
Entretien. Développée par les psychiatres éducateurs américaines Jane Nelsen et Lynn Lott, la Discipline positive est une approche qui place l’encouragement au coeur de l’éducation. La psychologue clinicienne Abla Benbachir propose de partager les principes de cette approche avec les parents marocains à travers des ateliers organisée par les écoles Yassamine, à Casablanca.
Maroc Hebdo:
Qu’est-ce que la Discipline positive et à quels besoins répond-elle?
Abla Benbachir: Les enfants d’aujourd’hui, au Maroc comme presque partout ailleurs, sont en prise avec des modèles plus égalitaires. Les méthodes éducatives verticales, c’est-à-dire qui comptent sur la soumission pour transmettre, ne fonctionnent plus de la même manière. Les parents ont donc des difficultés à transmettre les valeurs et les compétences qu’ils souhaitent à leurs enfants. Ils ont besoin de nouveaux repères éducatifs qui leur permettent de continuer à influencer positivement leurs enfants.
Que propose justement cette approche?
Abla Benbachir: La Discipline positive, qui est une approche théorique solide ancrée dans l’encouragement, mais aussi très pragmatique, répond à ce besoin de prendre en compte à la fois les besoins des adultes et des situations. Elle répond aussi aux besoins de l’enfant, notamment sur le plan émotionnel. Nous le savons aujourd’hui, toutes les études le montrent, il y a une corrélation positive entre la prise en compte des besoins émotionnels et la réussite académique, entre autres. Dans cette approche, nous considérons que nous n’avons pas à choisir entre fermeté et bienveillance, mais que chaque parent doit pouvoir être à la fois et simultanément les deux, dans une autorité juste et solide.
Comment trouver l’équilibre entre fermeté et bienveillance?
Abla Benbachir: Cet équilibre est avant tout un regard qu’on porte sur l’enfant, sur les comportements inappropriés et sur les erreurs. Lorsqu’on arrive à percevoir les erreurs de nos enfants, non plus comme des fautes à éviter, mais comme des opportunités pour développer de nouvelles compétences socio émotionnelles ou académiques, nous pouvons mieux les aider à progresser. Ce changement de regard implique aussi que nous admettions une fois pour toutes que pour qu’un enfant fasse mieux, progresse, il faut d’abord qu’il se sente bien. Nous n’avons pas besoin de porter atteinte au bien-être de l’enfant pour nous faire respecter ou pour arriver à des résultats. Pas besoin de crier, humilier, critiquer, utiliser des violences émotionnelles ou physiques pour éduquer. C’est même contradictoire, car nous, parents, sommes modèles de ce que nous transmettons, et lorsque nous manquons de respect à nos enfants, nous leur enseignons le manque de respect, en plus de les fragiliser.
C’est quoi la solution alors?
Abla Benbachir: Il y a une multitude d’alternatives à la punition, que chaque parent peut apprendre à mette en place avec ses enfants. Connecter avant de corriger, mettre en place des accords et en faire le suivi, décider de ce qu’on va faire et nous y tenir, entre autres. Mais tout cela est avant tout une manière d’être, une posture plus horizontale qui nous permet d’éduquer nos enfants plus sereinement.
La Discipline positive a donné de bons résultats dans d’autres pays? Est-il aisé de l’adapter au contexte marocain?
Abla Benbachir: Cette approche donne de très bons résultats partout, pour peu que le parent accepte de mettre en place plus de coopération et de démocratie dans la relation. Il existe deux grandes approches éducatives. La plus courante se base sur un référentiel externe à l’enfant. Pour schématiser, à travers la punition ou le retrait de privilège, la récompense ou le compliment, l’adulte tente de contrôler le comportement de l’enfant. La Discipline positive, elle, permet à l’enfant de développer un référentiel interne. Ce n’est pas parce qu’il craint d’être puni ou cherche une récompense qu’il fait les choses mais parce qu’il veut les faire correctement, faire les bons choix même quand personne ne le regarde.
Comment arriver à ce résultat?
Abla Benbachir: Cette approche fonctionne très bien quand l’adulte est prêt à changer de posture, quel que soit son milieu d’origine ou sa religion. Elle n’est d’ailleurs pas du tout en opposition avec les préceptes religieux en islam, et est très présente en Egypte et dans d’autres pays arabo-musulmans. Cela dit, nous avons encore beaucoup de travail chez nous, parce que les modèles éducatifs ici sont encore très ancrés dans l’exigence de la soumission, ce qui crée beaucoup de frustrations chez les parents et les enfants, et beaucoup de violences….et la majorité n’est pas encore prête à changer de modèle, même si le leur est de plus en plus inopérant. Ça n’est donc qu’une question de temps.
Comment se déroulent les ateliers que vous animez en faveur des parents?
Abla Benbachir: En atelier, nous sommes un groupe de parents, qui viennent parfois seuls, parfois en couples, pour une formation de base qui dure à peu près 14 heures. Plusieurs formats sont proposés, soit 7 séances de deux heures, soit 3 séances de 5 heures étalées sur 3 journées de formation. Cet espacement permet aux participants de s’imprégner de la démarche et des outils progressivement, de les mettre en place à leur rythme avec leurs enfants, et de laisser remonter les questionnements et difficultés éventuelles. Ces ateliers se déroulent dans une atmosphère chaleureuse, où personne ne se juge et où le plaisir d’apprendre prend le dessus. Ça fait d’ailleurs beaucoup de bien aux parents d’échanger avec d’autres parents. Ils se sentent moins seuls et moins coupables de leurs erreurs! Nous sommes tous dans le même bateau...
Qu’en est-t-il de la méthode de travail?
Abla Benbachir: Pour que cette formation soit véritablement impactante, elle a été conçue pour présenter de façon ludique, par des activités interactives, les notions importantes. Nous utilisons l’expérimentation pour permettre au savoir de grandir à l’intérieur de chacun, en multipliant les jeux de rôles et les mises en situations pour faciliter l’intégration des outils. Nous menons aussi des recherches de solutions entre parents pour permettre aux participants de travailler sur des situations difficiles concrètes, et les mettre en capacité de trouver des solutions eux-mêmes pour les difficultés qu’ils rencontreront à l’avenir.