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Pedro Sanchez vs. Alberto Nunez Feijoo : Ils ont le maroc dans la peau


En déroute aux municipales et aux régionales, le président du gouvernement espagnol a convoqué des élections générales anticipées. Pour quel impact sur la position de Madrid vis-à-vis du Sahara marocain?

Lorsque, il y a quelques années, nous avions posé la question au premier secrétaire de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), Driss Lachguar, sur la perte de vitesse que subissait son parti depuis la fin de l’expérience de l’alternance démocratique en octobre 2002, il nous avait répondu en plaidant que “c’est le sort de tous les partis qui à un moment ou un autre ont été associés au pouvoir”, et il avait, au passage, fait un parallèle sans doute intéressant, en l’espèce espagnol. “Le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), qui pourtant avait joué un rôle clé dans la transition démocratique en Espagne au début du règne de Juan Carlos, avait été écarté après quatorze ans au pouvoir, malgré ses nombreuses réalisations,” avait souligné le chef ittihadi (n°1210, du 12 au 18 mai 2017). Ce dernier avait, certes, passé sous silence la fin en queue de poisson qu’avait connue le gouvernement Felipe Gonzalez (décembre 1982-mai 1996), auquel il faisait référence et qui sur ces dernières années avait été éclaboussé par de nombreux scandales de corruption, à l’instar de l’affaire de l’enrichissement illégal du DG de la Guardia Civil, Luis Roldan -qui était membre du PSOE-, mais il est vrai que son bilan général, notamment économique, aurait très bien pu le prémunir.

Règle du jeu
Et pour en rester à la voisine du Nord, M. Lachguar aurait également très bien pu citer d’autres cabinets qui se sont succédé au cours des cinq dernières décennies, tant il semble évident que la règle est qu’aucun parti ne s’éternise aux commandes. C’est la règle du jeu, que l’on retrouve généralement d’ailleurs dans l’ensemble des pays où la démocratie libérale prévaut, à l’exception peut-être notable du Japon -où le Parti libéral-démocrate (PLD) gouverne pratiquement sans discontinuer depuis novembre 1955-, et, président du gouvernement d’Espagne depuis juin 2018, Pedro Sanchez, pourrait bien prochainement en faire lui aussi les frais.

En effet, il vient d’avancer au 23 juillet 2023, alors qu’elles n’étaient initialement prévues que le 10 décembre 2023, des élections générales qui pourraient bien mettre fin à l’expérience actuelle du PSOE, dont M. Sanchez est le secrétaire général, à la Moncloa, siège de la présidence du gouvernement: suite à la débandade de ce 28 mai 2023 aux municipales et régionales, où l’opposition de droite menée notamment par le Parti populaire (PP) et Vox a réalisé, pour reprendre le président socialiste de la communauté autonome d’Aragon, Javier Lamban, un véritable “tsunami”, il n’avait, somme toute, pas le choix. “Bien que les élections aient une portée municipale et régionale, le sens du vote porte un message qui va plus loin, et comme président du gouvernement et secrétaire général du Parti socialiste, j’assume personnellement les résultats,” a-t-il légitimé le lendemain de la publication des résultats.

Scénario bien improbable
Ainsi, le PP et Vox ont, d’une part, remporté 3.030 et 1.148 sièges municipaux respectifs de plus que lors du dernier scrutin du 26 mai 2019, alors que le PSOE en a perdu 1.569; de fait, le PP en détient désormais à lui seul 23.412, contre plus seulement que 20.784 pour le PSOE (Vox, troisième, en est à 1.695). D’autre part, le PSOE devrait également perdre la présidence de six des dix communautés autonomes dont il avait jusque-là le contrôle, à savoir l’Aragon, les Baléares, la Cantabrie, la Communauté valencienne, l’Estrémadure et la Rioja. Et le résultat logique à suivre est que l’actuelle coalition qu’il dirige depuis janvier 2020 vole en éclat, d’autant plus qu’un de ses piliers, en l’occurrence Podemos, a, lui, littéralement été coulé par les électeurs: ayant perdu pas moins de 1.826, soit plus que n’importe quel autre parti, et ne se prévalant désormais plus que de 444.722 voix alors qu’il en était arrivé à plus du quadruple -1.979.671- quatre ans auparavant, la formation d’extrême gauche pourrait également voir, dans le même sillage, son nombre de députés se réduire comme une peau de chagrin.

