
C’est un exercice périlleux auquel s’est livré Abdelmoughit Benmessaoud Tredano. Il tente, comme il le précise luimême, d’expliquer «ce qu’est le politique, ses fonctions dans toute société (…) La situation au Maroc, l’évolution du politique, son rôle et les rapports de force ayant animé les différents acteurs politiques depuis l’indépendance.» Un sujet tellement vaste et traversant cinq décennies de la vie politique et sociale du pays. Pour l’auteur, «la force et la ruse sont effectivement les ingrédients du fonctionnement du politique mais elles ne peuvent suffire; pour que le rapport de ce dernier avec la communauté de citoyens soumis à son autorité soit fluide, un élément capital doit régir ce rapport: c’est la confiance.»
La difficulté du sujet vient du fait que certains faits politiques analysés relèvent toujours du factuel brûlant, puisque l’auteur consacre une bonne partie du dernier chapitre de son livre au blocage qu’a connu la formation du gouvernement Benkirane 2 et le remplacement de ce dernier par Saâd Eddine El Othmani.
Accumulation historique
En l’absence de recul, il est toujours difficile d’apporter des éclairages pertinents, sinon on tombe dans la compilation de faits et de conclusions généralement hâtives. Cela relève du travail du journaliste plus que de celui du chercheur. L’auteur du livre, lui-même pendant des années un acteur politique, a-t-il réussi à dépasser cet écueil?
Difficile d’apporter une réponse claire à cette question. Mais il est clair que M. Benmessaoud Tredano se montre plutôt critique à l’égard d’une situation politique pour le moins confuse. Il se pose d’ailleurs une série de questions sur le modèle démocratique marocain. Il écrit notamment:«- Sommes-nous dans une démocratie? Évidemment non. Tout simplement parce que nous ne pratiquons pas tous les ingrédients de la démocratie. La raison est simple, nous n’avons pas eu l’accumulation historique que les pays démocratiques ont connue. Sommes-nous dans une dictature? Non. Parce qu’il y a quelques embryons d’un système démocratique. Enfin, sommes-nous dans une transition démocratique? Encore non. Pourquoi? La transition suppose un cap et des étapes. On ne peut être depuis 1975 dans une transition éternelle. Alors dans quelles situation historique sommes-nous sur le plan politique?»
Il faut dire que le factuel politique au milieu duquel le livre a été bouclé et édité n’incite point à l’optimisme ou à une lecture plus posée. Loin de là. M. Benmessaoud Tredano donne le ton en se posant la question suivante: qui fait le système? Pour y apporter une réponse, il se réfère à l’historien Abdellah Laroui en disant que ce dernier «avait du doute: “chaque fois qu’il rencontrait Hassan II en tête-à-tête, Laroui raconte qu’il se posait toujours la même question: est-ce lui qui a créé le système sous lequel nous vivons? (…) mais que nous finissons par accepter; ou bien c’est le Maroc de toujours, s’il est vrai qu’il existe (…), qu’il a produit dont il a été autant que nous tous une victime consentante”.»
En définitive, le livre de M. Benmessaoud Tredano a l’avantage de poser et de rappeler certaines questions liées à la vie politique nationale. Il ouvre le débat sur un sujet toujours d’actualité, à savoir quel acteur politique avons-nous ou voulons- nous?.