Les interventions du diplomate chevronné Omar Hilale, durant l’année 2021, ont provoqué l’ire du régime algérien et lui ont rappelé que l’on ne peut manigancer pour atteindre à l’intégrité territoriale du Royaume. Ses déclarations sur le droit du peuple kabyle à l’autodétermination ont poussé Alger à rompre ses relations diplomatiques avec le Maroc en août 2021. M. Hilale incarne le nouveau paradigme de la diplomatie marocaine.
Qu’on ne s’y trompe pas: au Maroc, la diplomatie est d’abord une affaire royale. Ce que l’actuel ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, ne manque lui-même jamais de rappeler, et ce qui, pour en rester au présent règne, se ressent tout simplement dans l’orientation diplomatique du Royaume depuis vingt-deux ans, dont la constance prouve qu’elle est loin de dépendre des contingences du moment et, concrètement, des changements d’hommes et de gouvernement(s).
Comme l’aurait dit le général de Gaulle: l’intendance suit. Mais encore faut-il qu’elle en ait le talent et les épaules. Certains s’y sont heurtés: donner des noms reviendrait à les jeter en pâture. En revanche, Omar Hilale fait, lui, sans doute partie de ceux qui n’ont pas à rougir d’entendre le leur sur toutes les bouches, d’autant plus qu’il en ferme plus d’une. Notamment celles du régime algérien, qui, croyant bien faire, était allé jusqu’à faire commettre le 1er septembre 2021 à son porte-voix ès basses besognes Amar Belani -passé quatre jours plus tard “envoyé spécial chargé de la question du Sahara occidental (sic) et des pays du Maghreb”- une tribune sur le média électronique Algérie patriotique, vitrine connue de ses services, pour taxer le diplomate marocain de tous les noms, dans un texte dont le moins que l’on puisse dire est qu’il avait été ordurier. Mais ceci avait surtout été révélateur de l’inconsistance de ce régime, non sans également faire figure d’aveu d’impuissance.
Nommé en avril 2014 par le roi Mohammed VI à la tête de la représentation permanente du Maroc au siège de l’Organisation des Nations unies (ONU) à New York, M. Hilale est tout bonnement devenu avec les années un des meilleurs atouts de la diplomatie nationale. C’est, entre autres, suite à son soutien du 13 juillet 2021 à la réunion ministérielle du Mouvement des non-alignés (MNA) en faveur du peuple kabyle qu’Alger avait coupé le 24 août 2021 ses relations avec le Maroc, après qu’elle fut incapable de déjouer la contradiction face à laquelle elle avait été mise de faire de l’autodétermination “un principe à la carte” applicable seulement à la région du Sahara marocain mais non sur le territoire algérien (si tant est que la Kabylie doive en faire partie).
Meilleurs atouts
Au cours d’un exercice annuel marqué par une forte activité diplomatique, des crises à la pelle aussi bien avec l’Algérie, donc, que l’Allemagne et l’Espagne, la poursuite du rapprochement, sous l’égide active des États- Unis, avec Israël ou encore l’ouverture à de nouveaux partenaires tels le groupe de Visegrad (qui comprend les pays d’Europe centrale que sont la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la Tchéquie), il était difficile, en somme, de résister à attribuer notre titre de personnalité de l’année 2021 à M. Hilale. Un choix qui, bien évidemment, aurait également pu se porter sur d’autres de ses collègues du 7, rue Franklin Roosevelt à Rabat -siège du ministère des Affaires étrangères-, à commencer par M. Bourita. Ou encore sur ces milliers de soldats de l’ombre qui, sans nécessairement même faire partie du corps diplomatique, font que leur pays parvient à défendre ses causes sacrées -notamment au sein de la corporation journalistique, et le Maroc n’en manque pas.
Mais il faut bien trancher, et à l’heure de le faire la question qu’on peut se poser est celle-ci: pourquoi pas M. Hilale, après tout? Ne le mériterait-il pas, lui qui depuis près d’un demi-siècle déjà s’active aussi bien au grand jour que dans les coulisses pour que le Maroc fasse avancer son agenda? Car oui, M. Hilale n’en est pas à ses coups d’essais. Né le 1er janvier 1951 dans la ville de Ouled Teïma, dans la province de Taroudant, fils du fameux caïd Bouchaïb Bel Korchi Hilale, dit aussi Zemmouri -les Hilale sont originaires de la région de Doukkala, non loin d’Azemmour, et sont plus précisément de la fameuse tribu arabe des Béni Hilale-, il est dès le milieu des années 1970 aux premières loges lorsque commence ce qui constitue jusqu’à aujourd’hui le principal dossier de la diplomatie marocaine: l’affaire du Sahara. Jeune diplômé en sciences politiques de l’Université Mohammed-V de Rabat Agdal (fusionnée en septembre 2014 avec celle de Souissi), il intègre en 1974 le ministère des Affaires étrangères, et se retrouve dès l’année suivante à l’ambassade du Maroc à Alger, où il occupe le poste de deuxième secrétaire.
Système onusien
C’est ainsi en puisant dans ses propres souvenirs que fin août 2021 il racontait au Séminaire régional des Caraïbes du Comité spécial “C-24” que “l’Algérie a, dès le début, été partie prenante dans [le] différend” autour des provinces du Sud. “C’est dans un hôtel algérois que la soi-disant république sahraouie chimérique a été créée,” exposait- il à ses homologues.
