
Dans le champ politique national, le Rassemblement national des indépendants (RNI) fait figure d’espèce panchronique. Une sorte de fossile, peut-être, mais un fossile bien vivant. Bien portant, même. C’est que longtemps qualifié de parti d’administration, une désignation peu glorieuse pour le moins, le RNI est en train de se refaire, l’air de rien, une nouvelle virginité. Tandis que d’autres partis politiques de même lignée éprouvent force difficultés à recouvrer une quelconque utilité, même celle, éventuelle, de roue de secours, la formation de la colombe, elle, donne dans une large mesure encore le la, à défaut de pouvoir (déjà) diriger l’orchestre gouvernemental.
C’est que d’aucuns, dans les milieux politiques nationaux, s’attendent à ce que le RNI prenne en main les rênes de l’Exécutif à l’issue des élections législatives, prévues fin 2016. Une impossibilité comptable, au vu de la large avance dont dispose le Parti de la justice et du développement (PJD), première force politique du pays actuellement, à la chambre des représentants, chambre basse du parlement? C’est à voir, sans doute.
La nomination du chef du gouvernement ne dépend pas que de l’arrivée de son parti en tête des élections législatives. C’est que malgré sa volonté manifeste de rassurer certains milieux jaloux de leurs privilèges –le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, n’assurait-il pas sur la chaîne de télévision satellitaire qatarie Al-Jazeera, quelques mois seulement après son investiture, en 2012, que «Dieu pardonne ce qui est passé»?– la morale islamiste ne semble pas rallier outre mesure l’adhésion des élites politiques et économiques, si ce n’est parmi certains fidèles de la première heure.
Le cheval sombre
C’est dans ce contexte qu’il faudrait d’abord appréhender la (re)montée en puissance du RNI, un parti qui de tout temps a prôné le changement dans la continuité, loin des élans subversifs de certains «sherpas» du PJD, et n’ira sans doute pas se risquer à brusquer les choses. Une approche qui semble beaucoup séduire, notamment dans les milieux d’affaires, pas les moins prompts à apporter leur soutien au RNI. Plusieurs hommes d’affaires de Casablanca, véritable capitale économique du pays, ont fait part au secrétaire général du parti, Salaheddine Mezouar, de leur engagement, lors d’une rencontre informelle dans la ville blanche, le 15 juillet 2015, à cautionner de façon sonnante et trébuchante la colombe dans la perspective des élections communales et régionales, toutes deux prévues au mois de septembre 2015.
Cela suffira-t-il cependant à faire du RNI le cheval sombre de ces deux rendez-vous électoraux, ultimes paliers avant la grand-messe législative? A priori, le RNI devrait faire front commun avec les autres partis de la majorité. Il s’agit, outre du PJD, du Mouvement populaire (MP) et du Parti du progrès et du socialisme (PPS). La décision a été actée lors d’une réunion des secrétaires généraux respectifs de ces partis, à savoir MM. Mezouar et Benkirane ainsi que Mohand Laenser et Mohammed Nabil Benabdallah, à l’heure de la rupture du jeûne, le 8 juillet 2015. Mais l’édifice n’est pas aussi solide qu’il n’y paraît.
Ensuite, cette majorité n’est finalement pas aussi cohésive que ne le voudrait le chef du gouvernement. Entre le RNI et le MP notamment, les relations sont tendues depuis que plusieurs éminents membres de la Haraka (le Mouvement, en langue arabe, surnom du MP) ont rallié la colombe. Ces derniers mois, plusieurs membres du MP avaient décidé de déserter les rangs de la formation en raison, accusent-ils notamment, d’une prétendue mainmise de M. Laenser sur les différents appareils du parti. Le RNI a été le deuxième parti après l’Union constitutionnelle (UC), cependant lui dans l’opposition, à capter le plus de déçus du MP. Il s’agit notamment des députés parlementaires Abdelkader Tatou, président du conseil de la préfecture de Rabat, et Abdelkebir Berkia, qui siège, lui, à la présidence du conseil de la région de Rabat-Salé-Zemmour- Zaër.
Négocaitions informelles
M. Laenser s’en était même plaint, début juin 2015, à Rachid Talbi Alami, président de la Chambre des représentants et l’un des hommes forts du RNI, accusé d’avoir mené de longues semaines durant des négociations informelles avec les deux parlementaires désabusés. Ce que le principal intéressé nie en bloc. «MM. Tatou et Berkia ont rejoint d’eux-mêmes le RNI», nous affirmet- il. Il ajoute que le RNI ne peut pas refuser d’accueillir de nouveaux adhérents sous prétexte que ces derniers auraient appartenu par le passé à des partis de la majorité. «Qui plus est», précise-t-il, «l’adhésion de M. Tatou au MP avait été gelée en janvier 2015. En conséquence, il n’est plus membre du parti. Quant à M. Berkia, il n’a jamais appartenu au MP. M. Laenser l’a lui-même confirmé sur la chaine de télévision Al-Aoula (lors de l’émission «Daif Al-Oula», en mai 2015)».
Grandes notabilités
Le MP n’a pas été le seul parti politique à se plaindre ces derniers temps du ralliement de plusieurs de ses membres au RNI. Le premier secrétaire de l’USFP, Driss Lachgar, a également fait part de ces griefs, le 14 juillet 2015, lors d’une réunion au siège du ministère de l’Intérieur dans la capitale, Rabat, au ministre en charge du département, Mohamed Hassad. La raison en est que deux des grandes notabilités de l’USFP, Said Chbaâtou, ancien ministre des Pêches maritimes dans le gouvernement Abderrahmane Youssoufi (2000-2002) et président du conseil de la région de Meknès, mais surtout Hassan Derham, député de la province d’Oued Ed-Dahab et personnalité d’une influence politique majeure dans les provinces du Sud, ont troqué la rose socialiste pour le libéralisme de la colombe. Les deux hommes devraient pouvoir se présenter sous les couleurs du RNI dès les élections de ce mois de septembre 2015. D’ici là, ils ne devraient sans doute pas être les seuls ralliés. Le PJD, en tout cas, peut déjà trembler.