Mohammed Ben Zayed succède à Khalifa Ben Zayed Al-Nahyane

La constante maroco-émiratie

La prise de pouvoir de l’ancien prince héritier d’Abou Dabi, officialisée le 14 mai 2022, est avant tout symbolique, puisque cela fait plusieurs années déjà que, sans du tout s’en cacher, il tirait les ficelles. Pour le Maroc, il est d’abord un allié de taille dans un contexte régional des plus troublés.

Le Président français, Emmanuel Macron, le Premier ministre britannique, Boris Johnson, ou encore la vice-présidente américaine, Kamala Harris; au niveau régional, le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi ainsi que le roi Abdallah II de Jordanie, avec aussi, symbole remarqué, le président israélien, Isaac Herzog: les funérailles de cheikh Khalifa ben Zayed Al-Nahyane, président des Émirats arabes unis et émir d’Abou Dabi décédé le 13 mai 2022, ont quasiment attiré l’ensemble des dirigeants qui comptent actuellement dans les affaires du monde.

Du jamais-vu pour un chef d’État arabe depuis sans doute le décès fin juillet 1999 du roi Hassan II, dont l’enterrement au mausolée Mohammed-V de la ville de Rabat avait notamment connu la participation du Président français, Jacques Chirac, et même de son homologue américain, Bill Clinton, en plus du Président palestinien, Yasser Arafat, et du Premier ministre israélien, Ehud Barak, entre autres personnalités en vue de la région -Abdallah II de Jordanie, qui venait d’être intronisé à peine quelque cinq mois plus tôt, avait aussi, à l’époque, fait acte de présence.

Solidarité agissante
En définitive, cheikh Khalifa ne se sera pas contenté d’un passage quelconque sur terre, et il va sans dire qu’indéniablement il laissera une trace indélébile dans l’histoire de son pays, dont il a contribué à renforcer la stature de puissance internationale dont son prédécesseur et père, cheikh Zayed, avait posé les jalons à partir de l’indépendance gagnée vis-à-vis du Royaume-Uni en 1971. “Je me remémore, en ce moment difficile, les réalisations du défunt en faveur de l’État des Émirats arabes unis frère, poursuivant les grandes réalisations de son regretté père, Zayed Al-Nahyane, et en veillant à sa modernisation et au développement de ses capacités économiques et politiques, ce qui a permis au pays d’occuper une place de choix aux niveaux arabe, régional et international, et de jouer un rôle agissant pour la défense des causes arabes justes et pour la consolidation des liens de solidarité arabo-islamique,” a notamment souligné dans un message de condoléances et de compassion le roi Mohammed VI, qui, pour sa part, n’a pas fait le déplacement et a dépêché à sa place son frère le prince Moulay Rachid, accompagné le 15 mai 2022 dans la capitale des Émirats, Abou Dabi, par le ministre des Habous, Ahmed Toufiq.

Ceci dit, les suiveurs de la scène politique du Moyen-Orient savent que depuis l’accident vasculaire cérébral (AVC) qu’il avait subi fin janvier 2014, cheikh Khalifa n’était plus le dirigeant effectif des Émirats, s’étant de luimême discrètement retiré des affaires pour s’occuper de sa santé, mais plutôt son frère et prince héritier, Mohammed ben Zayed, devenu entre-temps une figure de premier plan à telle enseigne que sa prise de pouvoir officielle en tant que nouveau président demeure seulement, dans les faits, symbolique.

Et par voie de conséquence, il ne faut pas s’attendre à ce qu’il y ait de changement stratégique, notamment au plan diplomatique qui porte ouvertement l’estampille, comme chacun le sait, de celui que l’on est venu à surnommer simplement dans la presse internationale par ses initiales, MBZ: actualité oblige, on pense bien sûr en premier lieu au rapprochement avec Israël, intervenu dans le cadre des accords d’Abraham négocié sous l’égide du président américain Donald Trump et qui ont amené quatre pays arabes, dont le Maroc en décembre 2020, à normaliser leurs relations avec l’État hébreu; mais il en est de même, aussi, au niveau de la lutte contre les velléités de pouvoir des Frères musulmans, dont les Émirats sont devenus les premiers opposants en Égypte ou encore en Libye, par la voie de la guérilla de l’autoproclamé maréchal Khalifa Haftar, ainsi que l’endiguement de l’expansionnisme iranien dans des pays comme l’Irak, le Liban, la Syrie et le Yémen et qui est d’ailleurs une des principales raisons du ralliement émirati aux accords d’Abraham.

