Monia Rizkallah, violoniste, premier chef d’attaque à l’Opéra de Berlin, est une véritable pointure mondiale dans son domaine. Elle a performé avec les plus grands et est reconnue pour sa sensibilité artistique hors pair. Retour sur ses débuts, son parcours exemplaire, ses consécrations et ses projets d’avenir pour son pays d’origine, le Maroc.
Vous êtes premier chef d’attaque à l’Opéra de Berlin et l’une des violonistes les plus en vogue mondialement. Comment Monia Rizkallah en est-elle arrivée là? Veuillez nous raconter vos débuts…
Tout commence à Bordeaux, ma ville natale, où mes parents, originaires de Casablanca, issus d’un milieu modeste, se sont installés. Mon père, passionné de musique classique, me propose d’apprendre la musique et de choisir un instrument. Je n’ai que sept ans, mais le choix était évident pour moi: cela sera le violon. Je m’initie à l’école de musique de mon quartier avec une professeure d’exception, Yvette Vallée, alors titulaire à l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine.
Elle éveille et développe mon intérêt pour un instrument pourtant souvent considéré comme difficile. Ma professeure nous invite, mes parents, ma soeur et moimême, à la voir se produire au Grand Théâtre de Bordeaux. Je découvre alors, émerveillée, un décorum aussi magnifique qu’imposant et des musiciens qui m’enchantent par l’histoire que leurs instruments racontent. Ils procurent tant d’émotions au public que je souhaite pouvoir un jour les imiter. Ma passion pour le violon se scelle alors.
Quelques années plus tard, je passe le concours d’entrée au conservatoire de musique de Bordeaux et j’entame un parcours musique-études. J’obtiens à la fois la médaille d’or au conservatoire et le baccalauréat. A Bordeaux, je rencontre le professeur Pierre Doukan, qui enseigne au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMP). Cette rencontre est décisive. À l’issue d’une audition, il me prend sous son aile et me prépare au concours d’entrée du CNSMP. Je l’intègre à l’unanimité du jury et j’en ressors trois ans plus tard, diplômée du premier prix de violon et du premier prix de musique de chambre.
Comment avez-vous atterri en Allemagne, où votre carrière a pris son véritable envol?
Après ma sortie du CNSMP, j’ai passé plusieurs concours pour obtenir des bourses d’études me permettant de financer un perfectionnement à l’international. J’intègre la European Mozart Academy de Varsovie et étudie avec le célèbre professeur russe Gregory Zhislin. Durant mes études, j’ai l’honneur et le plaisir de rencontrer des chefs d’orchestre et des musiciens de renom, notamment Marek Janowski, avec lequel je me produis en France en tant que premier violon solo de l’Orchestre Français des Jeunes de 1993 à 1996.
Ce grand chef d’orchestre me conseille de poursuivre mon perfectionnement à Berlin, auprès du professeur Thomas Brandis, premier violon du Berliner Philharmoniker et professeur à la Hochschule der Ku?nste de Berlin. En 2000, je passe une audition au Deutsche Oper Berlin pour un poste de remplaçante qui me permet de financer la poursuite de mes études à Berlin. De concours en concours, après deux ans de stage, je suis titularisée et occupe successivement les postes de violon du rang puis premier chef d’attaque dans l’orchestre du Deutsche Oper Berlin, et j’enseigne à l’académie d’orchestre du Deutsche Oper Berlin.
Une consécration. Ce poste clé de premier chef d’attaque vous ouvre de nombreuses possibilités...
Effectivement, je suis invitée à jouer au sein d’orchestres prestigieux allemands comme le Berliner Philharmoniker, le Bayerische Staatsoper Mu?nchen, le Hamburgische Staatsoper, la Staatskapelle de Berlin, l’Orchestre symphonique de la Radio de Berlin, l’Orchestre symphonique de la Radio de Munich, mais aussi étrangers comme l’orchestre Palau de les Arts Reina Sofia, en Espagne, le Filarmonica Arturo Toscanini, en Italie, et le New York Philharmonic, aux États-Unis.
Depuis 2015, je suis régulièrement sollicitée pour me produire en tant que premier violon solo au Bilkent Symphony Orchestra d’Ankara. En 2018, je deviens membre du World Orchestra for Peace, un orchestre international qui se forme à l’occasion d’évènements soutenant la paix, la réconciliation et la reconstruction après la guerre. J’ai également eu la chance de collaborer avec les plus grands chanteurs d’opéra de notre temps, à l’instar de Luciano Pavarotti, Anna Netrebko, Placido Domingo, Rolando Villazon, Jonas Kaufmann, Waltraud Meier. Ce fut des moments inoubliables.
Vous avez été consacrée au Maroc, un pays où vous avez d’ailleurs lancé une initiative plus que louable: El Akademia Masterclass. Comment a germé cette idée?
Je tiens effectivement à rappeler que j’ai eu l’immense honneur de recevoir, en 2019, le Trophée des Marocains du Monde, dans la catégorie Arts et Culture, et, en 2020, d’être nommée par André Azoulay, conseiller de Sa Majesté le Roi, au poste de directrice artistique du Festival du Printemps Musical des Alizés. Vous savez, j’ai beaucoup reçu de la part de mes professeurs et maîtres. Ils m’ont communiqué un savoir précieux qui ne peut s’apprendre que par l’échange et le partage. J’ai reçu d’eux un héritage immatériel dont je devais perpétuer la transmission. J’ai alors eu l’idée des El Akademia Masterclass.
Je rappelle que j’organise, depuis quelques années, des sessions intensives de coaching à destination d’étudiants en musique et d’orchestres professionnels (orchestres de Bosnie, d’Oman et d’Ankara). Forte de ces expériences, j’ai souhaité me consacrer aux jeunes musiciens du Maroc, pays de mes origines, et, en 2017, le projet El Akademia Masterclass s’est concrétisé. Il consiste en un coaching intensif individuel et de groupe de jeunes musiciens méritants et en des rencontres avec le public.
Il se structure en 2019 autour de l’association allemande El Akademia e.V. et de l’association marocaine El Akademia Masterclass. El Akademia Masterclass constitue le maillon jusque-là inexistant entre l’apprentissage académique délivré par les conservatoires marocains et le perfectionnement indispensable pour intégrer des orchestres professionnels. Lors des premières éditions du programme, j’ai mesuré l’ampleur des attentes des jeunes musiciens marocains et vu des vocations se consolider.
Chaque année, El Akademia Masterclass, programme gratuit pour les étudiants, rassemble environ 70 jeunes venus de toutes les villes du Royaume. Pour que seuls le talent et la motivation soient les clés de la participation à ces masterclasses, en décembre 2018, je suis allée directement à la rencontre des directeurs, professeurs et élèves des conservatoires de musique du Royaume, lors d’une tournée de recrutement menée dans tout le pays.
En 2019, pour la première fois au Maroc, une bourse d’études a été attribuée aux étudiants pour les frais de bouche et d’hébergement, leur permettant de se consacrer uniquement au perfectionnement de leur art. Nait alors l’Orchestre National des Jeunes du Maroc (ONJM), que André Azoulay parraine depuis 2020. Par ailleurs, je forme le voeu de pouvoir prochainement présenter l’ONJM au Young Orchestra Festival de Berlin, où se produisent les meilleurs orchestres de jeunes du monde.