La banque centrale doit faire face à une hausse des prix qui est essentiellement importée, mais ne peut néanmoins, face à la pression des institutions financières internationales, rester les bras croisés.
On Ce n’est visiblement pas de sitôt que le taux d’inflation devrait revenir à la moyenne de 1-2% enregistrée il y a encore une année au Maroc et qui faisaient du Royaume un modèle au niveau du monde arabe et de l’Afrique. Intervenant au symposium sur l’investissement et le rôle de l’État territorial organisé le 8 février 2023 à Rabat par le Conseil du développement et de la solidarité (CDS), le wali de Bank Al Maghrib (BAM), Abdellatif Jouahri, avait fait part de ses doutes à ce propos, soulignant que “les risques demeurent élevés en lien avec l’enlisement et un éventuel élargissement du conflit en Ukraine”. “Les resserrements monétaires décélèrent certes, mais devraient se poursuivre et en conséquence les taux d’intérêt resteraient encore élevés,” avait-il également déclaré.
Quid de BAM? Au vu des éléments mis en exergue par M. Jouahri lui-même, que fait la banque centrale pour endiguer l’inflation? Dans les faits, la stratégie de BAM a principalement consisté au cours des derniers mois à augmenter son taux directeur, c’est-à-dire le taux auquel elle prête elle-même de l’argent aux banques. Ce taux, il atteint désormais les 2,5%, après avoir été de 1,5% jusqu’à septembre 2022, soit une différence de 100 points de base. Au plan régional, c’est un taux qui reste plutôt faible et n’est concrètement surtout pas pour enrayer la croissance, comme cela semble la préoccupation de nombreux décideurs de par le monde qui redoutent que tout changement à la hausse des taux directeurs -les resserrements monétaires auxquels M. Jouahri a fait référence- ne finisse par provoquer un ralentissement autrement mortifère.
A cet égard, la Banque mondiale elle-même table sur une appréciation du produit intérieur brut (PIB) national de l’ordre de 3,1% au cours de l’exercice 2023. Sauf que d’aucuns estiment que quoi qu’il en soit, BAM n’a pas vraiment de réelle prise sur le taux d’inflation actuel et ne peut, au mieux, que l’influencer marginalement. Comme M. Jouahri l’a lui-même laissée entendre, l’inflation à laquelle fait actuellement face le Maroc est, en effet, principalement importée et a été notamment provoquée par l’invasion en cours depuis fin février 2022 de l’Ukraine par la Russie. La guerre qui s’est suivie de cette invasion, pas prête, aux dernières nouvelles, de prendre fin, avait, ainsi, chamboulé les chaînes d’approvisionnement de nombreux produits dont les deux pays impliqués sont des exportateurs reconnus.
Facture énergétique salée
Parmi les produits concernés, le pétrole, qui, après avoir enregistré un trend baissier continu à partir de juillet 2014 jusqu’à tomber sous zéro dollar le baril en avril 2020, allait voir son prix exploser au fur et à mesure. Au Maroc, l’impact allait être pour le moins immédiat, rendant les frais de transport de plus en plus intenables et nécessitant même après quelques semaines de conflit, et ce dès mars 2022, que le gouvernement mobilise 15 milliards de dirhams (MMDH) supplémentaires en urgence pour pouvoir subventionner les professionnels.
Le Royaume étant, par ailleurs, importateur, il allait également voir sa facture énergétique se saler outre mesure; ce qui allait notamment affaiblir davantage le dirham face au dollar, dans lequel s’échangent principalement les produits énergétiques à l’international, et ajouter par la même à une inflation devenue entretemps d’ores et déjà galopante -étant donné que le dollar coûte plus cher, les produits qui s’achètent avec lui se font également, conséquemment, plus chers. Fait intéressant, M. Jouahri avait lui-même renvoyé, dans des propos tenus le 21 juin 2022 à l’issue de la deuxième réunion trimestrielle du conseil de BAM, au fait que ce qu’il avait appelé “les pressions inflationnistes” soient imputables à “des facteurs d’origine externe”, avant de procéder moins de trois mois plus tard donc à la revue des taux directeurs.
S’était-il dit, et BAM avec lui, qu’ils pouvaient toujours chercher à abaisser la demande, quoique ce n’est pas cette demande qui ait été à l’origine de l’inflation, en espérant à la longue présenter des chiffres meilleurs? On peut le croire, mais on en concluerait alors que le pas de M. Jouahri aurait in fine été davantage politique que purement économique, et certaines mauvaises langues ne laisseront sans doute pas de dire, au passage, que les principales parties visées sont essentiellement les institutions financières internationales qui, comme chacun le sait, passent régulièrement au crible les politiques macroéconomiques adoptées par le Maroc.
Chocs externes
Si tel est vraiment le cas, ces institutions voient de toute façon les choses de manière différente, à savoir que pour résister à des chocs externes comme justement la guerre en Ukraine ou, avant, la pandémie de Covid-19, le mieux est de disposer d’un régime de change flottant qui ferait qu’une recrudescence des prix des produits importés amènerait à une baisse de la demande qui leur est destinée et de là affecterait positivement le taux d’inflation.
Or, l’on sait qu’à ce niveau aussi bien M. Jouahri que l’appareil étatique marocain s’opposent catégoriquement à tout abandon du régime à taux fixe et ne manquent jamais de communiquer leur niet aux parties concernées. En outre, lesdites institutions insistent également pour que les pouvoirs poursuivent leur politique de décompensation de l’économie, en ce sens que la situation actuelle profiterait essentiellement aux riches; propos que vient encore de tenir à peine le 9 février 2023 à la chaîne satellitaire panarabe “Asharq” le directeur pays de la Banque mondiale pour le Maghreb et Malte, Jesko Hentschel.
Paradoxalement, la décompensation est, cependant, directement derrière l’inflation, puisque le relèvement des prix à la pompe n’est qu’une conséquence de la libéralisation actée en décembre 2015 par le gouvernement Abdelilah Benkirane. En conséquence, le Maroc se voit pratiquement sommé de faire le tout et son contraire, sans que dans l’un et l’autre cas il ne puisse s’en tirer à bon compte. Verra-t-on M. Jouahri faire, au cours des mois à venir, de la résistance?