OÙ EN EST LE PLAN "MAROC CULTURE"?

EL FERDAOUS DÉVOILE SON PROGRAMME

Mesure-t-on comme il se doit que la culture est un levier et un vecteur de développement, créateur d’emplois? Il faut tourner le dos à une approche par trop folklorique pour se hisser au niveau d’une véritable industrie culturelle.

De la bonne volonté, il paraît en avoir; de l’esprit de décision, aussi; du concret, enfin, et non des effets d’annonce, oui sans doute. Le nouveau ministre de la Culture, de la Jeunesse et des Sports, Othman El Ferdaous, nommé voici deux mois et demi, semble désireux de prendre rapidement ses marques et d’imprimer son empreinte. Pour ce qui est du département de la culture -pour les deux autres, il n’y a rien encore...- il a dévoilé sur les réseaux sociaux, un programme pour les mois à venir. Il s’en est expliqué en avançant «l’apport des créateurs, artistes et auteurs, dans la fabrication du lien social, de la cohésion et de la capacité d’innovation». D’une autre manière, il s’agit «d’atténuer l’impact socioéconomique de l’état d’urgence sanitaire ». Des mesures donc mais il reste à les mettre en perspective: demain, en 2021 et au-delà. Qu’en sera-t-il?

Une réflexion stimulante
Pour l’heure, il faut le créditer d’une volonté de mettre fin à une situation où la carence de ses deux prédécesseurs a été patente. Ainsi aura lieu la distribution anticipée par le Bureau marocain des droits d’auteur (BMDA) des répartitions en instance pour l’année 2020 -une enveloppe de 35 millions de dirhams (MDH). S’y ajoute le versement des droits d’auteur dus en 2019 pour copie privée de plusieurs catégories d’auteurs et créateurs. Depuis le 17 juin 2020, un appel à projets artistiques d’un montant de 17 MDH a également été lancé. Il intéresse plusieurs domaines: théâtre et tournées nationales (2 MDH), musique (12 MDH), expositions d’arts plastiques et/ou visuels (2 MDH). acquisition d’oeuvres d’arts plastiques ou visuels auprès des artistes (3 MDH),...

L’édition et le livre ne sont pas en reste avec un appel à projets de 11 MDH pour l’acquisition d’ouvrages auprès des éditeurs et des libraires; une initiative bien accueillie par ces professionnels et qui est élargie aux revues culturelles et à diverses manifestations culturelles. Othman El Ferdaous règle ainsi les arriérés des subventions prévues dans son secteur mais il va plus loin en fléchant déjà des pistes d’avenir. Il a mesuré le rôle du secteur culturel dans la résilience et la promotion des chaînes de valeur audiovisuelle, digitale, éducative et touristique. Trouvera-t-il au sein du gouvernement actuel l’appui et le soutien traduisant une réelle volonté politique?

Ce qu’il faut faire? Tout a été pratiquement dit en la matière. C’est une longue liste de rapports, d’études, d’enquêtes et autres travaux qui témoigne de l’état des lieux et d’une stratégie autour d’un plan «Maroc Culture» (HCP, CESE, CGEM/FICC, associations professionnelles,...). L’un des axes a trait à un partenariat public-privé. L’Etat ne peut pas -ou plus- tout financer et il importe que le privé soit associé à cette vaste entreprise. Une réflexion stimulante et novatrice a été finalisée, en février 2018, dans un document sur «La culture, donner du sens au développement» présenté par la parlementaire Neila Tazi, membre de la CGEM, lors de la création à Rabat de la Fédération des industries culturelles et créatives au sein de l’organisation patronale (FICC).

Manifestations éphémères
Une convention de partenariat a même été signée à cette occasion. Plus de deux ans après, son application tarde... Elle a permis de mettre au net ce qu’il faudrait entreprendre pour un modèle économique culturel: un climat d’affaires attractif, la formation, la dynamique régionale, l’articulation d’un partenariat renforcé. Elle a aussi recommandé une forte augmentation des moyens financiers mais aussi la nécessité d’«une vision commune, une mise en synergie pour susciter une nouvelle dynamique».

Dans ce même registre, il vaut de rappeler l’étude du CESE publiée dans son avis du 30 juin 2016, suite à son auto-saisine. Il met l’accent, lui aussi, sur l’insuffisance des fonds publics et privés mais également sur d’autres contraintes: absence de prise de risque dans le soutien aux entreprises culturelles, recadrage d’activités et de manifestations éphémères, absence de coordination entre les acteurs officiels, concentration des activités surtout dans le cinéma et l’audiovisuel. Ce Conseil a recommandé la mise sur pied d’une Agence de la Culture ainsi que la création d’un Fonds public et privé de financement mixte.

Le plan 2017-2021 qui devait s’articuler autour des stratégies «Maroc Culture 2020» et «Patrimoine 2020» n’a pas donné les résultats escomptés. La structure du budget, autour de 760 MDH en 2019 et en 2020, est répartie entre le budget de fonctionnement (430 MDH) et celui de l’investissement (330 MDH). S’est-on interrogé sur l’efficience de cette charge salariale? Les pratiques culturelles sont affligeantes: 3 heures devant la télévision et 3 minutes par jour à la lecture, 2 millions de visiteurs des monuments et sites historiques avec des recettes de seulement 16 MDH, 57 salles de cinéma générant 75 MDH de recettes alors qu’elles dépassaient les 350 dans les années 70, édition de 2.000 livres par an, déficit de 4.000 bibliothèques, 75% des jeunes entre 18 et 24 ans n’ont aucune activité artistique, ...

Héritage et patrimoine
Il y a donc tant à faire! Faut-il signaler que 50% des communes urbaines ne disposent pas d’établissements dédiés à la culture? La prise de conscience ne s’est pas vraiment faite quant à la dimension transversale de la culture impliquant de nombreux départements ministériels ( tourisme, équipement, artisanat, éducation,...). Mesure-t-on comme il se doit que la culture est un levier et un vecteur de développement, créateur d’emplois directs et indirects? Les exemples ne manquent pas à cet égard, tel celui emblématique d’Essaouira avec son Festival Gnaoua et Musiques du Monde. Une étude a montré ainsi que pour chaque dirham investi. 17 autres dirhams étaient générés dans la cité des Alizés (capacité hôtelière, services, transports, habitat,...).

La rupture à faire et à consolider doit tourner le dos à une certaine approche par trop patrimoniale et folklorique pour se hisser ailleurs: au niveau d’une véritable industrie culturelle. Quant à la vision «Patrimoine 2020», elle devrait prioriser la protection et la valorisation des sites historiques, de l’héritage et du patrimoine et construire sur ces bases-là une économie du patrimoine culturel. Avec pas moins de 12 médinas, 16 ksours et casbahs, 31 musées et monuments, tout un mode de gestion approprié doit être élaboré et appliqué.

Un grand pas a été enregistré avec la création de la Fondation nationale des musées en 2011, dirigée par Mehdi Qotbi. De grands théâtres ont été lancés à Rabat et à Casablanca avec un investissement respectif de 1,67 et 1,5 milliard de dirhams. Illustration d’un renouveau culturel et artistique du Maroc voulu par le Souverain. Reste le management et la programmation de ces deux grands projets couplés à un maillage culturel territorial à travers le Royaume. L’accès réussi à une citoyenneté culturelle, libérant les potentialités et la créativité de chacun de tous.

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