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Rachid Yazami: "Le Maroc peut devenirun producteur majeur de batteries lithium-ion"


Connu pour son invention révolutionnaire de l’anode graphite pour les batteries lithium-ion, Rachid Yazami partage avec Maroc Hebdo ses réflexions perspicaces sur l’avenir de l’industrie de ces batteries au Maroc.

On parle de plus en plus du lancement de projets d’usines de batteries électriques au Maroc. Quelle réaction cela suscite chez vous?
Je trouve formidable la perspective de voir le Maroc accueillir des usines de batteries au lithium. C’est une étape importante pour l’industrialisation et l’électrification du pays. Depuis 2014, je prône la mise en place d’une «gigafactory» au Maroc. Selon moi, une usine pourrait être construite en deux ans, avec une capacité potentielle de production annuelle de 100 GWh ce qui pourrait alimenter entre 15 et 20 millions de véhicules électriques par an.

Le projet actuel entre le gouvernement marocain et le producteur chinois Gotion High Energy est prometteur mais pour le moment nous n’en sommes encore qu’à un mémorandum d’entente (MoU), qui devrait en principe se concrétiser par un accord financé pour la réalisation d’une Gigafactory.. La question du financement des 65 milliards de dirhams prévus dans le MoU reste à concrétiser. Pour citer encore l’exemple de Gotion, alors que le gouvernement marocain a publié un communiqué officiel pour annoncer le MoU, l’entreprise chinoise n’a pas cru utile de le publier sur son site officiel, ce qui laisse dubitatif.

Il n’en reste pas moins que cette annonce peut dans une certaine mesure illustrer l’attrait du Maroc. Qu’est-ce qui fait selon vous cet attrait?
La situation du marché mondial joue un rôle important. Le marché chinois est, par exemple, devenu relativement saturé. Cela pousse les investisseurs à chercher d’autres opportunités dans des pays tels que le Maroc, qui présente un potentiel de croissance et offre des avantages compétitifs. D’abord, le Maroc est signataire d’accords de libre-échange qui lui permettent de bénéficier d’un accès préférentiel aux marchés européen, américain et ouest-africain entre autres, sans avoir à payer de droits de douane. Cela renforce la compétitivité des entreprises installées au Maroc et ouvre des opportunités pour les investissements et les partenariats internationaux. En outre, le Maroc dispose également d’une main-d’oeuvre qualifiée et compétitive ainsi que de coûts de main-d’oeuvre relativement bas. Enfin, le Maroc offre un environnement favorable aux affaires, avec des politiques gouvernementales encourageantes et des incitations à l’investissement. Le pays a mis en place des mesures visant à attirer les investissements étrangers, à faciliter les procédures administratives et à promouvoir l’innovation et la recherche et développement.

Vous pensez donc que nous pouvons être vraiment compétitifs face aux pays d’Asie?
Oui, Le Maroc peut devenir un producteur majeur de batteries lithium-ion, même face aux pays d’Asie, en particulier vis-à-vis de la Chine, leader mondial dans ce domaine. Le Maroc dispose par exemple de ressources en matières premières telles que le cobalt et le phosphate qui sont essentielles dans la fabrication des batteries ainsi que de la présence de géants de l’industrie automobile tels Renault et Stelantis, qui passeront bientôt du véhicule thermique à l’électrique.

Vous avez cité le cobalt et le phosphate, mais comme vous le savez le Maroc ne dispose pas de réserves connues de lithium. Cela ne peut-il pas constituer un obstacle sur le segment des batteries dites LFP, qui sont les moins chères à produire et semblent le plus intéresser les investisseurs?
Effectivement, l’absence de réserves de lithium constitue un défi, mais le Maroc peut surmonter cet obstacle grâce à son importation. De nombreux pays, tels que le Chili, la Chine et l’Australie sont d’importants producteurs de lithium. Ces pays disposent de vastes réserves de lithium et sont en mesure de fournir les ressources nécessaires au Maroc pour la production de batteries. Grâce à des accords commerciaux et à des partenariats stratégiques, le Maroc peut s’approvisionner auprès d’eux. Ceci n’empêche pas le Maroc d’entamer au plus vite des campagnes de prospection minière pour découvrir des gisements de lithium comme il le fait pour les gisements de gaz naturel.

