PAS DE PLAN DE DÉCONFINEMENT, "ALLAH GHALEB"

LE FLOU, LE DOUTE ET LA MANIPULATION DANS LA COMMUNICATION DEPUIS LE DÉBUT DU COVID-19

Une consigne tenue longtemps secrète a été finalement éventée. Il s’agit de “ne rien dire, ne rien communiquer”. A la fin de cette consigne, on leur a surligné avec un marqueur cette phrase qui veut tout dire: “Confinez-vous à maintenir le flou total”.

Depuis le début de la crise du Covid-19, une consigne générale a été adressée en catimini à tout responsable marocain qui tient les ficelles et le pouvoir décisionnel dans un département ministériel, un office, un établissement ou une compagnie publics. Cette consigne, tenue longtemps secrète, a été finalement éventée. Il s’agit de «ne rien dire, ne rien communiquer». A la fin de cette consigne, on leur a surligné avec un marqueur cette phrase qui veut tout dire: «Confinez-vous à maintenir le flou total». Et comme tout responsable qui s’exécute fidèlement, avec zèle même, se cramponnant à son poste et à sa zone de confort, nos responsables ont bien appliqué la consigne, à la lettre.

A commencer par celui qui occupe l’étage supérieur de l’édifice de l’Exécutif, Saâd Eddine El Othmani. Pour rappel, le 18 mai 2020, devant les deux chambres du Parlement, il a déclaré que s’il avait un plan de déconfinement, il ne l’aurait pas caché. «Allah ghaleb!». La seule déclaration qu’il a partagée avec les Marocains, c’est que la troisième phase de confinement s’étend au 11 juin 2020. Et comme par hasard, il se fait contredire, le lendemain, et devant les mêmes parlementaires, par Mohamed Benchaâboun, ministre des Finances, un membre de son cabinet, qui en principe ne peut parler sans l’accord de son chef comme de coutume politique, pour annoncer un déconfinement presque général enveloppé dans le drap de l’économique, le lendemain de l’Aïd Al Fitr. Ce jour-là, des observateurs non avertis ont vu dans cette contradiction un déficit ou une faille de communication. Bien au contraire, c’est une leçon inédite de marketing politique que le gouvernement vient de nous apprendre. Il faudra même l’en remercier.

Faire le procès des Marocains
Puis, le ministre de la Santé, qui a brillé par son silence et son dédain de la presse marocaine indépendante, a encore une fois raté une occasion propice pour se rattraper et rectifier le tir. Il a préféré ne pas faire de tapage médiatique d’un exploit majeur: le taux de reproduction du virus est redescendu en quelques jours seulement de 0,9 à 0,76 au niveau national. Depuis deux jours déjà! D’aucuns ont avancé qu’il faut patienter pour voir se confirmer ce taux. Soit. Qu’à cela ne tienne! Dans ce cas de figure, pourquoi nous martèle-t-on la tête bon gré mal gré, plusieurs fois par jour, de manière hystérique et fort brouillante, sur la chaîne 2M, avec des émissions qui font le procès des Marocains, les rendant coupables et responsables de la propagation du virus et de l’apparition de foyers de contamination ici et là? Comme si nous n’êtions pas dans un Etat qui régule la vie au quotidien, qu’il n’y a pas d’institutions qui veillent sur l’application de la loi relative à l’état d’urgence sanitaire et sur son respect et que celles-ci doivent aussi assumer leur part de responsabilité dans le relâchement constaté et toléré depuis début Ramadan, quelques jours avant la fin de la deuxième phase du confinement. Pourquoi la même chaîne, dont l’arrêt de mort financière avait été annoncé jadis, n’a pas évoqué cette avancée très positive et au lieu de donner des leçons et de faire la morale, encourager et rendre hommage aux Marocains qui respectent vraiment les consignes de confinement en annonçant la bonne nouvelle. Pourquoi n’a-t-elle pas invité le ministre de la Santé pour s’expliquer sur ce fameux taux ou ce fameux saut d’obstacle qu’il fallait à tout prix franchir pour s’affranchir du confinement?

Son co-équipier aux Affaires étrangères, Nasser Bourita, lui a emboîté le pas. Depuis 66 jours, il ne fait que promettre de faire rapatrier 30.000 Marocains bloqués à l’étranger au moment où il a tout fait pour aider à rapatrier les ressortissants étrangers bloqués au Maroc. Aujourd’hui, demain, après-demain, la semaine prochaine, la veille de l’Aïd Al Fitr, le jour de l’Aïd, le lendemain de l’Aïd… Pour évacuer sa responsabilité, il la jette sur le ministre Aït Taleb. «C’est lui qui bloque tout. Pour nous, tout est prêt». Ce leitmotiv a été repris par tous les médias, comme pour blanchir un ministre et en impliquer un autre qu’on sait très peu disert et allergique à la communication. L’important, pour l’un comme pour l’autre, c’est de faire perdre la vérité et l’information entre les départements ministériels ou à l’intérieur même du gouvernement. «Ils vont finir par se fatiguer. Et nous, on va gagner du temps pour calmer les esprits», a chuchoté un responsable des Affaires étrangères à son collègue. Des mensonges qui rivalisent d’ingéniosité et de tact avec comme seul objectif d’entretenir le flou.

Mais pourquoi justement maintenir ce flou dans la gestion de cette crise du Covid-19 et même avant? C’est la bonne question à se poser. Tout le monde se demande pourquoi nos responsables, nos politiques et les gestionnaires de nos offices (RAM, ONCF…) et établissements publics ont du mal à donner des réponses claires aux interrogations des Marocains ou ne parlent point. La réponse est simple. Le problème n’est pas que ces responsables ont du mal à s’exprimer clairement. En dehors du fait qu’ils ne se situent pas au centre de la prise de décision, ces personnes font exprès de ne pas être claires… Elles se servent du flou pour manipuler. La première raison pour laquelle un manipulateur utilise le flou, c’est qu’il cherche à provoquer de la confusion chez ses interlocuteurs ou ses cibles. Ses propos ne sont pas clairs. Le doute s’installe alors.

Mais pourquoi cherchent-ils à créer et alimenter continuellement ce doute chez nous? Parce qu’à partir du moment où nous doutons, nous nous retrouvons comme paralysés. Parce que le flou permet de ne pas s’engager. Parce que le flou permet aussi de ne pas prendre de décisions. Ils savent pertinemment que s’engager est fatal en ce moment précis, à quelques mois des prochaines élections. On sait aussi que le flou crée des zones d’ombre et de nondroit un peu partout, des dépassements et des aberrations.

La manipulation et la propagande sont toujours d’actualité de par le monde. Leurs techniques évoluent. Mais ailleurs, au moins, généralement, tout n’est pas flou. L’accès à l’information est sacré. Les Marocains de l’étranger et d’ici sont déboussolés, égarés, touchés dans leur dignité du fait de leur ignorance et de cette nonchalance dont ils font l’objet. C’est la marche vers l’inconnu. Il est temps de secouer un peu le cocotier et reconsidérer les Marocains comme des citoyens à part entière, responsables, engagés, qui payent leurs impôts, qui ne lésinent sur rien pour défendre leur patrie, qui ont droit au respect de leurs gouvernants qu’ils sont censés avoir choisis pour les servir.

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