Le parquet déclare la guerre au mariage des mineurs

Un phénomène anachronique qui a la vie dure

Une enfance volée et des vies brisées. Telles sont les conséquences dramatiques de ces mariages, qui augmentent d’année en année. En 2018, le nombre des mariages des mineurs a atteint 33.686 cas. Un chiffre plus important qu’il y a douze ans: 31.000 en 2008 et 29.847 en 2007.

Izza, 14 ans, habite dans la province de Tinghir, dans la région de Ouarzazate. Elle vit certes dans des conditions misérables comme toutes les jeunes filles de la région, mais elle caresse le rêve de terminer ses études et devenir institutrice. Un rêve qui l’a accompagnée pendant toute son enfance. Mais, un jour de 2018, à sa grande stupéfaction, son père la force à se marier avec Hafid, 20 ans, un jeune de son douar, recalé de l’école qui est parvenu à gagner sa vie grâce à un travail obtenu dans un grand hôtel à Ouarzazate.

Les deux familles se connaissent bien depuis très longtemps. Malgré la résistance de Halima, le mariage se conclut avec la simple Fatiha en présence de 12 témoins. Hafid est aux anges. Il a réussi à se marier avec l’une des plus belles filles de son douar. Mais, un an plus tard, il la répudie brutalement. Effondrée, Halima, enceinte de plusieurs mois, pleure son terrible sort. Elle a songé plusieurs fois au suicide. Mais elle pense tout le temps à ses parents, ses frères et sa famille. Désormais, elle ne pense qu’à son enfant dont elle va bientôt accoucher. Comme Halima, il y a des milliers de jeunes filles dans les douars, les communes rurales et les quartiers défavorisés dans les centres urbains qui ont vécu la même expérience.

Intervention judiciaire
Une expérience particulièrement douloureuse qui plonge ces jeunes filles dans la tristesse et le désespoir. Certaines pourraient être victimes de la démence. Les associations de défense des droits de l’enfant ont longtemps milité pour freiner ce phénomène. Hélas, il ne cesse de prendre de l’ampleur d’année en année. En 2018, selon le président du Parquet, Mohamed Abdennabaoui, le nombre des mariages des mineurs a atteint 33.686. Un chiffre plus important qu’il y a douze ans: 31.000 en 2008 et 29.847 en 2007. On voit bien que le phénomène n’a pas baissé pendant toutes ces années. Au contraire, il a empiré et ce malgré les campagnes de sensibilisation lancées par le ministère de la Justice pour appeler les mariés illégaux à régulariser leurs situations auprès des tribunaux de la famille. Le ministère avait même sensibilisé les familles dans les douars à se conformer à la loi pour marier leurs enfants. Rien n’y est fait. Les familles continuent à adopter ce mode de mariage patriarcal et rétrograde. Car elles pensent qu’il s’agit là du seul et unique avenir pour leurs filles. Voyant sa progression se développer, le président du Parquet, Mohamed Abdenabaoui, révèle qu’une étude de diagnostic est en cours d’élaboration relative à la question du mariage des mineurs. Cette étude permettra de jeter la lumière sur les problématiques qui entravent la lutte contre ce phénomène, en particulier au niveau de l'intervention judiciaire.

Intervenant à l'ouverture d'un colloque de deux jours sur le mariage des mineurs, initié par la présidence du ministère public en coopération avec l'UNICEF, qui a eu lieu les 28 et 29 octobre 2019 à Marrakech, M. Abdennabaoui souligne que, dans le cadre de l'adhésion aux orientations générales de l'Etat pour une compréhension plus approfondie des différentes dimensions de ce phénomène et dans l'optique de trouver les solutions les plus efficaces pour y faire face, cette étude vise également à pointer du doigt les différents stratagèmes et moyens utilisés pour contourner la loi en vue de légaliser le mariage précoce ou d'en faire une réalité contraignante pour toute décision judiciaire. Et de poursuivre que ladite étude se propose aussi d'analyser les divers aspects d'ordre judiciaire suscités par cette problématique en rapport avec d'autres sujets tels que la violence à l'égard de l'épouse, l'expulsion du domicile conjugal, la négligence de la famille, le mariage forcé, ainsi que d'autres questions inhérentes au mariage des mineurs et leur mode de traitement lorsqu'il s'agit de filles mineures.

Violation des droits de l'enfant
Rappelant que le mariage des mineurs exige de mener une réflexion sérieuse et une révision profonde de tous les aspects se rapportant à cette question plus que jamais d'actualité et touchant aux droits de l'enfant, garantis sur les plans constitutionnel et international, M. Abdennabaoui a soutenu que la protection de ces droits fait partie intégrante du développement global et de l'édification de la société démocratique moderne, comme l'a affirmé S.M. le Roi Mohammed VI.

M. Abdennabaoui a, en outre, mis l'accent sur le caractère multidimensionnel de la question du mariage des mineurs qui touche aussi bien aux aspects social et économique que culturel, religieux et judiciaire, tout en appelant les participants à ce colloque à garder à l'esprit pendant leurs débats et discussions l'ensemble de ces dimensions, notamment la hausse croissante et alarmante du nombre des demandes d'autorisation de mariage des mineurs.

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