Où en est votre propre projet d’usine de batterie au lithium?
Nous sommes engagés dans un processus continu de développement de notre projet d’usine de batteries électriques. Nous avons consacré beaucoup de temps et d’efforts à la planification et à la recherche de financements pour notre projet. Nous avons réalisé des études de faisabilité approfondies, examiné les besoins en matière d’infrastructures, d’équipements et de ressources humaines, ainsi que les partenariats potentiels avec des fournisseurs de matières premières et des distributeurs. Nous sommes également en train d’établir des collaborations avec des experts et des spécialistes du secteur pour bénéficier de leurs connaissances et de leur expérience. Cela nous permettra de garantir que notre usine répondra aux normes de qualité et aux exigences technologiques les plus élevées.


Votre projet est de développer des batteries qui soient rechargeables en cinq minutes seulement. Pouvez-vous nous en dire plus sur le mécanisme que vous souhaitez mettre à l’oeuvre…
Notre technologie de charge rapide repose sur une approche disruptive des méthodes de charge. Nous avons développé des systèmes de chargeurs spécifiques et un logiciel adapté qui marchent en tandem pour réduire considérablement la durée du temps de recharge sans compromettre ni la sécurité ni la durée de vie de la batterie. La charge ultra-rapide est une donnée cruciale pour l’avenir industriel des véhicules électriques. Tout ce que je peux vous dire pour l’instant est que nous sommes entrés dans la phase préindustrielle avec des partenaires américains et européens. Nous espérons en faire bénéficier l’industrie marocaine. En effet, certains industriels marocains ont exprimé leur intérêt au co-développement de chargeurs ultra-rapide assurant la sécurité et la fiabilité. Il est aussi envisagé de mettre en place l’infrastructure adéquate et faciliter l’adoption de cette technologie à grande échelle.

Aujourd’hui, pour monter une usine compétitive de batteries électriques au Maroc, il faudrait combien exactement selon vos propres estimations?
Selon mes propres estimations, il faudrait entre 20 et 50 millions de dollars pour une usine autour du GWh annuel. Mais le montant d’investissement peut varier en fonction de plusieurs facteurs spécifiques. La taille de l’usine est l’un des facteurs clés qui influencent le coût global du projet. Une plus grande usine nécessitera des investissements supplémentaires pour les infrastructures, les équipements de production et les capacités de stockage. L’emplacement de l’usine a également un impact sur les coûts, car les régions présentant une main-d’oeuvre qualifiée et des infrastructures adaptées peuvent être plus attractives en termes de rentabilité. Les infrastructures disponibles sont également à prendre en compte. Si l’usine peut bénéficier d’une infrastructure existante, cela peut réduire les coûts de construction et d’installation des équipements.

Mais si des investissements importants sont nécessaires pour développer l’infrastructure nécessaire, cela peut augmenter le coût global. Les technologies utilisées dans l’usine de batteries ont également un impact. Les technologies de pointe et les équipements de haute qualité peuvent nécessiter des investissements plus importants, mais ils peuvent également offrir des avantages en termes d’efficacité et de qualité de production. En effet, le cout du kWh de la batterie est un facteur déterminant dans la réussite d’une implantation industrielle. Ce dernier doit être compétitif par rapport à celui du marché qui se situe aujourd’hui en dessous de 100$/kWh. Ainsi un pack de batteries pour une voiture électrique de 50kWh reviendrait à moins de 5000 dollars (environs 50000 dirhams), rendant un tel véhicule plus abordable pour le grand public.

Que pensez-vous de l’état de la R&D dans les domaines relatifs à la batterie électrique au Maroc ?
Le Maroc a réalisé des progrès sensibles dans le domaine de la recherche et du développement liés aux batteries électriques. Les universités et les entreprises du pays investissent de plus en plus dans ce secteur porteur, mais plus d’efforts doivent être déployés à l’avenir afin de réaliser une taille critique et répondre aux besoins du marché national et pourquoi pas international. Les étudiants marocains sont de plus en plus impliqués dans des projets de recherche liés aux batteries électriques, notamment dans le cadre de leurs doctorats. Cette participation active à la recherche académique contribue à l’avancement des connaissances et des technologies nécessaires à la réalisation des batteries du futur.

