
Photo : Mehdi Moussahim
Convaincu de l’importance du dialogue, l’ambassadeur de Turquie à Rabat, Omer Faruk Dogan salue chaleureusement la main tendue du Roi Mohammed VI à l’Algérie pour trouver une solution au conflit. Le représentant d’Ankara au Maroc rappelle le rôle et le poids historique du Royaume dans la région, qui confortent la souveraineté de celui-ci sur ses provinces sahariennes.
Comment évaluez-vous les relations entre le Maroc et la Turquie?
Nous sommes deux pays frères, des alliés et des partenaires stratégiques. Les relations entre le Maroc et la Turquie sont très profondes et enracinées dans l’Histoire, remontant jusqu’au 16e siècle. Je ne peux pas en parler sans évoquer la Bataille des 3 Rois où des troupes turques ont combattu dans les rangs des forces marocaines contre la menace européenne. La Turquie se place au Bosphore, le Maroc à Gibraltar, et ce sont deux positions hautement stratégiques. Ceci est un élément très important qui nous force à nous rapprocher afin d’élever les relations officielles au même niveau que les sentiments entre les deux peuples frères. Il y a déjà une base très solide pour y parvenir, et c’est pour cela que nous accordons une très haute importance à une éventuelle visite de Sa Majesté le Roi Mohammed VI en Turquie, qui va ouvrir la porte à de nouveaux terrains de coopération, dans l’objectif ultime de promouvoir la prospérité et le développement de nos deux pays frères.
Les deux pays partagent les mêmes préoccupations par rapport à leur intégrité territoriale. Quelle est la position de la Turquie sur la question du Sahara marocain?
Tout d’abord nous considérons les pays de l’Afrique du nord, dont le Maroc, comme des peuples frères musulmans et amis. Le problème du Sahara nous fait de la peine car, en Turquie, nous avons un problème similaire, et s’il y a quelqu’un qui comprend bien le sentiment des autorités et du peuple marocains, ça ne peut être que le peuple et les autorités turcs. Nous sommes en faveur d’un développement équitable dans la région, et nous estimons qu’il s’agit d’un conflit purement artificiel qui profite à des tierces parties dont l’objectif est de freiner le développement de la région, y compris celui du Maroc. Nous voulons que les deux pays frères puissent s’asseoir, s’entendre et trouver un compromis. C’est pour ça que j’attache une grande importance à la politique de la main tendue que sa majesté Mohammed VI a réitéré dans ses récents discours afin de trouver une solution au conflit du Sahara. Et nous attendons que le pays voisin réponde aux appels du Souverain marocain.
Par pays voisin, vous désignez l’Algérie...
Bien sûr. Nous sommes prêts à aider dans le processus de rapprochement entre le Maroc et l’Algérie. Nous sommes conscients que ce n’est pas quelque chose de facile, mais nous estimons qu’il faut oser et faire le premier pas, car si on ne fait pas le premier pas pour dialoguer, nous ne parviendrons jamais à une solution équitable. Nous sommes favorables à ce que le problème soit résolu le plus vite possible. Et, personnellement, je ne peux parler du conflit du Sahara sans rappeler le rôle historique du Maroc dans la diffusion et la promotion de l’islam dans Afrique de l’Ouest depuis des siècles. Il ne faut pas oublier que plusieurs États actuels dans cette région-là faisaient partie du Maroc. C’est donc aussi cet élément religieux sacré qui fait que j’aie ce penchant pour le Maroc dans ce dossier.
Vous avez parlé de tierces parties qui profitent du conflit du Sahara. De qui s’agit-il exactement?
Il suffit de regarder la carte du monde entier et les problèmes de frontières entre les pays comme par exemple en Afrique, pour voir quelles entités profitent de cette situation, au grand dam des populations locales et de leur développement.
Peut-on voir des investissements turcs dans le Sahara marocain pour contribuer, justement, à son développement?
Le secteur privé turc reste indépendant et n’est pas engagé dans les problèmes politiques, tout en adoptant une approche gagnant-gagnant. Donc, il n’y a aucun obstacle à l'investissement privé turc dans toute l’intégralité du territoire marocain. D’ailleurs je vous annonce qu’une chaîne turque va ouvrir un magasin à Laâyoune dans le Sahara très prochainement. Nous encourageons toujours les investisseurs à participer au renforcement de la coopération entre le Maroc et la Turquie.
En parlant de coopération économique, l’Accord de libre-échange entre les deux pays est critiqué pour avoir profité à la Turquie ...