Ce qui fait que même si le PSOE conservait sa première place au congrès des députés, scénario bien improbable dans le cas présent, il ne pourrait pas disposer de suffisamment de sièges pour pouvoir continuer de gouverner; à moins que le calcul de M. Sanchez ne soit justement, comme le pensent beaucoup d’observateurs, d’essayer de capitaliser sur les résultats de Podemos pour, au nom du vote utile, faire une OPA sur ses électeurs et ainsi en profiter pour mettre officiellement fin à une alliance bien gênante: même dans les rangs du PSOE, le moins que l’on puisse dire est que le ménage avec les “Podemitas”, plus radicaux dans leurs vues que la gauche social- démocrate traditionnelle, ne passait pas vraiment et avait contribué à consacrer le vocable péjoratif de “sanchisme” pour décrire la disposition présumée de M. Sanchez à vendre son âme au diable lui-même s’il peut en recueillir un quelconque avantage politique. 


S.M. le Roi recevant le premier ministre espagnol,
Pedro Sanchez. Salé, le 7 avril 2022.


Feuille de route
Bientôt, toutefois, on pourrait assister avec le président du PP, Alberto Nunez Feijoo, si jamais c’est son parti qui arrive premier aux élections générales, à l’émergence du “nunisme”: cela consisterait à faire cause commune avec le pas davantage fréquentable Vox, que de nombreux observateurs assimilent carrément à la Phalange espagnole, mouvement nationaliste d’inspiration fasciste ayant notamment joué les premiers rôles au début de la guerre civile (juillet 1936-avril 1939). Car avec la montée en puissance, depuis quelques années en Espagne, de ce que l’ancien secrétaire général du Parti du progrès et du socialisme (PPS), Ali Yata, aurait sans doute taxé de “hizbicules”, c’est-à-dire des partis classiquement marginaux, un gouvernement ne peut désormais plus se faire sans que le PP et le PSOE ne se retrouvent avec eux “dans les pattes”.

Mais jusqu’à quel point cet état de fait peut-il, ceci dit, influencer la politique de la future majorité, notamment sur le plan diplomatique? C’est la question que, de ce côté-ci du détroit de Gibraltar, on doit sans doute se poser le plus, étant donné que le Maroc pourrait être concerné au premier chef: il pourrait en aller de la reconnaissance tacite faite à l’égard de son intégrité territoriale par le gouvernement Sanchez à partir du moment où, en mars 2022, il avait commencé à considérer l’initiative pour la négociation d’un statut d’autonomie comme la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend autour de la région du Sahara.

Partis marginaux
De ce point de vue, le plus facile serait bien évidemment que les choses ne changent pas, et rien ne permet d’attester que si M. Sanchez était reconduit à la tête de l’Exécutif il virerait sa cuti: convoqué le 19 avril 2023 au congrès des députés par le PP, il était, malgré tout, demeuré droit dans ses bottes et insisté sur la mise en oeuvre stricte de la feuille de route adoptée en avril 2022 à Rabat, dans la foulée du changement de cap observé par l’Espagne vis-à-vis de la marocanité des provinces du Sud. “La relation stratégique avec le Maroc est basée sur le respect mutuel, l’absence d’actions unilatérales et le respect systématique des accords,” avait-il notamment déclaré. C’est que M. Sanchez semble avoir été échaudé par la crise qui s’était suivie de sa décision d’accepter, en avril 2021, suite à une sollicitation expresse de la part de la junte militaire algérienne, de faire hospitaliser pour Covid-19 le secrétaire général du mouvement séparatiste sahraoui du Front Polisario, Brahim Ghali, sur le sol espagnol -plus précisément à l’hôpital San Pedro, à Logrono-, faisant que le Maroc convoque le mois d’après son ambassadrice à Madrid, Karima Benyaich. Et de façon, certes, indéniablement contestable et que de nombreuses ONG nationales avaient elles-mêmes catégoriquement rejeté, le Royaume allait, en même temps, montrer que la partie ibère ne pouvait pas faire sans lui pour contrôler la migration irrégulière qui la vise en ouvrant les vannes du préside occupé de Sebta et en laissant pendant trois jours quelque 8.000 personnes, dont principalement des mineurs, y entrer sans être inquiétées par les forces de l’ordre.

