Othmani, es-tu là?



Les évenements du Rif ont mis à nu les défaillances du gouvernement en matière de communication. Et pourtant les réalisations ne manquent pas.

Ce gouvernement est-il formé sous une bonne étoile? D’une autre manière, a-t-il la “baraka”? Pas vraiment, il faudrait en effet une forte myopie et une surdité tout aussi marquée pour soutenir le contraire. C’est que, dès le départ, la barque était par trop chargée. Un chef du gouvernement pratiquement de substitution et par défaut avec Saâd Eddine El Othmani suppléant Abdelilah Benkirane; un vote d’investiture laborieux avec seulement 208 voix contre 91 et 40 abstentions; un soutien conditionné du PJD; enfin, un programme suscitant peu d’adhésion parce que trop généraliste et sans une véritable ossature.

Sur ces bases-là, pesaient sur ce nouveau cabinet des contraintes majeures et des arbitrages délicats sur de grands dossiers: poursuite de la décompensation, régime de retraite, régionalisation, réforme du système éducatif… Mais c’est avec la contestation à Al Hoceima et dans le Rif que s’exprime un mouvement qui va peser sur la vie de cet Exécutif. Les faits vont ainsi s’accélérer et contribuer pratiquement à engluer le gouvernement de manière pénalisante –un statut dont il n’arrive pas encore à se libérer.

Pourquoi? Parce qu’il a hérité d’un dossier empoisonné: celui des circonstances du décès tragique, le 28 octobre 2016, du poissonnier Mohcine Fikri. Le choc émotionnel a été national et même au-delà.

Comment le surmonter et apaiser autant que faire se peut les esprits et faire retomber ainsi la colère et l’indignation? Le gouvernement a réagi, bien sûr, mais comment? Si une procédure judiciaire a été engagée, ses résultats ont été contestés par la population locale. Les condamnations rendues par la cour d’appel d’Al Hoceima ont frappé sept personnes, avec des peines allant de six à huit mois de prison. Des décisions dénoncées dans le Rif comme étant bien en-deçà du crime commis et ne mettant pas fin au “système” en place –corruption, inapplication des textes, déni des véritables responsabilités.

Comment apaiser les esprits?
Comment a fait face le gouvernement? Par l’évitement, sans rien fournir d’explicatif sur cette affaire ni sur ce rendu judiciaire. Cela ne veut pas dire qu’il faille communiquer chaque fois qu’un dossier criminel est traité. Mais enfin, les manifestants qui n’avaient pas baissé les bras depuis la fin octobre trouvaient là une opportunité pour se remobiliser encore plus activement. Saâd Eddine El Othmani a alors jugé utile de prendre position le dimanche 14 mai en réunissant les dirigeants de la majorité. A-t-il pris seul une telle initiative? Ne lui a-t-elle pas été instamment recommandée? Une version circule à ce sujet… En tout cas, le cadre même de ce rendez-vous a retenu l’attention: il s’apparentait davantage à un rendez-vous “informel” décidé en catastrophe, un dimanche.

Mais c’est le communiqué officiel de cette rencontre qui a posé problème. Si les participants ont pris bonne note de la nécessité de satisfaire les revendications sociales des populations, ils n’en ont pas moins dénoncé des “déviations menées par un groupe instrumentalisé par l’extérieur et avec qui le dialogue n’a pas abouti” (Rachid Talbi Alami, RNI); ou encore rejeté l’“atteinte aux constantes et valeurs sacrées de la Nation, à la cohésion et à l’unité de la Patrie”. Même tonalité du côté de l’USFP (Driss Lachgar), de l’UC (Mohamed Sajid) et, plus encore, du PPS, qui voit Khalid Naciri faire référence à des revendications ayant un “caractère séparatiste”. Un gros pavé! Une faute politique majeure!

Il n’en fallait pas plus pour que les manifestants rebondissent sur cette incrimination qui permettait d’ailleurs de raviver chez les populations tout un aspect historique, culturel et mémoriel quant au “statut” du Rif depuis près d’un siècle (guerre du Rif et figure légendaire de Mohamed Abdelkrim el Khattabi, répression de 1958 puis celles de 1984, 1990…, exclusion et marginalisation des politiques publiques…).

Légitimité des revendications

abdelouafi laftit, nouveau ministre de l’intérieur - ph:DR

Conscient de la dérive de son communiqué du 14 mai, le gouvernement rectifie à l’issue du conseil du jeudi 18 pour reconnaître la légitimité des revendications sociales des habitants de cette région. Une position de repli qui ne calme pas les ardeurs contestataires, tant s’en faut. C’est que, en effet, celles-ci amplifient la colère sur la base d’un double thème combinant le rejet du “séparatisme” en même temps que leur caractère pacifique. Mais son impact s’internationalise, en Europe et ailleurs. L’une des opérations programmées alors est celle du samedi 20 mai à Madrid, qui vise à synthétiser les revendications dans une sorte de manifeste au caractère politique évident. Une trentaine d’associations rifaines et autres y participent Il a été également prévu des sit-in devant les ambassades et consulats marocains en Europe à titre de solidarité. La diaspora rifaine –surtout en Hollande et on Belgique– est à la manoeuvre. Des relais médiatiques et autres, connus pour leur hostilité au Maroc, s’activent dans cette même ligne; ils couvrent une large palette, allant de l’Algérie, jusqu’à l’Espagne et d’autres pays européens.

Avec cette conjoncture particulière, s’affirme un profil: celui de Nasser Zefzafi. Entouré d’une équipe, le voilà qui harangue les foules, s’en prend au “système”, récuse les ministres pour un éventuel dialogue et exige que seuls des interlocuteurs mandatés par le Roi seront pris en considération. Il interrompt un prêche dans une mosquée le vendredi 26 mai 2017. Il est arrêté le lundi 29 mai 2017 et fait l’objet d’une procédure criminelle avec des chefs d’inculpation lourds (atteinte à la sûreté intérieure de l’État…).

