“Fiable, stable et sérieux”. Ces trois qualificatifs, c’est dans la bouche d’un diplomate occidental de haut niveau que Maroc Hebdo les a relevés, au cours d’un échange à bâtons rompus qui s’est tenu à l’issue de la visite de Stéphane Séjourné ce lundi 26 février 2024 à Rabat. Et ce qu’ils visaient, ce n’est pas le chef de la diplomatie française -il devra prouver sur la longue durée pour pouvoir les mériter-, mais le Maroc. “Votre pays, on sait qu’on peut compter dessus”, a assuré notre interlocuteur, la voix laissant clairement transparaître la sincérité de sa pensée. Et pour le moins, ce dernier est loin de faire figure de cas isolé.
Son de cloche du même ordre
Au cours des dernières années, c’est une flopée de responsables étrangers qui ont eu l’occasion d’exprimer un son de cloche du même ordre, aussi bien dans le cadre de déplacements in situ qu’en accueillant, dans le sens contraire, chez eux leurs homologues marocains. Bien évidemment, d’aucuns y voient le plus souvent sinon de la complaisance, du moins de simples amabilités tout-à-fait prévisibles dans le contexte des relations entre pays, y compris au Maroc. Mais c’est, ceci dit, faire l’impasse sur la réalité des faits, qui, eux, sont plutôt têtus: dans un intervalle d’à peine cinq jours, la capitale du Royaume a donc vu passer Stéphane Séjourné, précédé par le président du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, dans ce qui a constitué pour le premier son premier voyage en Afrique, et pour le second son premier voyage tout court à l’étranger depuis le renouvellement de la confiance du Congrès des députés à son égard le 16 novembre 2023. Très important, en soi-même, du point de vue des formes.
Et pour rester dans le même registre du symbolique, on soulignera aussi le fait qu’en ces deux occasions, la partie marocaine a réussi à arracher un soutien net et sans ambages à son initiative pour la négociation d’un statut d’autonomie dans le Sahara marocain, dont l’objectif est de permettre à la population de la région de pouvoir librement s’autodéterminer: on est, ainsi, clairement loin désormais de la donne d’il y a à peine trois ans, qui voyait la France “regrette[r]” par la voix de son ministre délégué chargé de l’Europe, Clément Beaune, que le parti présidentiel de La République en marche (LREM) se soit doté d’un comité à Dakhla, tandis que l’Espagne accueillait dans un de ses hôpitaux, sans du tout avoir pris le soin préalable d’en avertir le Maroc, le secrétaire général du mouvement séparatiste du Front Polisario, Brahim Ghali, atteint alors de Covid-19.
Des revirements qui, de l’avis unanime des interlocuteurs que nous avons eus à interroger pour le besoin de cet article, n’ont pu se faire que sur la base du caractère “fiable, stable et sérieux” du Maroc déjà mentionné plus haut. “Naturellement, chaque pays a ses considérations propres quand il s’agit de traiter avec un autre pays, mais on voit bien un recoupement dans ce fait que tous considèrent que non seulement ils peuvent faire des choses avec le Maroc, mais que quand ils les font c’est forcément au-delà du court terme, grâce essentiellement à la présence à la tête de l’État de l’institution monarchique. Connaît-on quelque chose d’analogue dans la région proche? Maintenant ce qui se passe souvent, c’est que vous avez des hommes comme [le président Emmanuel] Macron en France et [Pedro] Sanchez en Espagne qui arrivent avec leurs idées, souvent par trop brouillonnes du point de vue diplomatique, avant de les éprouver et de se rendre compte que le Maroc, il faut l’aider plutôt que de lui mettre des bâtons dans les roues, que c’est l’unique pôle de stabilité à mille lieues à la ronde et qu’il est impérieux qu’il demeure en l’état”, décrypte-t-on.
