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PSYCHOSE. LA GRIPPE PORCINE TUE AU MAROC
- par Aissa Amourag
- 13-02-2019
- Société
POUR BEAUCOUP, ARRIVER À 16 MORTS EN À PEINE UNE SEMAINE, EST UNE SITUATION INTENABLE. CELA PROUVE L’ÉCHEC DE NOTRE SYSTÈME DE SANTÉ.
C’est certainement l’une des épidémies les plus meurtrières que le Maroc ait jamais connues depuis des années. Avec 16 morts en l’espace d’une semaine, selon le dernier bilan annoncé mardi 5 février 2019 par le ministère de la Santé, le virus A (H1N1), qui provoque la grippe porcine, a battu cette année tous les records épidémiologiques au Maroc. Un bilan appelé probablement à s’alourdir dans les prochains jours eu égard au contexte médical national peu performant et à la vague de froid qui persiste dans notre pays. Selon le ministère de la Santé, les décès sont dus à des complications en relation avec, au moins, un facteur de vulnérabilité, à savoir la grossesse, les maladies chroniques, l’âge avancé (plus de 65 ans) et le très jeune âge (entre 6 mois et 5 ans).
Ces nombreux cas de décès sont survenus dans plusieurs régions du Royaume avec huit cas enregistrés à Casablanca, trois à Tanger et un cas respectivement dans les villes de Rabat, Fès, Tantan, Azilal et Agadir. Force est de constater que l’épidémie prend chaque jour une ampleur considérable et gagne de plus en plus de terrain. Ce qui a conduit à créer un climat de panique, voire de psychose, chez les Marocains, qui ne savent plus à quel saint se vouer.
Propagation de la maladie
Ce climat médicalement délétère et pesant est probablement nourri par une communication cacophonique de la part des autorités sanitaires qui ont certes distillé des messages positifs pour rassurer l’opinion publique nationale. Mais, de l’avis de nombreux médecins, elles n’ont pas réussi à juguler la propagation de la maladie et surtout à sauver les vies humaines des personnes vulnérables.
Pour beaucoup, arriver à 16 morts en à peine une semaine -du 28 janvier au 5 février- est une situation intenable. Cela prouve l’échec de notre système de santé. De son côté, l’Organisation mondiale de la santé, à travers son bureau à Rabat, assure dans un communiqué, rendu public mardi 5 février 2019, que la situation épidémiologique actuelle ne doit en aucun cas inquiéter la population. Venant d’une organisation internationale comme l’OMS avec toute son armada de chercheurs et de professeurs assermentés, le message répond à une certaine dose de crédibilité. L’OMS ajoute que le système de surveillance de la grippe au Maroc fonctionne pleinement et génère toutes les données nécessaires aux actions de prévention et de riposte.
Climat de panique
Les scientifiques de l’OMS attestent que le virus qui circule le plus pour cette saison, au Maroc et à l’échelle mondiale, est le virus grippal A (H1N1), connu pour sa virulence et sa gravité, particulièrement pour les personnes à haut risque. D’où l’appel de l’OMS et des autorités sanitaires à l’adresse de ces personnes spécifiques d’aller se faire vacciner. Or, ce vaccin contre la grippe, connu sous la marque Vaxigrip, n’est pas disponible dans toutes les pharmacies et les officines médicales.
Alors que le ministère de la Santé annonce avoir approvisionné le marché national en quantités suffisantes, plusieurs pharmaciens, notamment à Casablanca, nous déclarent que ce vaccin est suspendu, ou du moins indisponible chez les laboratoires pharmaceutiques et les grossistes. En revanche, il est disponible chez l’Institut Pasteur, à Casablanca, au prix de 107 dirhams alors que son prix de vente public est de seulement 73 dirhams. Selon le directeur de l’Institut Pasteur, Abderrahmane Maaroufi, «la différence s’explique par la valeur de la prestation médicale et la piqure administrée au patient».
Mais d’aucuns ont crié leur colère par rapport à ce prix, qui n’est pas à la portée de tous les Marocains, notamment ceux à revenus modestes. Mais, malgré cela, tétanisés face à la propagation du virus, les Marocains n’ont pas hésité à prendre d’assaut le service de vaccination de l’Institut Pasteur, depuis le vendredi 1er février, quand le bilan était déjà arrivé à 5 morts.
Tout a commencé le lundi 28 janvier 2019 quand une femme enceinte, Yousra Habachi, 34 ans, est décédée à l’hôpital privé Cheikh Khalifa de Casablanca. C’est le premier cas déclaré de cette maladie, suivi, le lendemain, de son nouveau-né, qui était placé, dès sa naissance, sous respiration artificielle.
