Présidentielles françaises : Et maintenant?

Maintenant réélu, Emmanuel Macron mettra-t-il à profit son deuxième quinquennat pour rectifier le tir avec le Maroc, après un premier quinquennat des plus banals?

Deux phrases en tout et pour tout, l’une pour “exprime[r] ses félicitations” et “formul[ er] ses voeux de succès”, et la deuxième pour “se félicite[r] de la profondeur des liens multidimensionnels qui unissent les peuples marocain et français”: le message adressé le 25 avril 2022 par le roi Mohammed VI au président français Emmanuel Macron à l’occasion de sa réélection le même jour, du moins tel que rapporté par l’agence Maghreb arabe presse (MAP), a, pour le moins, été laconique.

Une impression qui rejaillit d’autant plus quand on le compare à celui de début mai 2017, à la première élection de M. Macron à la tête de la France: la dépêche que la MAP y avait alors consacrée avait à elle seule compris neuf paragraphes, dont l’un avait mis en exergue les “hautes qualités humaines et intellectuelles” de M. Macron, tandis que le dernier paragraphe faisait part de la volonté du roi Mohammed VI à “consolider [la] coopération exemplaire [entre le Maroc et la France] afin que [lui et son homologue français] relev[assent] les multiples défis qui interpellent [l’]espace euro-méditerranéen et la région sahélo-saharienne”. Deux jours après le message, le roi Mohammed VI prendra même le téléphone pour échanger avec M. Macron, suite à quoi un communiqué du Cabinet royal sera publié pour révéler que “l’entretien a été l’occasion pour relever le caractère singulier des relations qui lient [le Maroc et la France] dans l’ensemble des domaines, ainsi que la volonté partagée de consolider et d’enrichir ce partenariat d’exception”.

Sur cette base, on ne peut donc pas dire que la teneur du dernier message du roi Mohammed VI n’est pas à être interprétée comme la manifestation d’un certain mécontentement de la part du Maroc à l’endroit de M. Macron. Les raisons n’en manqueraient de toute façon pas, comme on l’avait relevé dans nos précédents numéros. Tout au long de son premier quinquennat, il n’y a eu, certes, pas de crise diplomatique ouverte comme celle qui avait fait suite à la tentative de convocation, en février 2014, du directeur général de la Surveillance du territoire national (DGST), Abdellatif Hammouchi, par la justice française pour une affaire de torture qui s’est avérée montée de toutes pièces par l’ancien kickboxeur Zakaria Moumni.

Mais c’est davantage à mettre sur le compte de la retenue du Maroc que du factuel, qui, en lui-même, a donné plus d’une fois l’occasion au Royaume de monter sur ses grands chevaux sans qu’il ne choisisse finalement de le faire. A titre d’exemple, on peut citer la sortie intempestive contre le soi-disant “séparatisme islamiste” du 2 octobre 2020 de M. Macron lui-même, qui avait alors nommément mentionné les imams et psalmodieurs marocains -ainsi que turcs et algériens- pour dénoncer les “influences étrangères” sur l’islam en France. Avait-il vraiment besoin de citer leur nationalité?

En tout cas, l’impression qui en était sortie est qu’aussi bien lui que les responsables gouvernementaux qu’il avait désignés se servaient notamment du Maroc comme punching-ball pour gagner des points face à l’extrême droite, ce que ne pouvait que confirmer la décision prise un peu moins d’un an plus tard, le 28 septembre 2021, de réduire le nombre de visas octroyés aux Marocains au même titre que les Algériens et les Tunisiens au prétexte que leurs “pays n’acceptent pas de reprendre [leurs] ressortissants” -dixit le secrétaire d’État auprès du Premier ministre, porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, sur la radio Europe Matin-, à un moment où le polémiste Éric Zemmour et son programme anti-immigration étaient annoncés au second tour des présidentielles.

Punching-ball
“La décision [de la France] est souveraine. Le Maroc va l’étudier, mais les raisons qui la justifient nécessitent de la précision, un dialogue, car elles ne reflètent pas la réalité,” se contentera de réagir le même jour, lors d’une conférence de presse donnée à Rabat aux côtés de son homologue mauritanien Ismail Ould Cheikh Ahmed, le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, mais on sait grâce au livre “La Nuit tombe deux fois” publié le 23 février 2022 par les journalistes Corinne Lhaïk et Eric Mandonnet que dans les coulisses M. Macron avait dû s’y prendre à trois reprises pour avoir le roi Mohammed VI au téléphone et lui expliquer la décision de son gouvernement.