Atermoiements et ambiguïtés
Le bras-de-fer va au-delà du seul plan judiciaire; il a en effet embrassé d’autres terrains pouvant faire la décision. Du côté du gouvernement, le sentiment général qui continue encore à prévaloir c’est que l’on ne sait pas très bien comment faire. Après bien des atermoiements et des ambiguïtés, deux lignes s’affirment désormais, l’une sociale, l’autre répressive. Pour ce qui est de la mise en oeuvre d’un programme socioéconomique, les ministres se rendent sur place, insistent sur le détail des projets arrêtés et signés devant le Roi à la fin 2015. Mais certains d’entre eux polarisent la mobilisation des manifestants: service d’oncologie de l’hôpital, autoroute Al Hoceima-Taza… Il y a de la confusion dans tout cela. Ainsi l’ancien ministre de la Santé Mohamed Cheikh Biadillah précise que ce centre a bien été réalisé en 2008 alors que El Houcine Louardi, l’actuel ministre, ne rompra son silence qu’à la fin mai. A cette date en tout cas, il manque toujours le fameux scanner 3 D… Lors du forum tenu à Tanger le 16 juin 2017 sous l’égide du Conseil de la région, Fouad Ahidar, président du parlement wallon, a fait un tabac en précisant que lors de sa visite à cet établissement, il a été berné alors que ce scanner n’y était pas.

Pourquoi une telle attitude de la part des pouvoirs publics? Personne ne s’est résolu à dresser l’état des lieux, dans la clarté et l’exhaustivité, pour mettre en relief ce qui a été réalisé et ce qui reste à entreprendre. Le Chef du gouvernement, Saâd Eddine El Othmani, s’en tient au service minimum, à savoir une déclaration en début de chaque conseil hebdomadaire du gouvernement, qui reprend ce qui a déjà été dit.

Communication responsable
Des ministres, concernés à un titre ou à un autre, par des projets relevant de leurs secteurs respectifs, ne sont pas plus diserts. Le porte-parole du gouvernement est sur la même ligne. Quant au nouveau ministre de la Communication et de la Culture, Mohamed Laâraj, il paraît veiller à éviter tout propos en la matière. En face, si l’on ose dire, qu’y-a-t-il? Sur la sellette parce qu’il a raflé pas moins de 26 communes ainsi que la présidence du conseil de région et les trois grandes villes de Tanger-Tétouan et Al Hoceima, le PAM est évidemment en difficulté.

Le passif de cette situation lui a d’ailleurs été imputé par le Chef du gouvernement PJD, Saâd Eddine El Othmani, au mois de mai, devant la Chambre des conseillers. Était-ce vraiment une communication conséquente et responsable de la part du Chef de l’Exécutif alors que les populations attendent des mesures concrètes tournant le dos à un discours décalé de campagne électorale? Cette mal-gouvernance estelle une fatalité pesant sur ce cabinet? Si rien n’est fait pour la surmonter, elle pénalisera tout ce que pourra dire et faire ce gouvernement. Surtout que le champ communicationnel est investi par la prolifération des réseaux sociaux, la quasi-instantanéité de leurs informations et de leurs images. Ce qui contribue à reléguer tout à fait à l’arrière-plan la communication officielle et à formater les opinions des citoyens.

Pourtant, le gouvernement a de quoi dire. Sur les 300 policiers et éléments des forces de l’ordre blessés depuis sept mois –dont une centaine depuis la fin mai; sur les 15 millions de Dh de dégâts matériels causés aux véhicules et à l’équipement de ces même forces; sur les cas gravissimes de traumatisme crânien traités à Rabat; et sur les images véhiculées sur les réseaux sociaux. Il est bien évident que le “montage” fait par Al Aoula et Medi 1 TV, le 30 mai 2017, à propos de manifestations liées à un match Wydad/Chabab Al Hoceima du 28 mars a nourri une controverse. Autre épisode: une enquête lancée par Abdelouafi Laftit, ministre de l’Intérieur, à propos d’images de personne “prétendument torturées par les forces de l’ordre à Al Hoceima”. Ce département précise qu’il s’agit d’incidents survenus au Moyen- Orient qui ne sont que des “mensonges et allégations pour attiser le sentiment d’insécurité et de peur chez les citoyens”. Un communiqué mettant en cause de nouveau l’association Mountada al Karama, dirigée par le député PJD Abdelali Hamidine.

Attiser le sentiment d’insécurité
Sur ce terrain communicationnel, le gouvernement n’a pas un avantage compétitif. Il ne réagit que par l’écrit et l’institutionnel relayé par l’agence MAP.
Les ministres pratiquent très peu le réactif direct répondant “à chaud” à une situation particulière posée ou appelant une précision immédiate. De l’autre côté, le champ est investi par deux grands acteurs. Le premier est celui du mouvement associatif et des ONG de la place multipliant les déclarations et les communiqués. Quant au second, il intéresse toute une mouvance, avec une multitude d’intervenants et de locuteurs de toutes sortes, les uns avec un statut “militant”, les autres n’étant que des passagers donnant leur avis et enflammant la Toile.

Le gouvernement pâtit, enfin, d’un autre handicap: qui doit parler? Et d’où? Pour l’heure, c’est le ministre de l’Intérieur et son département qui ont la haute main sur la communication publique, officielle. Et si l’on confiait cette tâche au pouvoir judiciaire, consacré en tant que tel dans la Constitution de 2011, et en particulier au parquet compétant pour déclencher l’action publique et faire respecter la légalité?

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