M. Hilale ne fera toutefois pas long feu dans la capitale algérienne, et pour cause: le 7 mars 1976, le Maroc rompt ses relations avec sa voisine de l’Est après que cette dernière eût, sous les fausses espèces du mouvement séparatiste du Front Polisario, tenté d’envahir la zone d’Amgala, au Sahara marocain -la “réconciliation” n’aura lieu que douze ans plus tard. Pour autant, notre diplomate ne chôme pas: il se retrouve illico à Addis-Abeba, où il est cette fois premier secrétaire de l’ambassade, avant de faire un crochet d’une année, en 1979-1980, par Monrovia, où il est vice-ambassadeur.
Par la suite, il commence à découvrir le système onusien à Genève, où, dans la seconde moitié des années 1980, il est conseiller, puis une nouvelle fois vice-ambassadeur. Une expérience qu’il met à profit au Maroc même, puisque rentré au bercail en 1991, la quarantaine à peine entamée, il s’occupe au sein du ministère des Affaires étrangères du service de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité. C’est à cette époque qu’il se rapproche d’un autre cadre du département: il est son cadet de sept ans et dirige le cabinet du ministre Abdellatif Filali, futur Premier ministre. Son nom? Taïeb Fassi-Fihri.
Celui qui fait depuis janvier 2012 office de conseiller du roi Mohammed VI apprécie la rigueur et la maîtrise des dossiers de M. Hilale, ce qui fait que lorsqu’il devient secrétaire d’État aux Affaires étrangères de Mohamed Karim Lamrani en novembre 1993, il l’invite à siéger dans son cabinet. Ce que M. Fassi-Fihri ne regrette pas. Remarqué aussi par le Palais, M. Hilale occupe, à partir de 1996, son premier poste d’ambassadeur en Indonésie, où il représente également le Maroc auprès de Singapour, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Un intermède qui dure tout de même cinq ans, avant qu’il ne revienne à ce qui est devenu son domaine de prédilection: l’ONU.
De 2001 à 2014, il est de nouveau à Genève, en dehors de trois années entre 2005 et 2008 où M. Fassi-Fihri le fait revenir pour occuper le poste de secrétaire général du ministère des Affaires étrangères. Et là, il fait véritablement dérouler sa maestria: il est coordonnateur des groupes africains de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) et à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou encore président de la conférence du désarmement et du conseil d’administration de l’Institut des Nations unies pour la formation et la recherche (UNITAR).
Responsabilités électives
Des responsabilités électives qu’il ne décroche bien sûr pas par hasard, dans la mesure où il s’avère un homme de réseau implacable. Ce qui n’est d’ailleurs pas sans irriter les responsables algériens, qui, au début de la décennie 2010, en font une des cibles de la campagne qu’ils mènent sur le réseau social Twitter pour décrédibiliser l’action diplomatique marocaine: des câbles dont, à ce jour, la véracité n’a jamais pu être établie et diffusés par un mystérieux corbeau du nom de Chris Coleman l’accusent de soudoyer différentes parties afin d’entraver l’action hostile à l’intégrité territoriale du Maroc au sein de l’ONU. Il faut dire que M. Hilale devient alors, pour la junte algérienne, une véritable bête noire, parvenant par exemple à arracher, en novembre 2013, un vote massif en faveur du Royaume pour siéger au sein du Conseil des droits de l’Homme (CDH). “[Le vote est] un désaveu de tous ceux qui critiquent le Maroc, le dénigrent et l’agressent en ce qui concerne la prétendue violation des droits de l’Homme,” tonnera-t-il.
Bilan plus que flatteur
Ce qui fait que c’est à lui que pense en priorité le Palais lorsqu’il décide de rebattre ses cartes à New York: bien qu’étant membre non permanent du conseil de sécurité, le Maroc est à deux doigts, en avril 2013, d’essuyer une résolution défavorable sur la situation concernant le Sahara marocain, où l’administration du président américain Barack Obama tente justement d’élargir les prérogatives de la Minurso, la mission de paix au Sahara marocain, à la surveillance des droits humains. Le bilan? Plus que flatteur au bout de sept ans, puisque connaissant sur le bout des doigts l’ONU, M. Hilale parvient tant bien que mal à tuer dans l’oeuf les multiples tentatives à laquelle doit régulièrement faire face, au sein de l’organisation, le Maroc de la part de l’Algérie et de ses alliés.
Outre sa sortie “remontée des bretelles” à la réunion ministérielle du MNL, on l’avait également vu dénoncer, le 25 mai 2021, l’Afrique du Sud et son “accointance idéologique” avec le Polisario, après que le représentant permanent de Pretoria eût transmis une lettre de l’organisation au conseil de sécurité. Plus récemment, son combat le plus important a toutefois eu trait au sort des enfants soldats du Polisario, sur lesquels, à son grand regret, la communauté internationale ne pipe généralement mot. “Priver ces enfants de la protection parentale et de tous leurs droits représente une violation du droit international,” s’élevait-il encore le 6 décembre 2021.
Sanguin, M. Hilale? Ceux qui suivent ses interventions seraient bien évidemment tentés de le conclure, et il est vrai que quand il s’agit du Maroc le concerné ne fait, de son propre aveu, pas dans la demi- mesure. Mais ceux qui connaissent l’homme le dépeignent, ceci dit, de façon autre: dans la vie, M. Hilale serait plutôt du genre discret, ne se faisant presque jamais remarquer. Marié, père de trois enfants, il est aussi décrit comme étant affable; trait que lui reconnaissent d’ailleurs de nombreux diplomates qu’il a l’occasion de côtoyer au jour le jour. Une trempe qui, au demeurant, a également été décisive à l’heure de nous décider pour lui. Peut-on mieux marquer son époque et, plus particulièrement, 2021?.