LE PJD, NOUVEAU PARTI DU MAKHZEN ?

Mustapha Sehimi

Le PJD est rentré dans le rang sans que cette insertion ne se traduise vraiment par une grande capacité réformatrice.

À suivre le déroulement de la vie politique au quotidien, le risque est celui-ci: ne s’intéresser qu’à l’écume des jours et ne pas appréhender comme il se devrait les lames de fond. Celles qui finissent par peser et par remodeler les comportements des acteurs, malgré eux souvent.

Ce qui s’est passé depuis l’investiture du cabinet actuel de Saâd Eddine El Othmani, en avril 2017, ne manque pas d’intérêt. C’est un chef de gouvernement pratiquement par défaut. Un tel constat n’est ni impertinent ni provocateur, c’est un fait. C’est tellement vrai qu’il n’a été nommé le 15 mars 2017 qu’après que Abdelilah Benkirane, chef du gouvernement sortant, se soit échiné durant six mois, à former une majorité –en vain. Il y aurait encore beaucoup à dire sur la crise d’un semestre qui a conduit à cette situation. Mais il est admis que sa reconduction n’était pas souhaitée pour de multiples raisons: son charisme, sa popularité, son incarnation d’autres choses dans la pratique institutionnelle traditionnelle.

Sur les bases de la formule politique qui a présidé à la formation du cabinet d’El Othmani, la formation islamiste a dû composer et faire un compromis avec ses cinq alliés. Les négociations ont été surtout laborieuses avec Aziz Akhannouch, président du RNI, et mandataire de trois formations (UC, MP, USFP). Ce que n’avait pas accepté Benkirane, son successeur n’a eu d’autre choix que de l’avaliser. À partir de la nomination de ce cabinet, c’est une sensible inflexion qui a marqué les positions de la formation islamiste. Elle a été pratiquement subie et ce pour de multiples facteurs. Le premier d’entre eu a trait aux événements d’Al Hoceima, au cours desquels El Othmani et ses ministres ont été dépassées par les circonstances. La deuxième regarde le Conseil des ministres du 25 juin 2017, au cours duquel le Souverain a dressé un véritable constat de carence du cabinet. Puis intervient, quatre mois plus tard, de renvoi de quatre ministres. Plus globalement encore, le Roi dresse un état des lieux très insuffisant dans son discours du Trône de juillet 2017, remettant même en cause l’efficience du modèle de développement devant le Parlement, le 13 octobre 2017.

Pour El Othmani, qui situait volontiers son action dans la «continuité» et la poursuite des réformes, la douche est un peu froide. Les nouvelles orientations royales données dans les deux discours du 30 juillet et du 20 août 2018 mettant en exergue la priorité à donner au social.
Avec la mise en chantier d’une profonde réforme du système de l’éducation et de la formation, dont le rapport d’étape a été présenté devant le Roi, le lundi 17 septembre 2018 puis celle de la nouvelle génération des mesures de l’INDH, ce mercredi 19 septembre, le gouvernement El Othmani n’a pas l’initiative. En est-il capable? C’est le Souverain qui a pris les grands dossiers en main et qui les décline également en axes, stratégies, mesures et agenda. Cette gouvernance royale se distingue désormais par un trait particulier: elle est pratiquement en live. Elle signifie qu’elle pallie les lenteurs et les insuffisances du cabinet actuel. Elle ôte toute prétention à la formation islamiste d’incarner le changement et les réformes. Elle ne lui permet pas d’engranger éventuellement le bénéfice des réformes –surtout sociales– dans une option électoraliste.

El Othmani et ses ministres, ainsi que leurs élus, ont compris qu’ils doivent oeuvrer dans le cadre strict des orientations royales assorties de la reddition des comptes le cas échéant. Le programme électoral du PJD de l’été 2016 n’est plus que dans les limbes. Le programme d’investiture parlementaire d’avril 2017 également. D’ailleurs, plus personne ne s’en réclame au sein de la majorité et encore moins le PJD d’El Othmani.

Cette formation islamiste a-t-elle perdu son identité avec plus de six ans et demi de participation au gouvernement et à un niveau privilégié? Elle n’est plus celle de 2011; ses parlementaires et ses élus ont investi les institutions et les collectivités locales; ses cadres y trouvent des aisances et même un nouveau «statut» social avantageux. Nul doute que ce parti reste attaché à son référentiel, mais avec tellement moins de ferveurs militantes. Finalement, le PJD est rentré dans le rang sans que cette insertion ne se traduise vraiment par une grande capacité réformatrice.

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