Les conseillers de la Fédération de la Gauche démocratique (FGD) au Conseil de la Commune de Rabat ont officiellement demandé au ministère public d’ouvrir une enquête approfondie sur les irrégularités dans la gestion des salaires au sein de la commune. Parmi les accusations soulevées figurent le paiement de salaires à des fonctionnaires décédés ainsi qu’à des employés fictifs, une situation qui, selon eux, nuit gravement à la bonne gouvernance de la collectivité. De plus, ils soulignent que le taux de présence des employés ne dépasse pas 36 %, ce qui indique qu’une majorité de fonctionnaires, soit environ deux tiers, ne se présentent pas à leur poste de travail. À leurs yeux, il est impératif que les deux anciens présidents de la commune, Mohamed Sadiki et Asmaa Rhlalou, soient appelés à s’expliquer sur ces dysfonctionnements répétés.
Chaos administratif
Depuis 2016, les élus de la FGD n’ont cessé de dénoncer les lacunes graves dans la gestion des ressources humaines de la commune, avec une attention particulière portée sur la présence récurrente de fonctionnaires fantômes. Bien que ces alertes aient souvent été ignorées à l’époque, le Conseil régional des Comptes a finalement confirmé ces accusations, soutenu par des preuves irréfutables. Un rapport récent de la Cour des comptes, couvrant la période allant de 2018 à 2023, a révélé un certain nombre de dysfonctionnements majeurs dans la gestion des ressources humaines. Le document de 73 pages fait état d’un véritable chaos administratif, où l’absentéisme, le versement irrégulier de salaires et les pratiques de recrutement douteuses sont monnaie courante. Parmi les révélations les plus préoccupantes, on découvre que certains fonctionnaires retraités ou décédés continuent de percevoir leurs salaires pendant plusieurs mois, voire une année après leur départ. De plus, certaines personnes, bien qu’inconnues des listes officielles, continuent de recevoir des rémunérations de la part de la commune.
Ces irrégularités ne s’arrêtent pas là : le rapport met également en lumière les difficultés rencontrées par 365 retraités, dont les pensions ont été amputées en raison du non-paiement régulier des cotisations par la commune. Ce manque de rigueur dans la gestion financière a des répercussions directes sur de nombreux retraités, qui se retrouvent dans des situations précaires.
Fonctionnaires aux abonnés absents
Au-delà des questions financières, le rapport de la Cour des comptes pointe aussi du doigt les performances médiocres des fonctionnaires. L’absentéisme y est généralisé, avec des absences prolongées qui nuisent à l’efficacité des services. Ce manque de présence est exacerbé par le manque de moyens adéquats mis à la disposition des employés, ainsi que par l’absence de directives claires de la part de la hiérarchie. Malgré ces lacunes, aucune réponse disciplinaire appropriée n’a été apportée, et les dysfonctionnements continuent sans qu’aucune action corrective ne soit mise en oeuvre.
La gestion des recrutements et des nominations à des postes de responsabilité fait également l’objet de sévères critiques. Entre 2018 et 2021, des candidats ont été écartés de manière arbitraire, sans explication, tandis que d’autres ont été promus à des postes stratégiques, bien qu’ils ne remplissaient pas les critères de qualification requis, notamment en termes de diplômes. Des dépassements ont été constatés lors des concours d’accès aux postes vacants: certains candidats ont reçu des notes sans même avoir passé d’examens, ou ont été ajoutés à des listes de lauréats en dépit de leur absence lors des épreuves. Des anomalies similaires ont été enregistrées lors des concours organisés en 2021, où un membre du comité d’évaluation a géré le système de notation depuis son ordinateur personnel, soulevant ainsi des questions de conflits d’intérêts et de manipulation potentielle des résultats. Cette situation met en évidence un climat de favoritisme et de manque de transparence au sein de l’administration communale.
Les dysfonctionnements dans la gestion quotidienne de la commune ne s’arrêtent pas là. Des chefs de départements et de divisions ont rapporté qu’en raison de la surpopulation et du manque d’équipements de travail (chaises, bureaux), les employés étaient contraints de se relayer pour occuper les postes disponibles. Une inspection a révélé que le nombre de fonctionnaires présents sur leur lieu de travail était bien inférieur à celui déclaré par la commune. Par exemple, au service de la correspondance, seulement 4 employés étaient présents, alors que 9 étaient déclarés. Dans la direction générale des services, 144 fonctionnaires étaient enregistrés, mais seuls 29 étaient présents. Pour le service de gestion des ressources humaines, sur 183 employés déclarés, 34 étaient sur place, tandis qu’au service de gestion des biens communaux, aucun des 10 agents annoncés n’était disponible. Sur un total de 748 employés déclarés, seuls 267 étaient effectivement présents, soit un taux de présence de 36 %.
Processus de nomination opaque
Enfin, la Cour des comptes a relevé que dans les processus de nomination à certains postes de responsabilité, les candidats n’étaient pas tenus de soumettre des documents essentiels tels que l’accord de leur administration ou l’avis de leur supérieur hiérarchique direct, en violation de l’article 7 du décret n°2-11-681 du 25 novembre 2011. Pire encore, des procès-verbaux relatifs aux réunions de sélection de candidats ne justifiaient pas les décisions de rejet de certaines candidatures, et n’étaient pas accompagnés de rapports finaux sur le déroulement des entretiens, comme l’exige l’arrêté du ministre de l’Intérieur n°2522.21 du 28 octobre 2021. Ce manque de transparence a conduit à l’exclusion de certains candidats qualifiés, sans que ceux-ci aient été conviés à un entretien. Asmaa Rhlalou, première femme à avoir été élue maire au Maroc, a, quant à elle, remis sa démission le 28 février 2024, moins de trente mois après son élection en septembre 2021.