PROPOSITIONS POUR LA NATIONALISATION DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

L’ETAT DOIT-IL REPRENDRE LA MAIN?

Le bureau politique de l’USFP propose de nationaliser les entreprises en difficulté. La solution la meilleure en ces temps de Covid-19 ?

A priori, les deux informations n’ont pas de relation directe. Sauf qu’elles l’ont. La première, c’est celle qui se rapporte au début de l’exploitation par l’Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM), depuis ce 2 juin, des réservoirs de la Samir. Elle fait suite à la demande qu’avait formulée dans ce sens, le 12 mai, l’Etat à la justice, laquelle avait deux jours plus tard opiné. En filigrane, l’objectif est de pouvoir constituer un stock d’au moins 60 jours de pétrole, comme le permettent lesdits réservoirs, en profitant des prix particulièrement bas du baril à l’international depuis quelques semaines, de l’ordre de -38,94 dollars même le 20 avril à New York, soit un record historique. Ce qui permettrait d’alléger quelque peu une facture énergétique habituellement salée eu égard à l’absence d’or noir dans le sous-sol national. “Ces mesures exceptionnelles et circonstancielles auront un impact bénéfique sur la société, le secteur des hydrocarbures et l’approvisionnement du marché national,” prévoit ainsi, d’ores et déjà, le ministre de l’Énergie, des Mines et de l’Environnement, Aziz Rabbah, qui s’est exprimé par voie de communiqué.

Quant à la deuxième des deux informations susmentionnées, elle a trait au communiqué du même jour du bureau politique de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), suite à sa réunion des 27 et 28 mai, et plus particulièrement le point suivant relatif aux entreprises: “Quant à [ces dernières], il y a possibilité de racheter les dettes de certaines d’entre elles, voire de participer à leurs capitaux en vue d’alléger le poids des crédits sur leurs budgets et de leur permettre de continuer à investir et à embaucher et leur nationalisation intégrale ou partielle en vue de les protéger de la faillite,” souligne-t-il.

Les déboires de la privatisation
Une petite phrase, en tout et pour tout, mais qui a suscité de larges commentaires dans les médias, en ce sens qu’elle a divisé: d’un côté, des partisans de cette “nationalisation”, qui y voient une solution nécessaire en ces temps de pandémie de Covid-19 pour relancer la machine économique, ce alors que l’Etat s’est avéré, pour eux, le seul agent finalement fiable; de l’autre, les refuzniks totaux qui voient dans la gestion publique un simple oxymore. On ne peut, bien sûr, que relever le cynisme de la position de l’USFP, qui a maintes fois repris au cours des dernières semaines, par la voix de son premier secrétaire, Driss Lachgar, la même proposition, alors que le parti a, bien qu’étant socialiste, sinon lancé, du moins poursuivi sous feu Abderrahmane Youssoufi le mouvement de privatisation enclenché au début des années 1990 par le gouvernement Mohamed Karim Lamrani V; néanmoins, le postulat, en soi, peut sembler juste, dans la mesure où le privé n’a, de nombreuses fois, lui-même pas tenu ses promesses.

Et c’est justement le cas pour la Samir, qui n’a connu que des déboires depuis sa privatisation en mai 1997, jusqu’à être liquidée par la justice dans la première moitié de l’année 2016, et faisant perdre, au passage, au Maroc une partie de son indépendance énergétique. Or le retour de l’Etat, même partiel, aux affaires de la société illustre bien le fait que tout n’est pas nécessairement perdu et peut être rattrapé. Au cours des dernières années, les pouvoirs publics marocains ont ainsi prouvé que, contrairement à ce que l’on pouvait avancer, ils sauraient même mieux faire que le privé, comme c’est le cas par exemple du groupe OCP, qui de holding en faillite est passé aujourd’hui, sous l’impulsion de Mostafa Terrab, à principale machine à cash du pays.

Ce dernier révélait ainsi à la Chambre des représentants le 18 décembre, où il était intervenu devant la commission du contrôle des finances publiques, que depuis son arrivée aux commandes en février 2006 la contribution du géant phosphatier au budget du Trésor était passée de 70% à, désormais, 5 milliards de dirhams. Une manne qui, tout simplement, se serait aujourd’hui retrouvée entre les mains de particuliers si la privatisation du groupe, un temps dans le pipe, avait été actionnée. D’ailleurs, outre la question pure de souveraineté, l’intérêt pour l’Etat d’être présent dans des entreprises est de bénéficier de revenus autres que l’impôt, qui en fin de compte demeure restreint.

Finances publiques
Pour la seule année 2020, les recettes non-fiscales ont ainsi permis de recueillir 25,2 milliards de dirhams au profit des finances publiques. Il y a, dans ce sens, lieu de rappeler que le gouvernement de Saâd Eddine El Othmani et plus exactement le ministre de l’Economie, des Finances et de la Réforme de l’administration, Mohamed Benchaâboun, avait pris la décision de privatiser plusieurs entités publiques, dont l’hôtel La Mamounia de Marrakech et la centrale thermique de Tahaddart, afin de pouvoir financer 4% de son budget à l’horizon 2024 et ainsi rester en deçà de la limite de 3% de déficit public imposée par le Fonds monétaire international (FMI) en échange de la ligne de précaution et de crédit (LPL) -sur laquelle l’argentier du Royaume avait d’ailleurs fini par tirer le 7 avril pour contrebalancer le choc sur les réserves de change nationales.

Et d’ores et déjà, il avait, dans ce sens, procédé à la cession, au début de l’été 2019, de 8% de ses actions dans l’opérateur téléphonique Maroc Telecom, dont il ne détient désormais plus que 22% des parts, en sus du transfert, en novembre, de cinq centres hospitaliers universitaires (CHU) à la Caisse marocaine des retraites (CMR) contre la bagatelle de 4,5 milliards de dirhams. Au final, est-ce vraiment la bonne approche à suivre?

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