Moncef El Yazghi: "C'est la candidature la plus solide jamais déposée par le Maroc pour organiser une coupe du monde"


Après cinq tentatives infructueuses, le Maroc tente d’organiser la Coupe du monde mais cette fois dans le cadre d’une candidature commune avec l’Espagne et le Portugal. Moncef El Yazghi, chercheur en politique du sport revient sur les motivations de cette énième candidature et sur la position du Maroc.

Après 1994, 1998, 2006, 2010 et 2026, le Maroc vient d’officialiser sa candidature pour organiser la Coupe du monde 2030 dans le cadre d’un dossier conjoint aux côtés de l’Espagne et du Portugal. Pourquoi tenter encore une fois ?
Tout d’abord, il faut faire un retour en arrière pour comprendre cette nouvelle candidature. En juillet 2018, alors que le Maroc venait de perdre la course pour l’organisation du Mondial 2026 au profit du trio États-Unis-Mexique- Canada, le roi Mohammed VI avait annoncé que le Royaume allait candidater pour abriter l’édition suivante, celle de 2030. Donc la récente annonce est loin d’être fortuite. La partie marocaine préférait rester discrètes et observer la situation de loin, sans trop faire de bruit en attendant que l’occasion se présente.

Et puis le retrait de l’Ukraine du dossier ibérique est survenu ...
Oui. Le Maroc a compris qu’avec le nouveau système de la Coupe du monde à 48 équipes au lieu de 32, qui entrera en vigueur dès la prochaine édition de 2026, un pays ne peut pas assurer l’organisation tout seul, d’autant plus que le Qatar a placé la barre très haut niveau organisation avec l’édition de 2022. Parallèlement, le président de la Fédération ukrainienne de football s’est retrouvé au coeur de scandales de corruption, chose qui allait sévèrement impacter la candidature de l’Espagne et du Portugal.

Et nous savons que depuis la chute de son ex-président, le Suisse Sepp Blatter, la FIFA se montre de plus en plus prudente concernant les affaires liées à la corruption et à la transparence au point qu’elle a commencé à publier en ligne les salaires de ses personnels. Madrid et Lisbonne ont compris qu’il fallait trouver un autre partenaire plus sérieux, et leur choix s’est logiquement porté sur le Maroc.

Pourquoi à votre avis ?
Ce n’est pas de la charité de leur part biensûr. Les deux pays ont compris que le Maroc dispose d’un fort rayonnement international grâce à son exploit à la dernière Coupe du monde Qatar-2022. Le Royaume a également brillé par son organisation réussie de plusieurs événements sportifs dont la Coupe du monde des clubs en février dernier.

Et puis lors de la dernière visite du président du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, au Maroc début février, dans le cadre de la Réunion de haut niveau, la question du tunnel reliant les deux pays a été soulevée et ce projet pourrait faire partie de la vision globale de cette candidature conjointe. En tout cas, le dossier Maroc-Espagne-Portugal possède un avantage indéniable sur le plan du transport et des déplacements des supporters, contrairement aux deux autres dossiers, celui de l’Argentine- Chili-Paraguay-Uruguay, et celui de l’Arabie Saoudite-Égypte-Grèce.

Ces dossiers peuvent-ils concurrencer la candidature marocaine ?
La candidature de l’Amérique Latine souffre du problème de la distance entre les pays candidats, qui sont trop nombreux au passage. Et puis je doute que la FIFA veuille attribuer l’organisation de deux coupes du monde consécutives au même continent, alors que les États-Unis-Canada-Mexique organiseront l’édition 2026. Certes, les deux dossiers ne représentent pas la même confédération, mais c’est toujours le même continent. Le dossier saoudien relève plus de l’émotion et de l’ambition pas plus, dans le cadre de la vision 2030 lancée par le prince héritier Mohamed Ben Salmane Pour développer le pays à plusieurs niveaux. D’autant que l’Arabie Saoudite voudra imposer des conditions comme l’organisation de 75% des matchs du Mondial sur ses terres, et l’Égypte n’accepterait pas ça.

Donc le Maroc est plus que jamais proche de son rêve ..
On peut dire ça. Il faut juste attendre de voir si la Chine présentera sa candidature à la dernière minute. Ce géant a exprimé son ambition de porter le football local à un autre niveau, et vise l’organisation du Mondial pour y parvenir. Mais une éventuelle candidature chinoise sera confrontée au problème des relations tendues de Pékin avec les pays de l’Ouest à leur tête les États-Unis, sans oublier les sévères restrictions sanitaire dans le pays en liaison avec le covid-19.

Le Maroc a un long chemin à faire pour se mettre au niveau de l’Espagne et du Portugal ..
Pour ce qui est des infrastructures sportives, les choses sont moins difficiles que l’on puisse croire. Le Maroc a déjà construit plusieurs stades comme à Marrakech, Tanger, Agadir et on peut encore envisager le grand stade de Casablanca dont la réalisation traîne depuis des années. Il faudra juste les renouveler pour répondre aux exigences d’une compétition comme le Mondial. Il ne faut pas oublier que les matchs seront répartis entre trois pays, donc le nombre de stade requis n’est pas si important que ça. L’essentiel du travail se fera surtout au niveau des autres infrastructures comme les routes, les moyens de transport, les hôpitaux, etc.

Certains évoquent la faible rentabilité économique du Mondial, comme ce fut le cas pour des pays en voie de développement comme l’Afrique du Sud en 2010 et le Brésil en 2014. Qu’en est-il pour le Maroc ?
Le Maroc a tout à gagner s’il obtient l’organisation de la Coupe du monde 2030. D’un côté, le Maroc ne sera pas confronté au fameux problème des “éléphants blancs”, ces bâtiments immenses comme les stades de foot, dont la construction et l’entretien coûtent extrêmement cher mais dont l’utilité est très limitée, car l’organisation conjointe permet la répartition des matchs et requiert donc moins d’infrastructures.

Justement en parlant de répartition, on craint que l’Espagne et le Portugal ne s’accaparent les matchs les plus importants comme le feront les États-Unis en 2026 …
Ça n’arrivera pas car le Maroc demandera la répartition des matchs importants sur la base du continent et non des pays. En d’autres termes, on exigera que l’Afrique -donc le Maroc- organise l’une des deux: l’ouverture ou la clôture. Le Portugal et l’Espagne devront alors se mettre d’accord pour savoir qui des deux abritera l’autre cérémonie. Et globalement, on sera sur un système à 48 équipes et 12 groupes. Chacun des trois hôtes accueillera 4 groupes et 16 sélections lors du premier tour.

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