Mohammed Moussaoui : "L’islam et les musulmans de France sont de plus en plus victimes d’une approche sécuritaire"


Plus qu’un scandale éphémère, l’opération de “fichage” religieux d’élèves musulmans dans des écoles en France est une énième preuve de l’échec de l’approche d’Emmanuel Macron dans le dossier de l’islam dans l’Hexagone.

L’affaire de “fichage” religieux dans les écoles durant l’Aïd Al-Fitr provoque un tollé en France. Peut-on parler d’un scandale d’État?
Le ministère de l’intérieur a admis être à l’origine de la demande faite par deux policiers aux établissements scolaires. Il rejette toute volonté de « fichage religieux » puisque –dit-il- aucune donnée nominative n’a été demandée. Il dit vouloir « étudier régulièrement l’impact de certaines fêtes religieuses sur le fonctionnement des services publics ». Ces explications ne sont évidemment pas convaincantes. En effet, c’est la première fois qu’une telle pratique est révélée et le ministère de l’intérieur est incapable de donner un exemple de fête non musulmane qui aurait été ciblée par la même stigmatisation.

Pour preuve, les rectorats en charge de l’enseignement ont appelé les établissements à ne pas répondre à la demande des policiers. De même que des syndicats d’enseignement, des associations de lutte contre le racisme, la société civile et des élus se sont indignés face à cette démarche qui n’est pas du tout banale comme le ministère de l’intérieur veut le faire croire. Raison pour laquelle dès samedi 20 mai, l’Union des mosquées de France (UMF) a demandé aux pouvoirs publics de diligenter une enquête et de mettre toute la lumière sur cette affaire. Savoir aujourd’hui qu’il ne s’agissait pas d’une initiative d’agents zélés mais d’une décision émanant du ministère de l’intérieur qui nous laisse perplexe quant à la méthode utilisée et au but recherché.

Quelles pourraient être les répercussions politiques et sociales de cette affaire à votre avis?
Face à l’inquiétude des familles musulmanes, la réponse du ministère de l’intérieur n’a pas été rassurante. Une fois de plus, leur pratique religieuse se trouve mise à l’index, contrôlée et discriminée. Cela n’est pas de nature à préserver la cohésion sociale dans notre pays. Il ne fera que nourrir les extrémismes de tout bord et accentuer chez les citoyens de confession musulmane le sentiment d’être sous un soupçon permanent.

Qu’est ce que cette affaire peut-elle nous apprendre sur la politique du gouvernement français vis-à-vis de l’Islam et des Musulmans de France?
Malheureusement, l’islam et les musulmans de France sont de plus en plus victimes d’une approche sécuritaire qui n’a pas lieu d’être dans une politique éclairée et dans un pays de droit comme le nôtre. Certes des extrémistes se réclamant de l’islam ont commis des attentats abjects contre notre pays et ont fait de nombreuses victimes parmi nos concitoyens dont font partie aussi les français de confession musulmane. Ces derniers ne ménagent aucun effort dans la lutte vitale contre ces extrémistes. Cibler la pratique religieuse musulmane ne sert en rien cette lutte. Il l’affaiblit.

Les écarts de langage utilisés via des raccourcis tels que «islamistes», «islamisme», «terrorisme islamiste sunnite»,«islamo- fascisme» ne font que renforcer les préjugés et les stéréotypes sur l’islam et les musulmans. Dans les années 1930, des individus se réclamant être les défenseurs de « l’identité française authentique » ont collaboré avec le nazisme et le fascisme et contribué à la déportation et à l’extermination de nos concitoyens juifs. Hier comme aujourd’hui, aucun français n’accepterait de désigner cette collaboration de « nazisme français ». Associer « français » avec l’abomination du nazisme serait une offense insupportable à l’égard de tous les français. Parce que les mots ont un sens, nous réclamons depuis trop longtemps de marquer une distance entre l’islam en tant que religion et les extrémistes qui s’en réclament.

Plus globalement, peut-on dire que la politique d’Emmanuel Macron en lien avec la question de l’Islam, a montré ses limites, voire a échoué?
Incontestablement, une forme de défiance à l’égard de l’islam et des musulmans et une peur irrationnelle de l’islam sont nourries par des extrémistes qui dévoient les principes de l’islam et par des mouvements populistes et identitaires de l’extrême droite. Les gouvernants qui tentent d’apporter une réponse à cette peur et d’assurer la sécurité de notre pays et nos concitoyens agissent sous pression.

Lorsqu’on agit sous pression, on manque de lucidité et le risque de stigmatiser augmente. Certains choix faits par le gouvernement actuel et ceux qui l’ont précédé ne sont pas toujours optimaux. Les musulmans de France ont aussi leur part de responsabilité dans la situation actuelle. Divisés et incapables de parler d’une même voix qui porte, ils ne sont pas en mesure de défendre efficacement leurs intérêts dans la société et de peser sur les décisions prises par les gouvernements successifs. Ni le gouvernement ni les musulmans n’ont intérêt à échouer dans la construction d’une société apaisée où chacun peut apporter sa contribution pleine et entière à la cohésion et à l’unité de notre pays.

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