Migration irrégulière
Au départ, M. Sanchez cherchera à mobiliser le parlement européen -ce qu’il réussira, puisqu’une résolution de ce dernier mettra directement en cause, en juin 2021, les autorités marocaineset même le président américain, Joe Biden, qu’il tente vainement d’interpeller lors d’un sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) puis qu’il a, plus tard, au téléphone; en dernier ressort, il ne peut que se résoudre à calmer le jeu et, au bout de plusieurs mois de tractations en coulisses menées par son nouveau ministre des Affaires étrangères, José Manuel Albares, couplées aux appels du pied du roi Felipe VI “himself”, notamment lors d’une réception qu’il avait donnée en janvier 2022 au palais royal de Madrid, on finira par aboutir à la paix des braves encore donc en cours.

Et ce qui est intéressant c’est que tout cela s’est fait sans que Podemos n’y puisse rien: si cela ne tenait qu’à ce dernier, nul doute que cela aurait fait belle lurette que l’Espagne aurait reconnu la pseudo “République arabe sahraouie démocratique” (RASD), au nom de laquelle le Polisario revendique le Sahara marocain. Dès juin 2016, son fondateur et désormais ex-secrétaire général, Pablo Iglesias, avait promis que s’il se retrouvait un jour à présider aux destinées du gouvernement, il n’hésiterait pas à établir des relations avec l’entité séparatiste. Et les siens ont d’ailleurs bien tenté de le faire; tout le monde garde ainsi en mémoire l’incident qu’avait failli provoquer la réception qu’avait accordé en février 2021 Nacho Alvarez, qui occupe au nom de Podemos le poste de secrétaire d’Etat aux Droits sociaux, la soi-disant “ministre” sahraouie des Affaires sociales, Souilma Birouk (la ministre des Affaires étrangères espagnole, Arancha Gonzalez, était alors sortie publiquement pour réaffirmer que l’Espagne ne reconnaissait pas la “RASD”).

La raison d’État
Plus récemment, la nouvelle secrétaire générale de Podemos, Ione Belarra, a également multiplié les sorties à l’encontre du Maroc et de son intégrité territoriale, allant jusqu’à accuser, le 15 avril 2023 lors d’un meeting à Saragosse, M. Sanchez de “s’agenouiller” (elle vient en outre de féliciter, le 10 mai 2023, le Polisario pour son cinquantième anniversaire). Par conséquent, on peut imaginer que même si, à l’avenir, Vox se retrouvait au gouvernement aux côtés du PP -ce qui n’est pas acquis, étant donné que M. Nunez cherche depuis son élection en avril 2022 à la tête du parti à donner une image modérée des siens-, il devrait finalement se plier à la raison d’État.

S’il est, pour le moins, très vocal vis-à-vis des revendications du Maroc sur les présides occupés, qu’il appelle régulièrement à intégrer à l’OTAN -son président, Santiago Abascal, a, soit dit en passant, grandement contribué à propager les théories du complot d’une ingérence de Rabat dans les municipales de Sebta-, Vox n’a, de toute façon, jamais vraiment fait montre du même activisme que Podemos en ce qui s’agit du Sahara marocain; son opposition à M. Sanchez a semblé, à ce propos, davantage rhétorique, et il s’était d’ailleurs abstenu de voter, en avril 2022 au congrès des députés, en faveur de l’organisation d’un référendum dans la région… contrairement au PP, mais faut-il pour autant en conclure que ce dernier, s’il raflait la mise, reviendrait sur la politique des quinze derniers mois? C’est à voir.


Nasser Bourita et José Manuel Albares.


Motion suscitée
Bien sûr, le fait qu’il se soit positionné en faveur de la motion suscitée, en plus de différents propos tenus par M. Nunez, laissent espérer l’Algérie, qui a fait des mains et des pieds pour que M. Sanchez renonce à soutenir le Maroc (n’étaient les pressions de l’Union européenne (UE), elle aurait très certainement totalement fermé son marché intérieur vis-à-vis des sociétés espagnoles). Mais la politique étant l’art du possible, comme également, parfois, de l’impossible, on ne peut certainement gager de rien. Le mandat de M. Sanchez peut clairement en témoigner; cela peut également être le cas de celui qui lui succédera d’ici la fin de l’été, et qui ne pourrait finalement être que lui-même.

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