Omar Souhaili : "J’incarne la voix du peuple dans plusieurs de mes chansons"


(Photo: Lorenzo Salemi)

« M3a L3achran », le dernier disque de Omar Souhaili, alis Dizzy Dross, a fait sensation. Son chefd’oeuvre a bouleversé le rap marocain et catalysé les débats sociopolitiques. Plongée dans l’univers artistique de Dizzy, où la musique se fait l’écho des voix citoyennes en quête de vérité et de changement.

Votre dernière chanson «M3a Laachran» a connu un succès sans précédent dans la tendance marocaine. Ce fut un clash aux politiciens, aux artistes….
Oui, comme j’ai dit au début de la vidéo «Toute personne qui se sent morveux se mouche». J’ai attaqué toutes les choses qui me dérangeaient, qui concernent les Marocains… comme cette personne «qui veut rééduquer les Marocains», les youtubeurs sans talent qui envahissent les réseaux sociaux et gagnent énormément et ne paient rien à l’état…. J’ai commencé l’écriture de la chanson depuis 2020, j’ai veillé à ce que les plus petits détails soient porteurs de messages.

Cela fait donc trois ans que vous travailliez sur la chanson ?
Oui, cela fait trois ans que nous travaillions sur la chanson. C’était un processus long et difficile, mais nous sommes très fiers du résultat final. Nous avons passé beaucoup de temps à perfectionner la composition de la chanson et à travailler sur les paroles et l’image. Pendant ce temps, nous avons également rencontré des obstacles, mais nous avons pu les surmonter grâce à l’engagement de l’équipe de production et notre propre détermination. Nous avons pris le temps de peaufiner chaque détail de la chanson pour nous assurer qu’elle soit la meilleure possible. Même la recherche de sponsors était difficile. Aucune entreprise n’a accepté d’être notre sponsor vu la sensibilité de quelques sujets qu’on a abordés.

3 ans, pourtant les sujets politique que vous avez abordés restent toujours d’actualité.
Bien sûr. Je pense que cela montre à quel point la scène politique marocaine est stable et en même temps, pauvre en termes de progrès. Les problèmes que j’ai évoqués il y a 3 ans restent malheureusement d’actualité, ce qui indique un manque de réformes et de changements significatifs dans notre pays. La société marocaine doit faire face à de nombreux problèmes sociaux qui ne sont pas suffisamment pris en charge par les dirigeants et les institutions. Parmi ces problèmes, on peut citer la pauvreté, l’inégalité, l’accès limité à l’éducation et la corruption.

Ces problèmes demeurent préoccupants et continuent d’affecter la vie quotidienne de nombreuses personnes. Cela indique que nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir pour résoudre ces enjeux et améliorer la situation pour tous les Marocains. D’ailleurs, j’estime que les médias manquent de courage. La presse fait face à de nombreux défis, notamment en ce qui concerne la liberté d’expression et la capacité de soulever des questions importantes sans craindre de représailles. Le manque de courage dont je parle est lié à ces défis, qui empêchent les journalistes et les médias d’aborder les problèmes de manière critique et d’informer le public sur les enjeux réels. D’où le succès de ma dernière chanson.

Vous estimez alors que le Rap est devenu une alternative des médias ?
Il y a toujours des médias sérieux, qui font un travail de qualité. Mais les rappeurs parlent avec la langue de la société, une langue qui peut être crue et même vulgaire parfois. On transmet la souffrance et les inquiétudes des citoyens telle qu’elles sont. Alors que les médias s’éloignent de plus en plus des intérêts du simple citoyen. Je peux même dire que j’incarne la voix du peuple dans plusieurs chansons.

Les rappeurs ont-ils la liberté d’expression?
Bien sûr. Moi-même et d’autres rappeurs, nous abordons souvent des sujets sensibles dans nos chansons, nous critiquons le gouvernement, nous pointons du doigt les actions de certains ministres, et nous soulevons des questions sociales. Jusqu’à présent, nous n’avons pas rencontré de problèmes majeurs avec l’État. Cela dit, il est important de rester vigilant et de ne pas franchir les lignes rouges pour éviter les représailles.


Selon vous, quelles sont ces limites que les rappeurs doivent respecter ?
Les limites varient d’un pays à l’autre, et il est essentiel de les connaître pour éviter les problèmes. Au Maroc, il est important de respecter la monarchie, la religion et les valeurs culturelles. Quand j’ai mentionné le Roi dans ma dernière chanson en disant « Est-ce qu’un jour on va avoir la bénédiction du palais », certains l’ont vu comme une critique et ont même été surpris, mais je tiens à souligner que moi, comme tous les Marocains, nous sommes liés et surtout fiers de notre monarchie. Le patriotisme n’est pas mesurable par les parloes… il faut parler, il faut agir…Puis, en tant qu’artistes, nous devons être conscients de ces limites tout en cherchant à exprimer notre point de vue et à soulever les problèmes qui nous tiennent à coeur.

