
«Je vous informe que M. Tazi ne pourra malheureusement pas donner une suite favorable pour le moment car il prend ses congés cette fin de semaine. Mais il vous propose de vous rencontrer dès la rentrée». Dans une certaine mesure, Karim Tazi n’aura pas volé ses vacances. Son année 2015 a été particulièrement chargée. Il y a d’abord ses attributions à Richbond, le célèbre créateur de salons marocains, dont lui et son frère Nascer assurent la direction générale sous la bienveillance tutélaire de leur père, Abdelaziz Tazi, fondateur de la société en 1964 et président- directeur général effectif de la holding familiale depuis plus de 60 ans maintenant.
Un bourreau du travail
Une charge qui, entre ses responsabilités «marketing, ressources humaines, administratives », comme le propre intéressé l’expliquait dans un long article que lui avait consacré le mensuel Stratégie & Management en 2013, lui prend, forcément, un temps fou. D’aucuns lui prêtent d’ailleurs une réputation, non galvaudée paraîtrait-il, de bourreau du travail. Un «workaholic», comme disent les «djeunz» aujourd’hui. En 2014, Richbond a pesé, 1,5 milliard de dirhams (MMDH) environ de chiffre d’affaires. A ce jour, il emploie plus de 1.200 salariés. Sans doute l’un des groupes qui comptent le plus dans le pays.
Mais si M. Tazi doit ressentir le besoin impérieux de faire le vide, c’est à coup sûr à cause des attaques répétées dont son proche entourage dit qu’il fait l’objet de la part d’«une certaine presse électronique et papier». Lui-même s’est plaint, dans une interview fleuve dans le journal électronique Hespress, lundi 20 juillet 2015, du traitement que lui infligeraient certains médias, «particulièrement un site électronique», dont il n’a toutefois pas donné le nom.
Plusieurs scandales ont ces dernières semaines éclaboussé le groupe Tazi. Le 28 juin 2015, un ouvrier de la Simec (Société industrielle marocaine d’entreprises chimiques), une de ses nombreuses filiales, est décédé et un autre a été asphyxié en raison, semble-t-il, d’une fuite de gaz dans le chauffe-eau. Un chauffe-eau bon marché, d’après les médias, relié, qui plus est, à une bonbonne de gaz posée à même le sol. L’accident a quelque peu terni l’image du groupe.
Campagne de diffamation
D’autant que quelques jours plus tard, des photos prétendument volées dans les locaux de l’usine rendaient compte de la vétusté des installations du bloc sanitaire de la Simec. Une pétition de solidarité, lancée le 14 juillet 2015 sur le site web Avaaz.org par le défenseur des droits de l’Homme, Fouad Abdelmoumni, dénonce cependant «une campagne médiatique de diffamation ». «Les commanditaires de cette campagne se comptent parmi ceux qui ont toujours attaqué les partisans de la liberté de pensée, de la démocratie et des droits humains au Maroc», poursuit-elle, par ailleurs. Près d’une cinquantaine de personnalités publiques, notamment du milieu des médias, ont signé la pétition. Des acteurs de la scène culturelle ont également fait montre de solidarité à l’égard de M. Tazi.
Le groupe de fusion Hoba Hoba Spirit avait notamment révélé, dans un message sur sa page Facebook, fin juin 2015, avoir «bénéficié pendant des années du soutien, formel ou informel, de la famille Tazi». «Ce soutien», avait-il précisé, «n’a jamais été assorti de quelque condition que ce soit, ni politique ni d’autre forme». Même topo du côté de l’association EAC-L’Boulvart. Celle-ci, également sur Facebook le 24 juin 2015, avait fait part de sa reconnaissance envers le directeur général de Richbond tant pour son «mécénat», qu’il s’agisse d’«équipement de régie» ou encore de «mobilier», que somme toute son «soutien», «moral et désintéressé», d’après elle.
La boîte de Pandore
On peut légitimement poser la question: M. Tazi ne ferait-il pas les frais de son soutien au Mouvement du 20-février? L’homme d’affaires avait été l’une des premières, si ce n’est l’une des rares personnalités publiques à afficher sa sympathie envers le mouvement. Qui plus est, il n’avait jamais manqué de lui apporter un appui non seulement moral mais également logistique, comme il l’avait reconnu de son propre chef dans les colonnes du quotidien Akhbar Al-Youm. Une attitude qui, forcément, déplaît dans certains milieux. Et suscite même quelques inimitiés, surtout parmi ses pairs. «J’en connais des hommes d’affaires qui doivent se sentir petits à côté de lui», commente, sous le sceau de l’anonymat, ce chef d’entreprise de la place. Au plus fort du «Printemps arabe», le groupe Tazi avait failli tomber sous le coup d’un contrôle fiscal impromptu, pour le moins. Mais Richbond et co étaient cela dit en règle avec l’administration. Pour autant, M. Tazi donne depuis lors l’impression d’être dans le collimateur. Fin juin 2015, c’est l’accueil par «L’Uzine», siège de la Fondation Touria et Abdelaziz Tazi dans la ville de Casablanca, d’une représentation musicale du rappeur Lhaqed, déjà emprisonné par trois fois par le passé en raison de ses opinions politiques, proches du 20-février, qui semble avoir rouvert la boîte de Pandore. Le district de police d’Aïn Sebaâ-Hay Mohammadia avait interdit la manifestation; invoquant notamment l’absence d’autorisation.
A «L’Uzine» cependant, l’explication ne convainc pas plus que cela. D’autant qu’une semaine seulement auparavant, Hoba Hoba Spirit s’étaient produits sur la même scène sans avoir eu à demander la fameuse autorisation. M. Tazi semble plus que jamais dans l’oeil du cyclone. «Jamais je n’ai eu à essuyer de telles attaques de la part d’un média», reconnaît-il lui-même. L’homme n’est pourtant pas un radical.
L’interview accordée à Hespress en dit long sur ses positions politiques. Celles-ci, au demeurant, paraissent modérées, cela va sans dire. Luimême se réclame ardemment de ce sens de la modération. Il soutient notamment l’option d’un régime parlementaire, seul moyen d’après lui de parer au péril d’éventuels remous, comme il en est toujours actuellement dans d’autres pays arabes, mais tient surtout à certains principes non négociables étaye-til, notamment «la démocratie, la dignité, la lutte contre la corruption et toutes les formes de rente». Des principes qui, «étrangement» d’après lui, lui seraient reprochés par les autorités, en raison de sa qualité d’homme d’affaires. La rentrée, en tout cas, s’annonce aussi passionnante et passionnée que ne le furent ces dernières semaines pour le patron de Richbond.