Administrations qui changent
Dans le discours qu’il avait prononcé en avril 2016 à Dariya, en Arabie saoudite, à l’occasion du premier sommet Maroc-pays du Golfe, le roi Mohammed VI avait d’ailleurs lui-même reconnu être “importuné” quand il se retrouve face à un homologue nouvellement installé auquel il faut accorder sa période de grâce pour se mettre notamment au parfum eu égard à la question du Sahara marocain; à l’époque, le Maroc se trouvait en différend ouvert avec l’administration du président américain Barack Obama, qui dès son investiture en janvier 2009 s’était mis en tête de remettre à plat le paradigme de Washington plutôt favorable à l’intégrité territoriale nationale. “Le problème reste posé avec les responsables des administrations qui changent en permanence dans certains (...) pays. À chaque changement, il faut déployer de grands efforts pour informer ces responsables du dossier du Sahara marocain, de toutes ses dimensions et de ses véritables dessous et leur rappeler que ce conflit, qui dure depuis plus de quarante ans, a fait de nombreuses victimes et occasionné d’importants coûts matériels, et que le dossier du Sahara est l’affaire de tous les Marocains, et non seulement celle du Palais royal”, s’était alors offusqué le Souverain.
Il faut toutefois préciser que depuis que, justement, les États-Unis avaient procédé à l’officialisation de leur reconnaissance, en décembre 2020, de la souveraineté du Maroc sur son Sahara, la réalité du terrain a, malgré certaines résistances au départ, notamment celles de l’Allemagne (qui, après une rupture de plusieurs mois, avait toutefois fini par faire machine arrière en décembre 2021), changé du tout au tout, et ce sont désormais à des positions d’État en règle, plutôt peu soumises en principe aux atermoiements impondérables des urnes, que l’on enregistre. Aussi, la crainte de plus en plus tenace de voir l’émergence d’un nouvel État sur le territoire du Sahara marocain, en l’espèce de la soi-disant “République arabe sahraouie démocratique” (RASD), mener à plus d’instabilité encore dans le corridor saharo-sahélien a sans doute achevé d’enterrer, aux yeux de la communauté internationale, l’entreprise séparatiste.
Mais il y a, en outre, un fait d’importance qui a, dans la même foulée, grandement aidé à asseoir la position du Maroc dans la région et à faire davantage ressortir sa sagesse, c’est celui des agissements primesautiers des dignitaires algériens: pris d’une rage visiblement folle à la suite de la décision américaine en faveur de la marocanité du Sahara marocain, d’autant plus que cette dernière avait été précédé 27 jours plus tôt par l’intervention des Forces armées royales (FAR) au niveau de la zone tampon de Guergarate, à la frontière maroco-mauritianienne, pour en déloger les milices du Polisario, la junte au pouvoir dans la voisine de l’Est multiplie depuis lors les faux pas, après avoir pendant quelques temps cru qu’elle pouvait résolument prendre le dessus sur le Royaume.
Plus besoin de s’embarrasser de gants
Ainsi, c’est en faisant fermer, à partir de novembre 2021, le gazoduc Maghreb-Europe qui approvisionnait la péninsule Ibérique en passant par le territoire marocain que le général Saïd Chengriha et cie ont fait que l’Espagne est devenu moins dépendante au gaz algérien et que quatre mois plus tard Pedro Sanchez n’avait plus besoin de s’embarrasser de gants pour qualifier le plan d’autonomie marocain comme la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend autour des provinces du Sud. Plus récemment, c’est surtout au niveau du Sahel que les galonnés d’El-Mouradia se sont illustrés: ne voyant pas venir le changement en cours dans la région qui a amené des militaires à prendre successivement le pouvoir depuis le tournant de la décennie -ils sont pourtant censés, de par leur statut propre, parfaitement connaître la mentalité-, ils se sont fâchés avec le Niger par-ci, le Mali par-là (lequel Mali refuse désormais tout bonnement l’application des accords d’Alger, signés en 2015 dans l’objectif de mettre fin au conflit en cours dans le Nord du pays depuis janvier 2012)... et cela au plus grand bénéfice du Maroc.
