Mohammed Benmoussa : Abbas El Fassi et Hamid Chabat portent une lourde responsabilité dans l'échec du parti



Mohamed Benmoussa, économiste et membre du conseil national de l’Istiqlal, analyse la situation du parti nationaliste marocain, à la veille de son 17ème congrès, prévu à Rabat du 29 septembre au 1er octobre 2017.

Le parti de l’Istiqlal organise son Congrès à partir du 29 septembre 2017 pour élire un nouveau Secrétaire général. Nizar Baraka a-t-il, selon vous, des chances de l’emporter sur Hamid Chabat?
Si l’on en croit les medias, c’est plus que probable, même pratiquement certain pour beaucoup de vos confrères. Si l’on sonde les membres du prochain Conseil national, il semblerait que l’issue du scrutin ne soit pas assurée, le Secrétaire général sortant faisant preuve d’une grande opiniâtreté, sans oublier que des candidatures de dernière minute pourraient se déclarer. Mais là n’est pas l’essentiel.
L’identité du candidat importe peu, ce qui compte ce sont sa personnalité, son indépendance d’esprit et son libre arbitre, sa probité, ses compétences, les idées politiques qu’il défend et le projet qu’il porte pour les Marocains. Ce sont ces critères qui doivent faire la différence. Sur ces questions, les deux candidats que vous citez proposent une offre politique limitée, chacun pour des raisons différentes.

Pensez-vous que Hamid Chabat, compte tenu de son isolement politique, va perdre cette élection?
Je pense avoir déjà répondu à cette question. Je note au passage que cet isolement est un phénomène relativement récent, puisque les membres du Comité exécutif ont, tous en choeur, cautionné sa politique tout au long de son mandat et que les rébellions n’ont commencé à se manifester que depuis quelques mois.
Quant au résultat du scrutin à venir, tout est encore incertain. Il appartient aux congressistes d’ouvrir des perspectives autrement plus intéressantes pour le parti en refusant un choix étriqué entre un leadership populiste et un autre à caractère familial et patrimonial. Ils doivent décider de rompre avec la démocratie de façade et ouvrir l’éligibilité à la candidature suprême aux hauts cadres du parti qui en ont la volonté et la capacité.

Votre lettre ouverte adressée aux militants du parti parle de plusieurs échecs que l’Istiqlal a essuyés ces dernières années. A qui imputez-vous ces échecs?
Vous le rappelez à juste titre, ces échecs sont multiples et ils sont de cinq natures: médiatique, électorale, politique, militante et morale.
La responsabilité est collective et ne peut en aucun cas, par souci d’honnêteté intellectuelle et de réalisme politique, être imputée à une seule personne. Le Conseil national et surtout le Comité exécutif sont coresponsables du délitement de l’Istiqlal. Mais s’il fallait établir une hiérarchie dans l’échelle des responsabilités, Abbas El Fassi et Hamid Chabat portent une responsabilité lourde dans l’échec du parti. Le premier pour avoir affaibli la direction de l’Istiqlal en la privant de colonne vertébrale, tout en conduisant une politique népotique de sélection des hauts dirigeants du parti, le second pour avoir développé un discours populiste et agressif, tout en ayant été à l’origine d’une brouille gratuite avec les hautes instances du pays.

Pourquoi, selon vous, l’élite politique du parti ne s’implique pas dans la refondation de l’Istiqlal?
Tout simplement parce qu’elle est marginalisée, parce qu’elle n’a pas son mot à dire ni sur la ligne politique, ni sur la désignation de celles et ceux qui portent le flambeau du parti devant les électeurs ou dans l’appareil de l’Etat. Et puis les statuts et le règlement intérieur de l’Istiqlal, qui relèvent d’un autre temps que l’on croyait révolu, assurent un corsetage de l’élection du Secrétaire général.
C’est pourquoi j’invite ardemment les congressistes à refuser le fait accompli, à rejeter les scénarii préétablis et à insuffler un grand bol d’oxygène au parti en permettant d’autres candidatures plus en phase avec les enjeux réels du moment.

Pensez-vous que l’Istiqlal reprendra sa place d’antan dans le paysage politique national?
Incontestablement non, si l’on reste dans l’entre-soi et si on maintient ce duel stérile qui s’apparente davantage à un combat de coqs qu’à une compétition politique. Assurément oui, si les cartes sont rebattues et si une vraie démocratie interne est instaurée avec une priorisation du débat d’idées et de la confrontation programmatique dans le respect total des personnes.

Vous appelez à un changement des statuts et du règlement intérieur du parti. Pensez-vous que les règles du jeu actuelles sont dépassées?
Absolument. Le système électoral actuel du parti donne le pouvoir à un millier de membres du Conseil national d’élire le Secrétaire général, alors que leur crédibilité et leur légitimité sont largement contestables. Ils sont issus, pour un grand nombre d’entre eux, de Congrès provinciaux et préfectoraux où des vidéos ont montré que l’on a fait usage d’agents de sécurité, de chaînes métalliques, de battes et de chiens pitbull! Ils sont parrainés par des roitelets et des «roitelettes » suffisamment argentés et généreusement incultes, qui désignent leurs affidés, écartent les hauts cadres et appauvrissent intellectuellement le parti. Cette mascarade doit cesser et vite!
Les militants et, dans une seconde étape, les sympathisants de l’Istiqlal, doivent reprendre le pouvoir et désigner eux-mêmes le Secrétaire général et l’équipe de direction qui les représenteront et porteront avec force et honneur les couleurs du parti.

Pourquoi n’êtes-vous pas candidat au poste de Secrétaire général de l’Istiqlal?
Les règles internes du parti ne le permettent pas pour le moment. J’ai déjà dit combien celles-ci me semblaient désuètes et participer d’un système de démocratie censitaire. Dans ma lettre ouverte, j’annonce à mes camarades de l’Istiqlal qui souhaitent moderniser les statuts et le règlement intérieur en consacrant le pluralisme des candidatures, que je suis parfaitement disposé à présenter un projet pour le parti et une vision sur tous les sujets qui intéressent les Marocains: de la modernisation des institutions politiques à la réforme de l’Etat et des administrations publiques, en passant par la réforme du code pénal, le renforcement des libertés individuelles et collectives, la politique fiscale, la politique monétaire, le sport ou la diplomatie. Et je suis, bien entendu, à la disposition de MM Hamid Chabat et Nizar Baraka pour participer avec eux à un débat public sur ces questions afin que le choix des Istiqlaliens soit suffisamment éclairé et pour faire en sorte que le 17ème Congrès de l’Istiqlal soit un grand moment de démocratie.

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