Entretien avec Omar Farkhani, ancien président de l'ordre national des architectes

"Le Maroc post Covid-19 va décoller ou couler"

En tant qu’architecte, que pensez-vous des récents projets, notamment les hôpitaux de campagne, réalisés dans des temps records?
Comme tous les Marocains, j’applaudis. En temps normal, ces projets n’auraient jamais pu voir le jour dans des délais aussi courts. La pression de la crise sanitaire actuelle et l’urgence d’agir ont poussé les autorités publiques à se surpasser. De fait, elles ont montré qu’elles étaient capables de mettre en place un système hyper efficace de gestion et d’exécution des projets. Cela interpelle forcément l’architecte que je suis, coutumier des pesanteurs bureaucratiques, en temps «normal».

Comment se passaient, avant la réalisation des projets, les procédures?
Il y a deux périodes: avant et après la dématérialisation. Pendant la première, les procédures étaient longues et compliquées parce que la décision d’autoriser un projet de construction relevait de plusieurs administrations et se prenait à leur unanimité. Il fallait négocier à n’en plus finir. C’était le parcours du combattant pour les architectes et leurs clients, parfois un cauchemar. Après la dématérialisation, entrée en vigueur il y a quatre ans environ, les choses se sont paradoxalement aggravées et l’obtention de l’autorisation administrative est devenue encore plus compliquée qu’avant.

Mais pourquoi cette dématérialisation n’a pas réussi à résoudre les problèmes de la lenteur au niveau de l’obtention des autorisations?
Parce qu’on a plaqué un système technologique (plateforme numérique) sur les anciennes procédures administratives sans les remettre en cause et sans faire suffisamment d’efforts d’implémentation. Il y a donc eu cumul de la pesanteur technologique et de la lourdeur bureaucratique. Au lieu d’alléger et d’accélérer les anciennes procédures, dans l’objectif louable de gagner des points dans le classement «Doing Business», on a obtenu le résultat inverse sur le terrain. Pourtant, la dématérialisation en soi revêt un potentiel d’amélioration et de progrès indéniables mais mal exploité jusqu’à présent. Pour plus d’efficacité, il faut réformer l’ADN même des procédures d’instruction des dossiers de demande d’autorisation.

Voulez-vous être plus explicite?
Je veux dire qu’il faut mettre en place un système administratif, d’instruction des dossiers de demande d’autorisation qui tienne compte de la spécificité du projet d’architecture, nécessitant une grande souplesse dans son instruction. Cette nouvelle approche permettrait d’accélérer la délivrance des autorisations, de favoriser les investissements et d’améliorer l’innovation et la qualité architecturale et urbaine. Cela est possible. Covid-19 a montré que l’Administration possède une grande capacité d’adaptation quand les pouvoirs publics en ont la volonté.

Quels sont vos pronostics pour le Maroc post-Covid-19?
Je pense que rien ne sera plus comme avant. Sous la conduite volontariste et novatrice du Souverain, les autorités publiques ont été à la hauteur de la situation, depuis le début de la crise. Les Marocains l’ont constaté et apprécié. Une confiance collective et un esprit solidaire inédits se sont installés dans le pays. Cette confiance mutuelle restaurée va faciliter la mise en place d’un contrat social renouvelé, soubassement précieux au «nouveau modèle de développement» que S.M. le Roi Mohammed VI a appelé de ses voeux. Maintenant, c’est à nous tous, Marocains, d’ici et d’ailleurs, de nous engager avec conviction dans ce chantier exaltant du développement.

Ce qui était impensable hier, où le Maroc se voyait presque en train de couler, est devenu de l’ordre du possible. Nos jeunes talents marocains ont donné l’exemple en démontrant une forte résilience à inventer des solutions technologiques pour aider à lutter efficacement contre la maladie. Ils ont symboliquement initié le décollage.

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