En premier, je dois souligner que la Turquie fait partie de l’espace douanier de l’Union européenne. Par conséquent, si un pays signe un accord de libre-échange avec l’UE, comme l’a fait le Maroc d’ailleurs, la Turquie doit signer un accord similaire avec le pays en question. Au début, les deux parties, marocaine et turque, étaient satisfaites du rapprochement et des opportunités générés par l’accord. Et depuis 2016 et 2017, on relève que la Turquie en bénéficie plus que le Maroc. Mais ce ne sont ni les consommateurs ni les producteurs marocains qui étaient gênés par la présence des marques et des produits turcs, mais certains concurrents occidentaux. Ces derniers étaient même obligés de baisser leurs prix sur le marché marocain suite à notre arrivée. On peut constater ça, par exemple, dans le prêt-à-porter. Par ailleurs, nous avons délocalisé une grande partie de la production ici. Par exemple, les magasins BIM visent à atteindre un taux de 80% des produits alimentaires Made in Morocco, et pareil pour le textile ou encore les produits d’hygiène. Donc, nous ne sommes pas des concurrents, mais deux parties complémentaires.
Qu’en est-il des échanges dans des domaines plus sensibles, comme la défense?
Les deux pays entretiennent des relations fortes à ce niveau-là, avec une entreprise turque qui livre déjà du matériel militaire au Maroc. Nous attendons que les relations globales se développent davantage pour que cela se ressente dans le domaine de la défense, d’autant plus que votre pays dispose d’une position stratégique en Afrique.
Vous parlez des drones armés trucs livrés au Maroc …
Oui, mais ça ne s’arrête pas à ça. Istanbul accueillera prochainement un grand salon sur la défense et je suis sûr que le Maroc y participera pour échanger avec ses partenaires. Une coopération militaire entre nos deux pays permettra de stabiliser la région et d'encourager son développement. C’est pour cela que je suis très confiant que nos relations dans le domaine militaire vont se développer très considérablement.
Peut-on voir des investissements militaires turcs au Maroc?
Nous sommes prêts à mener des investissements communs susceptibles de garantir la sécurité et la prospérité de nos frères.
Vous avez rencontré le directeur général de l’Office national de l’électricité et de l’eau potable. Quel est le potentiel de coopération entre les deux pays dans les domaines de l’eau et de l’énergie?
Là encore, nous constatons des points et des défis communs, à savoir la sécheresse et les pénuries. Confrontée à la nécessité de bien gérer ses ressources en eau, la Turquie a développé un certain niveau d’expertise que nous sommes prêts à partager. Mais je suis aussi très content de voir que le Maroc est classé parmi les meilleurs pays au monde en matière d’énergies renouvelables, devançant même des pays occidentaux. Et ce grâce, notamment, aux efforts de Sa Majesté pour rendre le Maroc un pays tourné vers le futur. L’objectif consiste donc à échanger les connaissances et le savoir-faire entre les deux pays. Les instances turques chargées des questions de l’eau et de l’énergie se rendront au Maroc dans les mois à venir, pour signer un accord de mémorandum de coopération dans ces secteurs.
Cela pourra-t-il se traduire en projets concrets?
Le Maroc et la Turquie partagent un autre élément commun, à savoir la faiblesse de leurs ressources en énergies fossiles. Notre pays a réussi toutefois à s’imposer comme un hub énergétique majeur entre l’Asie et l’Europe avec plusieurs pipelines de gaz et de pétrole. Le Maroc peut jouer le même rôle grâce à son potentiel, notamment dans le solaire, pour devenir un exportateur d’énergie.
Mais il y a également le projet de gazoduc Nigeria-Maroc …
C’est un projet pharaonique qui demande d'importants investissements, de l’expérience et de la patience. Mais il est déjà sur la bonne voie avec une bonne partie du travail qui a été faite. Je pense que la proposition marocaine reste la meilleure et de loin, et il n’existe aucune autre alternative qui puisse être rentable.
L’éducation présente un potentiel de coopération intéressant entre les deux pays. Où en sommes-nous?
Actuellement, rien qu’à Istanbul, nous comptons 4.000 étudiants marocains, ce qui représente un signe fort de coopération. C’est un plaisir d’accueillir et de former ces jeunes qui pourront par la suite contribuer au développement de leur pays. Des accords existent entre les deux pays, mais c’est insuffisant. Plusieurs dossiers sont en cours de discussion, comme la reconnaissance des diplômes, la qualité d’accueil et d’intégration des étudiants marocains, et surtout la création d’universités turques ici au Maroc. Dans ce sens, plusieurs établissements ont exprimé leur intérêt, comme l’université de Bahcesehir, et nous avons tenu des réunions à Casablanca en présence d’étudiants marocains passés par cet établissement pour nous raconter leur expérience et participer à ce chantier.
Le tourisme demeure vital pour le Maroc et la Turquie. Comment développer les relations bilatérales dans ce secteur?
La Turquie a réussi à développer son tourisme grâce à un travail important au niveau de la logistique, de l’infrastructure, du transport aérien, pour ne citer que ceux-là. Nous pouvons partager notre expérience avec le Maroc. On peut mettre en place un axe touristique profitant de la position géographique similaire des deux pays qui donnent sur des détroits. On peut par exemple penser à un itinéraire de tourisme de croisière Tanger-Izmir-Istanbul qui serait un projet très intéressant. Nous ne sommes pas des concurrents mais plutôt des acteurs complémentaires, et nous pouvons partir ensemble à l’assaut de marchés importants comme l’Asie de l’Est et l’Amérique du Sud.