Réseaux sociaux
Venue de Fès où elle a contracté le virus A (H1N1), Yousra Habachi est arrivée à l’hôpital Cheikh Khalifa, le samedi 26 janvier, alors qu’elle présentait des symptômes très sévères de grippe avec une forte fièvre de 40 degrés, une toux aiguë avec des crachats sanglants et des vomissements fréquents. Face à une telle situation, les médecins de l’hôpital casablancais ont déclaré avoir fait le nécessaire mais son cas était considéré comme désespéré au deuxième jour de son hospitalisation. Ses proches, qui accusent en premier lieu le ministère de la Santé de négligence, avancent que les médecins de l’hôpital Cheikh Khalifa ne lui ont pas administré le Tamiflu à raison d’une dose toutes les deux heures.
Infections sévères
Accusation que réfutent catégoriquement les dirigeants de l’hôpital privé. Généralement prescrit contre la grippe porcine, notamment en France, le Tamiflu n’est pas encore généralisé à toutes les pharmacies marocaines, malgré les assurances du ministère de la Santé, qui affirme que d’importantes quantités de ce médicament ont été importées de l’étranger, soit environ 16.000 paquets.
Mais, pour l’OMS, comme pour plusieurs experts médicaux internationaux, le Tamiflu reste un traitement antiviral qui devra être uniquement réservé aux cas d’infections sévères, pris en charge dans les 48 heures suivant le début des manifestations cliniques.
«On ne traite jamais la grippe par des antiviraux, on traite les symptômes tels que l’écoulement nasal, les complications, la pneumopathie. Le Tamiflu lui-même est un médicament préventif, recommandé pour les patients ayant été en contact avec des malades», explique, pour sa part, le Pr Hicham Nejmi, secrétaire général du ministère de la Santé. Dans les pharmacies, le Tamiflu est vendu au prix de 322 dirhams. Un prix jugé élevé mais le ministre de la Santé, Anas Doukkali, a tenu à rassurer les Marocains en déclarant qu’il est proposé gratuitement dans les centres hospitaliers pour ceux qui présentent une carte Ramed.
Échange d’informations
Le jeudi 31 janvier, plusieurs cas ont été signalés à Casablanca, notamment dans certaines écoles privées. Ainsi, tôt le matin, le groupe scolaire Charles Péguy annonce, via un communiqué, qu’un fillette dans la très petite section (TPS), âgée de 2 ans et demi, est atteinte du virus H1N1.
Un autre cas a été signalé le même jour dans une autre école casablancaise, à savoir l’école internationale de Casablanca Almaz. Ce cas concerne une élève du primaire, rapidement prise en charge dans une clinique privée. D’autres écoles à Casablanca ont été touchées, notamment l’école Carré Junior ou encore l’école Massignon de Bouskoura. Ces nombreux cas ont suscité une peur noire chez les parents d’élèves, qui, via les réseaux sociaux, tentent d’échanger des informations sur la situation de la maladie et les mesures de prévention à prendre pour protéger leurs enfants. Du côté des écoles, la panique a très vite cédé la place à la mobilisation.
Entre désinfection générale des locaux, sensibilisation des élèves aux mesures d’hygiène et de propreté et prise en charge des cas affectés, la plupart des établissements scolaires ont montré une certaine réactivité face à l’ampleur de la maladie. Vendredi 1er février, le ministère de la Santé annonce 5 morts, puis samedi 9 morts, dimanche 11 morts et mardi 16 morts.
Une hausse vertigineuse de décès qui n’est pas près de s’arrêter. L’état d’épidémie est donc officiellement déclaré. Mais que faire alors en cas de suspicion de grippe porcine? Pour les experts de l’OMS, le premier réflexe doit être la consultation médicale, chez un pneumologue de préférence, sinon auprès d’un généraliste. C’est lui qui prescrira l’examen virologique des sécrétions. Cet examen se fait à l’Institut Pasteur à Casablanca, à l’Institut national d’hygiène à Rabat, dans tous les CHU, dans les laboratoires régionaux de santé publique, ainsi que dans les laboratoires privés qui sont équipés pour cela.
Une bonne hygiène
Le résultat, proposé entre 1.500 et 1.900 dirhams, est généralement disponible en 6 heures. L’OMS conseille également aux Marocains de prendre toutes les mesures de prévention nécessaires, notamment éviter tout contact étroit avec des personnes qui ne semblent pas bien portantes et qui présentent de la fièvre et une toux. Se laver les mains à l’eau et au savon fréquemment et soigneusement. Avoir une bonne hygiène de vie, à savoir, dormir suffisamment, s’alimenter correctement et conserver une activité physique. Des mesures simples qui pourraient sauver des vies humaines. Car, comme dit l’adage, «mieux vaut prévenir que guérir».