Le sommet des BRICS tenu le 24 août 2023 à Johannesburg a été l’occasion pour la diplomatie sud-africaine de vouloir mettre le Maroc dans l’embarras. Entre participation au sommet et demande d’adhésion, Pretoria n’a pas lésiné sur les fake news pour détourner l’attention de l’échec de son allié algérien à intégrer le groupement.
Le 10 août 2023, quelques jours avant la tenue du sommet des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), la ministre sud-africaine des Affaires étrangères, Naledi Pandor, avait indiqué que le Maroc, entre autres vingttrois pays, souhaitait intégrer le groupement, et qu’une délégation importante du Royaume allait participer à l’évènement. Dans un contexte de rivalité politique avec l’Algérie, dont le président Abdelmajid Tebboune n’a cessé d’assurer que son pays allait devenir membre des BRICS, allant même jusqu’à plaider sa cause directement à Moscou et Pékin, l’information tombait sous le sens pour certains observateurs peu avertis qui y voyaient là un nouveau terrain de guerre diplomatique entre les deux pays. Sauf que neuf jours plus tard, un communiqué des Affaires étrangères marocain allait se charger de recadrer froidement l’Afrique du Sud.
“En réponse à certains médias qui ont fait, récemment, référence à une hypothétique candidature du Royaume à l’adhésion au groupement «BRICS», ainsi qu’à son éventuelle participation à la prochaine réunion «BRICS/Afrique» (...), le Maroc rappelle qu’il ne s’agit pas d’une initiative des BRICS ou de l’Union africaine, mais d’une invitation émanant de l’Afrique du Sud, à titre national, c’est une réunion organisée sur la base d’une initiative unilatérale du gouvernement sud-africain».
En plus de l’information erronée et délivrée par la plus haute autorité diplomatique du pays, l’Afrique du Sud aurait multiplié les entorses protocolaires délibérées et provocatrices ayant émaillé l’invitation du Maroc à cette réunion. Pire, de nombreux pays et entités semblent avoir été invités arbitrairement par le pays hôte sans fondement réel, ni consultation préalable avec les autres pays membres du groupement BRICS.
Devant un tel affront, l’Afrique du Sud a fini par abattre ses cartes et dévoiler son jeu sournois. Le secrétaire général du mouvement séparatiste du Polisario, Brahim Ghali, a été invité en grande pompe pour assister au sommet. Une réponse aussi puérile qu’inutile. En effet, dans le communiqué final des pays membres relatant leur position sur les problématiques de droit international, ces derniers ont soutenu l’exclusivité de l’ONU dans la résolution du différend autour du Sahara marocain et ne parlent pas une seconde d’un prétendu rôle de l’Union africaine (UA), que le Maroc veut légitimement écarter légitimement des processus de règlement du fait de la partialité de certains de ses organes. La déclaration a ainsi souligné l’importance de parvenir à une solution à la question du Sahara marocain, conformément aux résolutions et aux paramètres du Conseil de sécurité, visant à parvenir à une solution politique durable.
L’humiliation algérienne, l’embarras sud-africain
Le sommet a également entériné et acté le rejet humiliant de la candidature algérienne, qui ne remplit aucun des critères requis pour rejoindre le groupe des économies performantes. D’ailleurs, ni M. Tebboune, ni son premier Ministre, Aïmene Benabderrahmane, ni même son ministre des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, n’ont voulu faire le déplacement et faire face à cet affront, en dépit des relations étroites avec le régime de Pretoria. Les BRICS ont fait des choix et des stratégies qui pour le moins contrastent avec les aspirations affichées par Alger de devenir membre d’un groupement avec qui, en fin de compte, elle ne semble n’avoir que bien peu de convergence. D’ailleurs, comme précisé par le ministère des Affaires étrangères du Maroc, il n’y a pas de circuit formel pour l’adhésion au BRICS. L’inverse est d’ailleurs bien plus vrai puisque les six pays -Emirats arabes unis, Egypte, Ethiopie, Argentine, Iran et Arabie saoudite - ont été invités. L’Arabie saoudite laisse même planer le doute en tardant à annoncer son acceptation de l’invitation. Le cas algérien est donc particulier.
Cette série de défaites diplomatiques des adversaires du Maroc s’explique par l’indigence de l’Afrique du Sud et son incapacité d’influer sur les décisions des géants économiques comme la Chine et l’Inde. En 2010, son intégration avait surtout pour but de servir de caution africaine au groupement et, de la sorte, élargir le sentiment anti-dollar ailleurs qu’en Asie et en Amérique latine. Sauf que depuis, le pays s’est embourbé dans le marasme sécuritaire et économique. La crise provoquée par la pandémie a affaibli une économie sud-africaine fragilisée par une décennie de croissance en berne, avec un produit intérieur brut (PIB) par habitant qui était déjà inférieur en 2019 à celui de 2008.
Le taux de chômage reste élevé, à quelque 35 %, et le chômage des jeunes est même supérieur à 50 %. Parallèlement, les tensions sur les dépenses augmentent puisqu’il faut combler des déficits de financement dans la santé, les infrastructures et l’enseignement supérieur. D’ailleurs, le pays a échappé de peu à la récession. Après une contraction du PIB sud-africain de 1,1% au dernier trimestre 2022, Pretoria a dû pousser un ouf de soulagement en découvrant que l’économie a réalisé une toute petite croissance de 0,4% du premier trimestre 2023 selon les données. Avec les tensions raciales qui minent le pays, plusieurs observateurs voient l’Afrique du Sud comme le “boulet” des BRICS.
De son côté, le Maroc développe des relations privilégiées avec les membres sans y adhérer. Outre le Brésil, la Chine et la Russie, avec qui les relations sont au beau fixe, les relations avec l’Inde ont connu une évolution spectaculaire. Les relations indo-marocaines, traditionnellement cordiales, se sont un temps heurtées à la question du Sahara marocain. Suivant la politique de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA), New Delhi avait en effet reconnu la pseudo “République arabe sahraouie démocratique” (RASD) en octobre 1985. Cette dernière a même ouvert une ambassade dans la capitale indienne. Il va sans dire que cette décision, qui correspondait aux positions algériennes, allait à l’encontre des intérêts marocains. L’imbroglio a pris fin lorsque la partie indienne a retiré sa reconnaissance de la RASD en juin 2000, supprimant de la sorte un irritant important dans sa relation avec le Maroc. En février 2001, le roi Mohammed VI avait effectué une visite d’État en Inde, comme pour marquer un nouveau départ dans les relations bilatérales.
Ce feuilleton a démontré que la politique diplomatique marocaine, qui est celle de la neutralité positive (cas de la guerre russo-ukrainien), de la sauvegarde et de la stabilité des échanges, demeure plus payante sur le long terme que le discours “anti-impérialiste” de façade. L’Algérie, qui a pourtant fini par s’aligner totalement sur Moscou dans le conflit face aux forces de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), n’a pas récolté grand-chose de sa perte de souveraineté diplomatique, bien au contraire...