Ce dont, on peut le deviner, le Maroc s’arrange bien, étant donné que comme l’a souligné le roi Mohammed VI dans un deuxième message, celui-là de félicitations, à l’adresse de Mohammed ben Zayed, il a avec les Émirats “des relations de solidarité agissante et de coopération fructueuse” sans doute sans pareille pour le Royaume dans le monde arabe, si l’on excepte la Jordanie et, éventuellement, l’Arabie saoudite d’avant le prince héritier Mohammed ben Salmane. Ces dernières années, lesdites relations se sont notamment traduites par la décision émiratie de se doter au niveau de la ville de Laâyoune, au Sahara marocain, d’un consulat en guise de reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur la région, ce qui a par la suite encouragé Bahreïn et la Jordanie à également franchir le pas.

Coopération fructueuse
Aussi, les Émirats ont grandement joué dans la décision historique du 14 décembre 2021 du conseil suprême du Conseil de coopération du Golfe (CCG), dont fait partie le pays, en faveur du soutien à l’intégrité territoriale du Maroc, qualifié de “constant”. Il faut aussi dire que dès l’époque de cheikh Zayed, les Émirats ont pris fait et cause en faveur du Maroc dans la récupération de ses provinces du Sud, prenant même part, en novembre 1975, à la Marche verte, à l’issue de laquelle la région de Sakia El Hamra était revenue dans le giron du Royaume, et c’est justement Mohammed ben Zayed lui-même, âgé alors de quatorze ans, qui avait représenté son pays.

Ce qui renvoie d’ailleurs à un épisode que les observateurs aiment à rappeler à chaque fois que sont évoquées les relations entre le Maroc et les Émirats, et qui est que le nouveau président émirati avait non seulement coutume, pendant son enfance, de se trouver dans le Royaume, mais qu’en plus il y a à un moment vécu en tant que citoyen parfaitement lambda, travaillant même en tant que serveur dans un restaurant, sur décision de cheikh Zayed qui tenait ainsi à le former -période assez dure, à en croire le concerné, qui se souvenait par exemple dans un article publié début janvier 2020 dans le quotidien américain The New York Times qu’“il y avait un bol de taboulé dans le réfrigérateur, et [qu’il] continuai[t] à en manger jour après jour jusqu’à ce qu’une sorte de champignon se forme sur le dessus”. Pendant ses séjours au Maroc, Mohammed ben Zayed a également connu les palais de Hassan II et surtout, dès cette époque, le roi Mohammed VI, encore prince héritier, dont il allait même à un certain moment être le camarade de classe au Collège royal.

Le roi Mohammed VI et Mohammed ben Zayed sont pour ainsi dire des amis d’enfance, et cela a d’ailleurs beaucoup joué pour qu’à la fin des années 2010 le Maroc et les Émirats gardent des relations normales malgré les “désaccords” -reconnus fin mars 2019 par le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, lors d’un point presse dans la ville de Casablanca- sur la Libye: dans la foulée même de la conférence consacrée en janvier 2020 à ce dernier pays dans la capitale de l’Allemagne, Berlin, Mohammed ben Zayed allait ainsi se rendre au Maroc pour une visite privée où, néanmoins, il fera la rencontre du roi Mohammed VI, avec à clé, une photo souvenir où les deux hommes sont tout sourire -sous-entendu que sur l’essentiel les pays et leurs dirigeants restaient “frères” avant tout, comme le veut la formule d’usage.

Exercice photographique encore reproduit le 9 avril 2022 seulement, pour un iftar à la résidence royale de la ville de Salé auquel ont pris part, côté marocain, le prince héritier Moulay El Hassan et le prince Moulay Rachid, et celui émirati le représentant du gouverneur de la région de Dhafra, Hamdan ben Zayed, le vice-président du Conseil exécutif de l’Émirat d’Abou Dhabi, Hazza ben Zayed, le président du conseil des conservateurs de la Fondation Zayed ben Soltane Al- Nahyane des oeuvres humanitaires et de bienfaisance, Nahyane ben Zayed, et le vice-président du conseil des ministres et ministre des Affaires de la présidence, Mansour ben Zayed.

Dans un communiqué, le Cabinet royal soulignera ainsi les “relations d’affection permanente et de communication constante liant les deux familles soeurs” et celles “de coopération fructueuse et de solidarité agissante entre le Royaume du Maroc et les Émirats arabes unis”. Vieille de plus de cinquante ans déjà, la belle histoire maroco-émiratie semble, en somme, encore promise à durer...

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