"Le gouvernement ou la majorité qui le compose ne peut pas légiférer seul"

interview de Younes Mjahed, président du Conseil national de la presse (CNP)

Le président du CNP a dénoncé l’introduction à la dernière minute dans l’ordre du jour du conseil de gouvernement du 19 mars 2020 du très controversé projet de loi 22.20 qui porte atteinte même à la liberté d’expression et de presse. Selon lui, le gouvernement a violé la loi en omettant de se concerter avec le CNP à ce sujet.

Vous avez publié un communiqué de presse où vous dénoncez le projet de loi 22.20. Est-ce que vous trouvez qu’il y a un risque pour la liberté de la presse?
Effectivement, il y a un risque pour la liberté de la presse. Lors de l’assemblée générale du CNP, réunie le 30 avril 2020, nous avons estimé que le gouvernement a agi en violation de l’article 2 de la loi portant création du Conseil, qui lui confère le droit de se prononcer sur ce type de texte. Le CNP s’accroche à son droit de donner son avis sur les dispositions de ce projet de loi. Une lettre dans ce sens a été adressée au Chef du gouvernement.

Nous étions d’ailleurs la première instance à dénoncer ce projet de loi. Le 19 mars 2020, nous avons vu l’ordre du jour du conseil du gouvernement et nous avons constaté à notre stupéfaction l’infiltration de ce projet de loi dont le titre évoquait la liberté de la presse. Tout ce qui se rapporte aux réseaux sociaux et aux réseaux de diffusion est intimement lié à la presse et à l’édition. Il y a de grandes interactions entre les deux. Ce projet de loi n’était pas programmé à l’ordre du jour.

Il y a été ajouté à la dernière minute. Nous avions alors envoyé, dans la matinée et bien avant la tenue du conseil de gouvernement, une lettre dans ce sens au Chef du gouvernement. J’ai moi-même appelé son cabinet et je leur ai fait part de mon inquiétude par rapport à ce projet et de la nécessité, en vertu de la loi, de se concerter avec le Conseil national de la presse (CNP). Je leur ai expliqué que ce n’est pas un simple projet de loi pour le faire adopter en catimini et qu’il fallait engager un débat national avec les instances concernées.

Avez-vous eu un retour du cabinet du Chef du gouvernement à ce propos?
Depuis, je n’ai reçu aucune réponse. La méthodologie du gouvernement pose problème car elle écarte les instances publiques et n’engage pas un débat national lorsqu’il s’agit de textes de loi qui ont une dimension sociétale et de liberté d’expression. Le gouvernement ne peut pas nous sortir des projets de loi qui ont des répercussions importantes sur l’exercice des libertés et les faire passer sans engager un débat national autour.

Et sans consulter et se concerter ni avec le CNP ni avec le Conseil national des droits de l’Homme. C’est inconcevable. D’ailleurs, le projet du code de la presse a nécessité un débat de plusieurs années. Et même quand le CNP n’existait pas, le code la presse a été discuté avec les professionnels, le Syndicat national de la presse marocaine, la Fédération marocaine des éditeurs de journaux...

Voulez-vous dire que le gouvernement ignore l’approche participative stipulée par la Constitution?
Le gouvernement a cherché à faire passer une loi expresse. Bien entendu, l’approche participative prônée par la Constitution n’a pas été respectée. Le gouvernement, ou la majorité qui le compose, ne peut pas légiférer seul. Ce n’est pas parce qu’il a la majorité qu’il peut tout écraser sur son chemin et ignorer le reste du monde.

Articles similaires