Quand les Oulema entrent dans la danse...

Réforme de la loi sur l’avortement

L’historique de l’amendement de la loi pénale sur l’avortement permet de voir qu’il y a bien des «résistances» à sa finalisation.

Curieux, tout de même, ce communiqué du Conseil supérieur des ouléma du 2 décembre 2019 sur le dossier de l’avortement. Le secrétaire général de cet organe a ainsi publié un texte affirmant clairement que les dispositions du code pénal relatives à cette question ne connaitront aucune modification «sauf ce qu’exigent l’intérêt et l’ijtihad». Pourquoi cette réaction? Jusqu’à plus ample informé, cette institution n’était pas chargée d’examiner le projet de loi déposé au Parlement sur des modifications à apporter à la législation pénale en vigueur (articles 449 à 458). Alors? Il se trouve que ce Conseil a fait l’objet d’une interpellation lui demandant de se prononcer sur la prise de position du CNDH, le 29 octobre, formulant quatre recommandations à prendre en compte dans la réforme du code pénal (dépénalisation des rapports sexuels hors mariage, liberté de croyance, avortement, attentat aux moeurs).

Pour autant, il vaut de relever que ce Conseil a jugé utile de faire passer un message fort dans une conjoncture particulière liée à un agenda de travail parlementaire. L’historique de l’amendement de la loi pénale sur l’avortement permet de voir qu’il y a bien des lenteurs et des «résistances» pour arriver à sa finalisation législative. C’est au printemps 2015 que tout a démarré, après des mois de débat auparavant. En avril de cette année-là, S.M. le Roi a pris en mains le dossier et a demandé à une commission ad hoc formée des ministres de l’Intérieur et des Affaires islamiques ainsi que du CNDH et du Conseil supérieur des ouléma d’entreprendre une mise à plat de cette question et de soumettre, un mois plus tard, ses conclusions à son appréciation. Le 15 mai, un communiqué du Cabinet royal annonçait que quatre cas avaient été retenus pour autoriser l’avortement: viol, inceste, malformation congénitale du foetus et handicap mental. Le gouvernement prit cela en compte, mais ne déposa le projet de loi devant le Parlement qu’en août 2016. Le communiqué du Conseil signifie que cet organe a recouru, en l’espèce, à une autosaisine. Il est présidé par le Roi, Amir Al Mouminine (article 41 de la Constitution).

A-t-il été chargé par le Souverain de cette question, comme le prévoient ces mêmes dispositions de la loi suprême? Ou bien a-t-il jugé utile, de son propre chef, d’en délibérer? En tout état de cause, ce n’est pas une «fatwa» devant avoir un aspect normatif. Il s’agit plutôt, semble-t-il, d’une pression pour peser sur la discussion parlementaire qui va s’engager dans les prochaines semaines. Dans cette même ligne, comment ne pas voir une convergence entre la position du Conseil supérieur des ouléma et celle exprimée par le Chef du gouvernement, Saâd Eddine El Othmani, ainsi que par le ministre PJD Mustapha Ramid, pour qui le débat sur les amendements à apporter au code pénal et en particulier à la législation sur l’avortement était «clos». Il a estimé que sa position était claire sur les questions touchant les «constantes nationales » et qu’il sera «ferme sur tout ce qui se rapporte au référentiel islamiste».

Tout cela traduit bien ce fait: ce qu’il faut bien appeler le camp conservateur n’entend rien lâcher. Il se prépositionne par avance dans l’optique du débat parlementaire. Il le met dans une équation fermée plaçant les partis de la majorité alliés au PJD dans une position inconfortable. Si le PAM, dans l’opposition, prône une dépénalisation de l’avortement, c’est plutôt le silence radio du côté de l’USFP ainsi que du RNI, du MP et de l’UC.

Une retenue mâtinée de frilosité parce qu’ils estiment sans doute que ce n’est pas un terrain très électoral... Mais qu’en savent-ils au fond? La réforme du Code de la Famille en 2004 était-elle consensuelle alors qu’elle a fini par prévaloir? Il ne s’agit pas de supprimer les dispositions actuelles du code pénal applicables en la matière, mais d’autre chose. Prendre en compte l’intérêt bien compris de la femme enceinte, celui de l’enfant aussi, et de faire montre d’ijtihad: voilà le cadrage à rappeler. Ces deux paramètres-là doivent conduire à permettre l’avortement dans certains situations particulières, notamment celle d’une menace sur la santé physique, psychologique ou sociale de la femme enceinte. De quoi mettre fin à un fléau social dans le cadre d’une véritable politique publique de santé où les ouléma n’ont peut-être pas voix au chapitre...

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