Ce radicalisme qui nourrit l’islamophobie

ATTENTATS TERRORISTES

Les mouvances jihadistes, déjà actives sur les réseaux sociaux et sur différents théâtres opérationnels, ont trouvé dans les caricatures du Prophète Mohammed publiées par l’hebdomadaire français Charlie Hebdo un nouveau ressort de mobilisation.

Et maintenant l’Autriche! Lundi 2 novembre 2020, dans la soirée, Vienne, capitale de ce pays d’Europe centrale, a subi une attaque islamiste soldée par quatre morts et des dizaines de blessés. Une actualité mortifère qui se poursuit donc après d’autres actes de même nature. Ce pays de quelque 9 millions d’habitants où vit une communauté musulmane notable, est en état de choc; il se considérait souvent comme marginal en termes géopolitiques; il ne pensait pas être l’objet un jour d’une attaque terroriste; il se pensait pratiquement à l’abri, d’autant qu’aucune menace n’avait été relevée récemment. Comment ne pas le constater: l’on est en présence d’une recrudescence d’activités des groupes jihadistes.

Une volonté de vengeance
Et dans cette ligne-là, c’est la France qui est prioritairement visée; les menaces se multiplient émanant d’Al Qaida et de l’Etat islamique. L’auteur de l’attentat, d’origine nord macédonienne, sur son compte Instagram, avait prêté allégeance à «l’émir des croyants, Abou Ibrahim Al-Qourachi», successeur autoproclamé du «calife» Abou Bakr Al-Baghdadi, tué par les forces spéciales américaines voici un an. Les mouvances jihadistes, déjà actives sur les réseaux sociaux et sur différents théâtres opérationnels, ont trouvé dans les caricatures du Prophète Sidna Mohammed publiées par l’hebdomadaire français Charlie Hebdo un nouveau ressort de rebond, de déploiement et de mobilisation décliné autour de nouvelles attaques contre la France. Une volonté de vengeance a ainsi animé les auteurs des trois derniers attentats dans l’Hexagone après la republication des caricatures. A noter ici qu’aucun des terroristes n’a fait référence à quelque organisation jihadiste...

L’appréhension de la présente conjoncture conduit à distinguer plusieurs niveaux d’analyse. Le premier d’entre eux a trait au débat franco-français sur le «séparatisme» annoncé par le président Macron et qui a été reformulé autour du référentiel de la laïcité. L’idée d’un séparatisme à combattre n’est-ce pas l’exclusion, la stigmatisation même d’une communauté musulmane de six millions de fidèles en France? Un thème d’extrême droite s’apparentant à celui du Rassemblement national de Marine Le Pen. Difficile de crédibiliser les appels à l’unité du locataire de l’Elysée et de conforter la cohésion de la société française.

Un vecteur d’altérité
Certains discours, officiels ou autres, n’ont pas résisté ainsi aux anathèmes et à des accusations gravissimes contre les musulmans de France et plus globalement contre l’islam même en portant le fer sur l’islamisme radical. La question religieuse a alors supplanté tous les autres thèmes de la vie politique française; l’islam est devenu le pivot, déclassant quelque peu les urgences pandémiques, sociales, économiques,... Se sont installés ce qu’il faut bien appeler des germes durables de guerre civile.

Dans ce registre, l’islamophobie est un levier et un vecteur d’altérité voire d’assignation. Elle est ce que l’on pourrait appeler un fait social total mais à analyser suivant plusieurs niveaux d’analyse au moins. Du point de vue de l’idéologie, c’est une construction raciste. Elle ne se limite pas à l’islamophobie de Renaud Camus, Eric Zemmour, Caroline Fourest,…; elle se déploie et se développe en effet, par une sorte de capillarité, dans d’autres espaces sociaux: les écoles publiques avec l’interdiction aux jeunes filles de porter un signe religieux «ostensible» (hijab), aux mères voilées d’accompagner bénévolement les sorties scolaires, à la viande non halal à la cantine, sans oublier l’obligation dans les services publics de se dévoiler, les discriminations dans les entreprises privées comme clientes ou employées, ou encore dans la rue avec une recrudescence des actes islamophobes.

L’aubaine de l’islamophobie
Au regard du deuxième niveau, celui des préjugés et des pratiques, que s’est-il passé pour qu’en l’espace de trois décennies, les partisans de l’islamophobie qui étaient bien minoritaires soient devenus majoritaires aujourd’hui? Par quels processus sociaux, un consensus national, plus seulement élitaire mais désormais populaire, s’est constitué sur l’idée d’un «problème musulman» à résoudre, soit par le biais d’une violence symbolique soir autrement? L’on parle de «guerre»... Si bien que de nombreux juristes s’alarment de l’instauration progressive d’un régime juridique d’exception, dérogatoire du droit à l’encontre de tout ou partie des musulmans.

Enfin, ce dernier niveau: l’islamophobie n’est pas qu’un nouvel avatar du racisme antiarabe. La notion d’islamophobie est instrumentalisable; c’est une aubaine pour toutes sortes de locuteurs. Elle correspond à un processus social complet de radicalisation/ altérisation; elle est appuyée sur le signe de l’appartenance, réelle ou supposée, à la religion musulmane. C’est un phénomène global. Elle est la conséquence de la construction d’un fait musulman auquel il faut apporter une «solution»: celle de la discipline et du formatage des corps, voire des esprits des présumés musulmans. C’est un problème public; ses origines sont à analyser dans le cadre d’une relations entre établis et marginaux, les statutaires et ceux qui ne le sont pas (insiders/outsiders).

D’une certaine manière, l’émergence de l’islamophobie s’apparente à un avatar du refus de l’égalité; elle se développe sur la base d’un ressentiment: celui de voir un groupe marginal, socialement inférieur, stigmatisé, qui est sur le point d’exiger l’égalité non seulement légale mais aussi sociale. Ce qui renvoie, par ailleurs, à un enjeu central relatif à la légitimité de la présence musulmane en France et en Europe. L’amalgame islam/immigration/ terrorisme: voilà aujourd’hui un tryptique qui «marche» avec des arrière-pensées électoralistes connues, pas seulement du côté de l’extrême -droite. Avec, en toile de fond historique et culturelle, ce que l’on appelle l’archive antimusulmane, autrement dit tout le répertoire symbolique et toute la grammaire des représentations négatives de l’islam et des musulmans...

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