A cela, on peut également ajouter la sortie du 2 décembre 2019 du ministre de l’Économie français, Bruno Le Maire, qui, au cours de la grand-messe de l’automobile française qu’est la Plateforme automobile, avait déclaré ne pas vraiment goûter le “modèle de développement” qui amène des constructeurs comme PSA et Renault à délocaliser certaines de leurs usines en Slovaquie, en Turquie, et… au Maroc; ce sur quoi il reviendra discrètement lors d’une visite moins de deux mois plus tard à Rabat mettant en exergue le fait que “la France souhaite un partenariat gagnant- gagnant” avec le Royaume.

Ces différents faits peuvent toutefois être considérés, en dernière instance, comme des broutilles quand on les met à côté de ce qui doit sans doute constituer la principale pomme de discorde avec le Maroc: la question du Sahara marocain. Sur ce point, “la position de la France (...) est constante, en faveur d’une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies”, comme l’avait rappelé le 21 mars 2022 la porte-parole du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères français, Anne- Claire Legendre, lors d’un point-presse où elle avait également précisé que “dans cette perspective, le plan d’autonomie marocain est une base de discussions sérieuse et crédible”.

Sauf que dans les faits, on avait vu le 13 avril 2021 le secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, Claude Beaune, “regrette[r]” la décision de La République en marche (LREM), le parti de M. Macron, de se doter d’une antenne à Dakhla, au Sahara marocain, et la qualifier d’“initiative prise localement”. Là aussi, le Maroc n’avait rien dit, mais il va sans dire que le propos a dû indisposer à plus d’un titre à un moment où le Royaume se trouvait en confrontation avec l’Allemagne en raison notamment de sa mobilisation au niveau du Conseil de sécurité contre la décision des États-Unis de reconnaître la marocanité du Sahara marocain et alors que la crise avec l’Espagne était sur le point d’éclater suite à la décision de la voisine du nord d’hospitaliser, sans en référer aux autorités marocaines, le secrétaire général du mouvement séparatiste sahraoui du Front Polisario, Brahim Ghali, atteint de la Covid- 19.

Position ambiguë
L’Allemagne et l’Espagne ont d’ailleurs changé depuis lors de position, le deuxième pays cité allant depuis le 14 mars 2022 jusqu’à considérer l’initiative pour la négociation d’un statut d’autonomie comme “la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend” autour du Sahara marocain, ce qui met en question le fameux “en même temps” pour lequel on critique souvent même en France M. Macron, qui essaie toujours de maintenir la position la plus ambiguë possible. Jusqu’à quand va-t-il rester sur la même ligne? Et le peut-il?

Enfin, il ne faut pas non plus négliger qu’en dehors de M. Macron, une partie de l’establishment français ne semble pas voir d’un bon oeil un raffermissement des relations avec le Maroc: on sait par exemple que son ministre de l’Europe et des Affaires étrangères et, il faut le souligner, ex-ministre de la Défense sous la présidence de François Hollande, Jean-Yves Le Drian, a un penchant plutôt pour l’Algérie car il considère que la sécurisation du Sahara et du Sahel en Libye et au Mali passe par la voisine de l’Est, tandis qu’au plan économique, ils sont nombreux à avoir désormais le Maroc comme un concurrent direct notamment en Afrique de l’Ouest, où le Royaume est au fur et à mesure devenu le premier investisseur africain et a pris les parts de marché classiquement françaises dans les services, les télécoms et le BTP.

Lequel plan économique recouvre par ailleurs également le contexte à proprement parler maroco-marocain, où l’on sait que les dirigeants français aimeraient bien que la France garde la place privilégiée qui fut pendant un long moment la sienne: problème pour elle, le Maroc a opté pour la diversification de ses partenaires, s’apprêtant par exemple à offrir la construction de la future ligne à grande vitesse (LGV) Casablanca- Marrakech-Agadir à la Chine, ou, à un niveau plus stratégique, faisant le choix délibéré d’acheter son armement auprès des États-Unis plutôt que d’elle (l’oncle Sam devrait notamment s’accaparer la part du lion dans les 20 milliards de dollars d’investissement militaire que les Forces armées royales (FAR) sont actuellement en train d’effectuer).

Pour ainsi dire, et comme le soulignait le roi Mohammed VI dans un discours resté célèbre qu’il avait prononcé à l’occasion du premier sommet Maroc-Pays du Golfe fin avril 2016 à Dariya, en Arabie saoudite, “le Maroc (...) n’est la chasse gardée d’aucun pays”, et on pourrait également ajouter ceci, comme le rappellent par ailleurs souvent de nombreux responsables marocains: le Maroc d’aujourd’hui n’est de toute façon plus celui d’hier. A M. Macron de prendre donc en considération la nouvelle donne et de mettre à profit son deuxième quinquennat pour rectifier le tir; s’il ne le fait, le Maroc pourrait y perdre, mais il ne sera alors sans doute pas le seul...

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