Déconfiture sahélienne de l’Algérie
Ayant, pour sa part, plutôt privilégié le dialogue -le Royaume avait été, en août 2020, le premier pays à prendre l’attache du colonel Assimi Goïta après qu’il a renversé le président malien Ibrahim Boubacar Keïta- et refusant à chaque fois de condamner des putschs qui semblent clairement disposer de l’appui des populations, la diplomatie marocaine n’a eu qu’à s’engouffrer dans la brèche; ce qui éclaire aussi d’ailleurs grandement le succès de l’initiative internationale de Mohammed VI pour favoriser l’accès des pays du Sahel à l’Atlantique, sanctionnée depuis Marrakech, le 23 décembre 2023, par les chefs des diplomaties burkinabè, malienne, nigérienne et tchadienne.
Si elle ne l’explique pas complètement, la déconfiture sahélienne de l’Algérie a, en outre, sans doute aussi contribué à encourager le revirement en cours de la France en faveur du Maroc, puisque c’est sur la base des soi-disant entrées algériennes au Sahel qu’Emmanuel Macron ménageait le “nif” de ses interlocuteurs d’outre-Kiss -le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, n’assurait-il pas en octobre 2020 lors d’une intervention publique que l’Algérie était “le seul pays au monde qui connaît parfaitement le Mali”? Et c’est aussi un secret de polichinelle que le président français escomptait que l’armée algérienne puisse, à terme, prendre le relais de l’opération Barkhane, notamment depuis le changement de Constitution de novembre 2020 l’autorisant pour la première fois à intervenir à l’extérieur du territoire national (Emmanuel Macron avait même annoncé, en février 2021 à N’djamena, un “réengagement” de l’Algérie au Sahel).
Décision intempestive
Dès octobre 2021, Emmanuel Macron aurait toutefois commencé à soupeser sa stratégie sahélienne s’appuyant sur l’Algérie, qui lui avait été initialement soufflée par son premier ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian -qui avait gardé des sympathies algériennes depuis ses années au Parti socialiste (PS)-, surtout après la décision intempestive d’interdire le survol par les avions militaires français de l’espace aérien algérien en raison des propos du locataire de l’Elysée contestant l’existence précoloniale de la nation algérienne; là aussi, une démonstration, une autre, de toute l’ineptie des responsables algériens actuels.
Pour clôturer le spectacle, l’Algérie a même, en cette fin du mois de février 2024, trouvé le moyen de froisser la pourtant très lointaine République démocratique du Congo (RDC), qui a fait convoquer l’ambassadeur algérien à Kinshasa dans la foulée de la visite effectuée, le 19 février 2024 au Rwanda, par Saïd Chengriha; déplacement que le pays de Félix Tshisekedi a considéré comme attentatoire à son intégrité territoriale (décidément une vieille rengaine) du fait du soutien rwandais connu aux séparatistes du Mouvement du 23 mars (M23) dans la région du Kivu. Qui sait, si demain, ce n’est pas avec la Russie elle-même, sa prétendue protectrice, qu’Alger finira par se fâcher, elle qui s’est de toute façon récemment mise à critiquer, par le soin de son ministère des Affaires étrangères, l’implication de la société militaire privée russe Wagner dans le Nord-Mali.
Recevant, en mars 2022, le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, Abdelmadjid Tebboune avait ainsi lui-même reconnu qu’en dehors de la Tunisie -que les Algériens tiennent, soit dit en passant, par les 300 millions de dollars qu’ils lui ont prêté en décembre 2021-, que “toutes” les “frontières” de l’Algérie étaient “en flammes”, signifiant par là même l’isolement diplomatique régional de son pays. Pendant ce temps, le Maroc continue, lui, donc de faire son bonhomme de chemin, sous la conduite éclairée d’un Roi qui a parfaitement su comprendre de quel bois était fait le monde et grâce auquel il arrive tant bien que mal à faire avancer ses intérêts, avec plus de légitimité et d’assise que jamais au sein du concert des nations. La marque aussi d’un État et d’une tradition diplomatique qui ne sont pas nés de la dernière pluie. Un luxe, fera-t-on remarquer, pour certains autres.