Il serait opportun qu’une partie des investissements industriels prévus dans le projet de Gigafactory au Maroc aille dans le soutien de la recherche académique et industrielle dans ce domaine. Sans recherche, point d’avenir ! Mais il existe encore des défis à relever. L’un des aspects qui nécessite une attention particulière est la commercialisation. Il est essentiel de mettre en place des mécanismes et des collaborations appropriés pour transformer les résultats de la recherche en produits commercialisables. Cela permettrait de capitaliser sur les avancées réalisées dans le domaine des batteries électriques et de stimuler le développement économique local. La participation de chercheurs, ingénieurs et décideurs marocains dans des congrès internationaux liés aux batteries électriques est vivement encouragée. Une présence plus active dans ces forums permettrait de présenter les avancées de la recherche marocaine, de la placer dans le contexte international et d’établir des liens avec d’autres acteurs internationaux du domaine, d’échanger des connaissances et d’explorer de nouvelles opportunités de coopération.

Dans l’idéal pour vous, à quoi ressemblerait un écosystème performant de batteries électriques au Maroc ?
Il est essentiel d’investir dans la formation, ce qui implique la mise en place de programmes de formation professionnelle et universitaire adaptés. Ces programmes doivent couvrir les aspects scientifiques, techniques, l’ingénierie, la gestion de la chaîne d’approvisionnement et les compétences liées à la fabrication de batteries de haute qualité. La formation de talents locaux permettrait de développer une main-d’oeuvre compétente et prête à relever les défis de l’industrie des batteries électriques. Par ailleurs, des infrastructures de production modernes et bien équipées sont nécessaires. Cela doit se traduire par la réalisation d’un écosystème autour de la batterie qui va depuis les mines, en passant par la chimie ainsi que les technologies de production et de l’intégration dans les systèmes tels les véhicules électriques et ceux du stockage de l’énergie décarbonée et durable.

Une politique publique favorable est également indispensable. Cela comprend des incitations fiscales et des avantages pour les investissements dans le secteur, des réglementations favorables à l’industrie des batteries ainsi que des politiques de soutien à la R&D -il faudrait d’ailleurs mettre en place des centres de R&D pour encourager l’innovation et l’amélioration continue des technologies de batteries, tels le Centre d’excellence des batteries (CEB) que j’avais lancé en 2019 à l’Université privée de Fès, en collaboration avec les deux grandes universités publiques de la région Fès-Meknès et pour lequel nous sommes toujours en attente d’un soutien de la part de l’État et des autorités locales. Le CEB a pour mission première la formation par la recherche des ingénieurs et chercheurs marocains et étrangers afin de fournir les compétences nécessaires à l’écosystème autour des batteries. Je vois bien les partenariats public-privé jouer un rôle clé dans le développement de cet écosystème, en encourageant la collaboration entre les entreprises, les universités, les centres de recherche et les pouvoirs publics.

Au cours de cette année, on a parlé du lancement de différentes marques de voitures électriques marocaines, à l’instar de Neo Motors. Cela peut-il participer selon vous à l’émergence en parallèle de fabricants de batteries électriques qui soient également marocains?
L’émergence de fabricants de batteries électriques marocains peut contribuer à la construction d’un écosystème complet autour de la mobilité électrique dans le pays. Non seulement cela permettrait de renforcer l’industrie automobile électrique nationale, mais également de développer une chaîne d’approvisionnement locale et des partenariats avec d’autres acteurs de l’industrie. La batterie représente environ 35 à 40% du coût total d’une voiture électrique. La compétitivité de l’industrie des batteries est donc cruciale pour assurer la viabilité économique de la production de véhicules électriques au Maroc. L’établissement de fabricants de batteries électriques locaux peut également permettre de réduire les coûts et d’améliorer la compétitivité des véhicules électriques marocains sur le marché.

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