La frénésie à laquelle se retrouve en proie Casablanca à chaque visite royale ne fait en elle-même que représenter un mal bien marocain, à savoir le fait que le chef de l’État doive pratiquement tout suivre de très près pour que les choses avancent.
On a bien vérifié le calendrier: les prochaines élections, ce n’est pas avant trois ans. Aucun changement n’a eu lieu au niveau des responsables qui président aux destinées de Casablanca. Pourtant, une partie de la ville semble différente; méconnaissable même, diraient sans doute les mauvaises langues. On dirait que tout a été refait à neuf.
Les rues sont propres, au point que dans certains endroits, il faudrait presque y aller à la loupe pour trouver des détritus. Et que dire de la sécurité? Alors que ces derniers temps on se serait cru parfois à Johannesburg, les armes à feu en moins -on force bien sûr délibérément le trait, comme depuis le début de ce texte-, la possibilité de se faire agresser semble désormais hypothétique. Dans tous les coins et recoins, des policiers sont postés et veillent au grain. Ce qui se passe exactement, ceux qui creusent un peu le savent: le roi Mohammed VI a tout simplement pris ses quartiers.
Depuis le 4 avril 2023, il s’est installé dans son palais des Habous. Et comme à l’habitude qu’on lui connaît, il prend régulièrement la voiture pour circuler. Partout, on jure l’avoir vu; parfois à différents emplacements en même temps. Mais ce qui est sûr est qu’il cherche à mettre à profit son séjour pour mieux apprécier la situation dans la mégalopole. Casablanca, en tant que poumon économique du Royaume, lui tient, on le sait, particulièrement à coeur.
Il lui avait notamment consacré un large pan de son discours d’ouverture du parlement en octobre 2013 pour entre autres appeler à y mettre en place “des infrastructures et des services de base, répondant aux normes mondiales”. Et ce fait, ceux à qui échoit la mission en ont, normalement, tout le temps conscience; pas seulement lorsque le Roi est là. Pourquoi faut-il alors toujours, car il s’agit là en vérité d’une ritournelle, qu’ils attendent que ce dernier se manifeste pour mettre la main à la pâte? Parce qu’ils ont davantage la volonté de préserver leurs fauteuils que de servir le citoyen? Il est sans doute là, au final, le fond de vérité, même si bien sûr de l’autre côté les exceptions ne manquent pas. Si c’était vraiment l’intérêt du Casablancais que nos élus et autres cadres de l’administration avaient en tête, cela se serait, en tout cas, depuis longtemps su, et surtout vu.
Et le pire est que la frénésie à laquelle se retrouve en proie Casablanca à chaque visite royale ne fait en elle-même que représenter de façon miniature un mal bien marocain, à savoir le fait que le chef de l’État doive pratiquement tout suivre de très près pour que les choses avancent. Les exemples sont légions. On en donnera, pour rester court, deux, l’un positif et l’autre négatif. Le premier, c’est l’Afrique. Quand, il y a dix ans, le Maroc entamait son virage décisif envers son continent, avec notamment la tournée de Mohammed VI au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Gabon, il y eut un moment la réalisation que les projets lancés sur place n’étaient pas toujours menés à bout.
Suite à cela, le Palais donnait ses instructions pour la mise en place, à partir de mars 2014, d’une commission mixte public-privé pour le suivi des différents accords signés, et c’est cela qui permettra par la suite à l’entreprise africaine du Maroc de constituer le succès qu’elle est indéniablement maintenant, avec en premier lieu des gains politiques majeures vis-à-vis du soutien à son intégrité territoriale. Mais l’on parlait aussi d’un “mauvais” exemple, c’est celui de l’avortement.
Conséquemment au débat houleux ayant agité une rencontre-débat qu’avait accueilli en mars 2015 l’hôtel Sofitel à Rabat en présence notamment du ministre de la Santé, El Houssaine Louardi, Mohammed VI avait impulsé le lancement de consultations qui allaient aboutir deux mois plus tard à la remise d’un avis de nature à donner lieu à une réforme. Mais depuis lors, rien de concret n’a été fait après que, mû par les valeurs conservatrices qui sont les siennes, le Parti de la justice et du développement (PJD), qui dirigeait alors le gouvernement, a tout fait pour temporiser et jeter le processus aux orties. De son côté, Mohammed VI avait joué sa part de la partition.
C’est visiblement également le cas depuis quelques semaines à Casablanca. Mais le mieux serait sans doute que tout un chacun fasse lui-même du sien, sans besoin d’avoir quiconque sur le dos.