de drames et de sentiments de solidarité panarabe.

Mais c’est aussi dire que si les rêves intégrationnistes portés notamment un temps par l’ancien président égyptien Nasser ou le parti Baas ont fait long feu -et heureusement-, il semble toujours persister le sentiment de l’existence d’une connexion transfrontalière remobilisable à tout instant, indépendamment de la réalité politique du moment, et indépendamment, spécialement, des relations que peuvent avoir les pays arabes entre eux.

Loi de la proximité oblige, l’on pense principalement ici au cas des peuples marocain et algérien, qui en dépit des tentatives acharnées, pour des raisons de survie, de la junte militaire en place dans la voisine de l’Est pour les monter l’un contre l’autre, se sont retrouvés unis dans la douleur consécutive à la mort de Rayan. A suivre ce qui se disait sur ce dernier sur les réseaux sociaux, on aurait même pu croire que Douar Ighran se trouvait en Algérie et non au Maroc, balayant, d’un revers de main, l’effort pratiquement “de guerre” fourni par Alger en propagande anti-marocaine.

En même temps, il ne faut sans doute pas se faire trop d’illusions, car le soufflé devrait immanquablement finir par retomber et la population de chaque pays recommencer à vaquer à ses propres (pré) occupations, mais il n’en reste pas moins que pour reprendre le propos de Mme Dakhli, l’“expérience partagée” qu’est l’histoire de Rayan invite à garder un certain espoir, aussi infime puisse-t-il être, sur l’inconsistance des volontés séparatrices face aux liens entre les Hommes.

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