Il n’y pas que les “enseignants de demain” à faire du grabuge ces dernières semaines au Maroc. Dimanche 24 janvier 2016, plusieurs militants de la cause amazighe, défendant les droits des Imazighen, de langue amazighe, se sont réunis place des Nations unies dans le centre-ville de Casablanca pour protester contre des déclarations d’Abdelilah Benkirane à l’encontre des populations de la région du Souss, amazighophones. Comme une semaine auparavant, le 17 janvier 2016 à Agadir, capitale officieuse du Souss, les militants ont brûlé un portrait du Chef du gouvernement. “Si on savait que cela allait autant faire parler de nos manifestations”, nous déclare le militant amazigh Mounir Kejji, “on l’aurait fait depuis l’époque du Premier ministre Abbas El Fassi (2007-2012, ndlr), qui lui aussi s’acharnait contre l’officialisation de tamazight”, la langue amazighe.
M. Benkirane avait lors de l’ultime réunion, les 9 et 10 janvier 2016, du Conseil national du Parti de la justice et du développement (PJD), formation dont il est le secrétaire général, plaisanté sur la radinerie présumée des Soussis, les personnes originaires du Souss. “De combien un Soussi a-t-il besoin pour vivre?”, avait-il demandé, rieur. Des propos jugés “intolérables” et “inadmissibles” par les militants amazighs. “Nous ne céderons pas tant que le Chef de gouvernement n’a pas présenté ses excuses”, promet M. Kejji. “Nous sommes prêts à protester s’il le faut chaque semaine devant tous les sièges régionaux du PJD”.
Chantier retardé
Ce n’est pas la première fois que M. Benkirane fait face à la fronde du mouvement amazigh. Déjà en 2011, au cours de la campagne pour les élections législatives, il avait été critiqué pour avoir qualifié l’alphabet amazigh, le tifinagh, de “chinois”. “Il n’a même pas pris la peine de participer à la journée d’étude que vient d’accueillir, le 20 janvier 2016, la Chambre des conseillers (chambre haute du Parlement, ndlr) sur la loi organique relative à la mise en oeuvre du caractère officiel de tamazight”, fulmine M. Kejji. “Même pas un mot, une attention”.
Le 15 janvier 2016, le gouvernement Benkirane a enfin ouvert le chantier de l’officialisation effective de tamazight. Celle-ci est devenue en effet, au même titre de l’arabe, officielle dans la Constitution de 2011. Mais une loi organique doit encore définir le processus de mise en oeuvre de son caractère officiel. Beaucoup dans le mouvement amazigh mettent en doute cependant la bonne foi du gouvernement. D’abord il y a le retard, important, observé en la matière puisque près de cinq ans nous séparent déjà de l’adoption de l’ultime loi fondamentale.
Courrier électronique
Par ailleurs la manière dont a procédé l’Exécutif pour recevoir les propositions de la société civile a été considérée comme insultante. En effet, les propositions doivent être envoyées par courrier électronique, détaillait, le 14 janvier 2016, un communiqué, diffusé par l’agence de presse nationale MAP (Maghreb arabe presse), du département du Chef du gouvernement. “C’est totalement nous manquer de respect que de nous demander d’envoyer nos propositions à une adresse électronique”, s’insurge Mohamed Lihi, porte-parole de la Fédération nationale des associations amazighes (FNAA), principal collectif d’associations amazighes du pays. “Nos vues ne se limitent pas à des courriers électroniques”.
D’après la FNAA, le gouvernement aurait dû nommer une commission ad hoc, comme c’est le cas en temps normal quand il s’agit, poursuit-il, d’un projet de loi organique. La fédération y voit une façon pour le PJD de faire semblant d’être réceptif aux propositions du mouvement amazigh mais d’imposer en ultime ressort un projet correspondant aux sensibilités propres du parti, guidées par un arabo-islamisme militant. “Voyez, même pour le projet de loi organique relative au Conseil national des langues et de la culture marocaine, prévu lui aussi au titre de la Constitution de 2011, le gouvernement avait pratiquement boycotté notre mouvement”, rappelle M. Lihi. “Sur les 36 membres que le ministre de la Culture, Mohamed Amine Sbihi, avait nommés en novembre 2015 pour élaborer le projet, seuls cinq représentent les associations amazighes”.
“Le PJD est victime de son araboislamisme”, analyse Amina Ibnou- Cheikh, présidente déléguée pour le Maroc de l’Association mondiale amazighe (AMA), héritière du Congrès mondial amazigh (CMA). Elle rappelle qu’en 2011, devant la Commission en charge de la révision de la Constitution, le parti de la lampe avait été l’un des seuls à s’opposer à l’officialisation de tamazight. “Il acceptait que la langue devienne nationale, mais refusait qu’elle accède au statut de langue officielle”, se remémore Mme Ibnou-Cheikh. “Aux yeux du PJD, je crois, promouvoir tamazight, c’est automatiquement faire pièce à l’arabe”.
Agendas étrangers
Cette thématique d’un péril amazigh à l’encontre de la langue du poète Al-Moutanabbi est régulièrement reprise par les tenants de l’arabisme, qui accusent le mouvement amazigh de servir des agendas étrangers, notamment israéliens, du fait de visites qu’ont pu faire certains militants du mouvement dans l’Etat hébreu. En 2014, une partie des militants en question s’étaient retrouvés sur une liste publiée par l’Observatoire marocain de lutte contre la normalisation, dont M. Kejji, souvent taxé par des média nationaux d’agent du sionisme. C’est-à-dire agissant au profit d’Israël. “C’est une phrasélogie à laquelle ont depuis toujours recours les panarabistes pour discréditer notre mouvement”, explique M. Kejji. “Ce n’est pas parce que nous portons les revendications qui sont les nôtres que nous faisons nécessairement le lit du Mossad (le service de renseignement extérieur israélien, ndlr) ou que saisje encore”.
En novembre 2015, la politique du PJD à l’égard des Imazighen avait valu le qualificatif de “discriminatoire” au Maroc de la part du Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’Organisation des Nations unies (ONU), particulièrement s’agissant de l’éducation et de l’emploi. Le comité recommandait par conséquent au gouvernement de prendre les mesures idoines pour assurer aux populations amazighophones du pays la pleine jouissance de leurs droits. “Seuls 12% des élèves marocains ont d’après les statistiques que nous avons en notre possession pu bénéficier de cours de tamazight”, révèle M. Lihi. “Le plus souvent, cet enseignement s’arrête au primaire.
Quelque 180 enseignants, formés pourtant par le ministère de l’Education nationale, n’ont toujours pas été affectés”. Une situation qui, paradoxalement, serait pire qu’avant l’officialisation de la langue. “Le PJD n’a fait que renforcer la politique discriminatoire de l’Etat envers les Imazighen”, regrette Mme Ibnou-Cheikh