Tu n’as pas eu un retour d’Akhannouch ou d’un autre responsable étatique après ta chanson ?
Honnêtement non. Personne ne m’a appelé directement pour parler de ce que j’ai mentionné dans la chansons quoique j’ai entendu des rumeurs d’ici et là. Des parlementaires ont toutefois parlé de la chanson au parlement tel que Mohammed Ouzzine et Abdellah Bouanou. Toutefois, je tiens à souligner encore une fois, que moi je ne suis pas un politicien, je suis un artiste. Certes, j’ai essayé de transmettre des messages que j’ai mis dans un cadre artistique attrayant. Les politiciens et les médias doivent toutefois continuer à jouer leur rôle et représenter le citoyen bien comme il faut.

Dizzy, tu accordes souvent une grande importance à l’image. comment avez-vous réussi à atteindre un tel niveau de qualité visuelle dans vos oeuvres, et quelle en est l’importance ?
Lorsque j’écris mes textes, je m’appuie sur mon imagination pour visualiser l’image que je souhaite transmettre. La réalisation de ce projet ambitieux, coûtant plus de 50 millions de centimes ( 500.000 DH) , a été possible grâce aux efforts et à la conviction des directeurs artistiques Youness et Walid, ainsi qu’aux contributions d’aflete athletics et cubix-agency. Je doute qu’un autre individu aurait pu accomplir un travail similaire avec une telle qualité. Nous avons construit nos propres décors en collaboration avec une équipe d’une centaine de personnes. Sans la qualité exceptionnelle du clip, la chanson aurait probablement passé inaperçue.

C’est un produit 100% Marocain ?
Oui, c’est une grande fierté pour nous. Des techniciens, producteurs aux ingénieurs de sons et d’image… toute l’équipe est marocaine. Sauf qu’on a choisi de faire la pose production à l’étranger, notamment à Iran et en Serbie, pour éviter que des photos fuitent.

Tu as clashé Noamane Lahlou suite à une vidéo qu’il a faite à propos du Rap. Tu t’es senti visé par ses propos ?
Personnellement, je n’utilise pas l’auto-tune. Cependant, ce qui m’a dérangé, c’est que j’ai regardé tous les épisodes de l’émission de Noamane Lahlou où il parle des différents genres musicaux et où j’ai appris beaucoup d’informations. Cependant, dans l’épisode sur le Rap, il a utilisé un ton hautain et a transmis beaucoup de fausses informations. Par exemple, lorsqu’il a dit que le RAP signifie «Rime And Poetry », cela peut sembler poétique, mais cela n’est pas mentionné dans les livres sur l’histoire du RAP.

En réalité, le mot RAP vient du mot grec ancien «rhapsode» ou «rapsode», qui désigne des épopées que les anciens Grecs récitaient pour s’exprimer sur différents sujets, comme l’Odyssée que nous avons tous étudiée à l’école. Le RAP est pour moi un mode de vie que j’ai adopté depuis 2001. Par conséquent, il est difficile de croire que Noamane Lahlou en sait plus que nous sur le sujet. C’est pourquoi j’ai été déçu de voir qu’il a transmis des informations inexactes et un ton condescendant dans cet épisode.

Mais ce problème avec Nouamane Lahlou remonte à bien avant, notamment à 2020 lors d’un débat sur le soutien public des artistes.
Oui exactement, je n’ai jamais compris comment le ministère de la culture distribue annuellement des millions de DH sur des artistes, choisis sur des bases qu’on ignore, et qui font souvent des productions sans valeur culturelle ni artistique. Nouamane Lahlou allait profiter d’un soutien de 16 millions de centimes pour produire un clip que personne ne va voir, alors que beaucoup de jeunes rappeurs et artistes se battent quotidiennement avec leurs propres moyens et font honneur au Maroc à l’échelle internationale. Je n’ai de problème avec personne mais j’espère que le gouvernement puisse investir dans ce qui peut réellement révolutionner la scène artistique marocaine à savoir la formation continue des artistes et des professionnels du secteur ainsi que la construction de studios, de théâtres… qui peuvent accueillir les artistes gratuitement.

Ton dernier album, « 3azzy 3ndou stylo », remonte à 2013. Quand est-ce qu’on verra le prochain ?
Ça reste un projet que je vise. Les albums n’ont plus la même valeur qu’il y a longtemps. Les gens sont en quête d’une consommation rapide, ils passent d’un clip à un autre, d’un single à un autre… Ce qui me fait tarder à le lancer c’est mon goût pour les détails et mon perfectionnisme. Je suis passionné par la musique et par ce que je fais. Le processus de production me fait plaisir, de l’écriture, l’enregistrement, le mix, le design… même les interviewes que je donne sont sélectives. D’ailleurs, je suis en quête continue d’amélioration, je vise à me dépasser, et avec le clip de «M3a L3chran», je ne pense pas que ça sera facile.

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