Mohammed Ben Salman pourquoi en veut-il au Maroc ?

Mohamed Ben Salmane - ©ph:AFP

Riyad ne soutient pas notre candidature à l’organisation du Mondial 2026. Est-ce une conséquence du rapprochement entre le Maroc et le Qatar ?

Comment ne pas penser à cette formule connue du général De Gaulle: «Les États n’ont pas d’amis, ils ont des intérêts»? La rappeler aujourd’hui? Oui, parce que l’un des dirigeants saoudiens l’a d’une certaine manière reprise à son compte à propos de la position de son pays quant à la candidature du Maroc à l’organisation de la Coupe du Monde de football en 2026.

Retourner l’argument
Ce responsable a quelque autorité dans la mesure où il est un responsable sportif de premier plan. Répondant à une question d’un quotidien sportif saoudien, il a précisé que les autorités de son pays n’avaient encore rien décidé; qu’elles évaluaient les options offertes –en l’occurrence soit le Maroc soit l’autre candidature États unis-Canada-Mexique. Comment ne pas le dire? L’on attendait plus d’engagement de sa part, moins de flou et plus de soutien donc. Il s’en explique ensuite en évacuant pratiquement ce qui relèverait de la fraternité et de l’amitié pour asséner cette conclusion: l’Arabie saoudite décidera sur la base de ses intérêts. En retournant cet argument, il est facile de lui répliquer que, précisément, les intérêts bien compris de son pays ne peuvent que pousser fortement, naturellement, à apporter son soutien à Rabat.

Tel semble donc ne pas être le cas dans la présente conjoncture en tout cas. Pourquoi un tel «lâchage»? Car c’est bien de cela qu’il s’agit! Que s’est-il passé pour que l’on en soit là? Sans être un grand clerc, c’est bien la situation créée par le blocus du Qatar, le 5 juin 2017, qui a conduit à l’état actuel des relations bilatérales.

Solidarité et entraide
A cette date, voici près de dix mois, Riyad a imposé cette mesure extrême avec trois autres pays de la région, les Émirats arabes unis, le Bahreïn et l’Égypte. La justification mise en avant est de deux ordres: soutien aux groupes terroristes et alignement sur l’Iran. Doha récuse ces accusations. Dans une région déjà secouée voire même dévastée par tant de conflits (Syrie, Yémen, Palestine…), la fracture est aggravée par sa dimension confessionnelle –elle divise le monde sunnite– et éclatement du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) des six Etats du Golfe (Arabie saoudite, Koweït, E.A.U, Bahreïn, Oman, Qatar). Comment le Maroc a-t-il appréhendé ce blocus décidé par le nouveau prince héritier Mohammed ben Salman à la barre dans son pays?
Le communiqué officiel publié à cette occasion annonce l’envoi par avions d’une aide alimentaire. Il insiste sur plusieurs points. Le premier d’entre eux est religieux et invoque la conformité de la décision du Maroc avec les préceptes de l’Islam, qui «incite à la solidarité et l’entraide entre les peuples musulmans, notamment en cette période du Ramadan…»

Fraternité sincère
Le deuxième souligne que la position du Maroc «émane des principes clairs qui fondent (sa) politique étrangère» et repose sur «les relations de fraternité sincère» entre le Roi Mohammed VI et «ses frères rois et princes des États membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG).» Enfin, est invoqué le souhait de «rester neutre dans cette crise»; d’où d’ailleurs sa proposition d’offre de médiation.

Le Maroc n’a pas voulu prendre parti et s’aligner sur la position prise par les quatre pays à l’encontre du Qatar. Sa préoccupation relève de plusieurs registres. Tout d’abord, celui de son attachement à la consolidation du partenariat stratégique le liant aux États du CCG et des liens solides entre le peuple marocain et les peuples de ces pays; ensuite, celui d’oeuvrer et de consolider leur stabilité qui fait du CCG un modèle réussi de coopération régionale.

Au passage, le Maroc tient à ajouter que personne ne peut douter de sa «solidarité permanente avec les pays frères du Golfe». Il était à leurs côtés lors de la première guerre du Golfe en 1991; il a apporté son soutien à la souveraineté des Émirats arabes unis sur ses trois îles; il a également rompu ses relations diplomatiques avec Téhéran par solidarité avec Bahreïn, enfin, il participe à la coalition arabe mise sur pied en mars 2015 contre les houtis yéménites suppôts de l’Iran dans le sud de la péninsule arabique. Solidarité agissante donc dans le respect de la légalité internationale.

Le Royaume a adhéré à la coalition arabe pour restaurer la légitimité au Yémen, conformément aux principes de la Charte des Nations unies et du droit international. Les opérations menées sur le sol yéménite s’inscrivent dans le cadre de la résolution 2216 en date du 14 avril 2015 initiée «à la demande du président légitime», Abdrabbo Mansour Hadi, réfugié temporairement en Arabie saoudite après la prise de Sanâa par les rebelles houtis. Pour résumer, le Maroc assure; il assume.

Si le Royaume a qualité et crédibilité pour agir en faveur de la paix, de la stabilité et d’une solidarité dans le Golfe et dans d’autres régions –en particulier l’Afrique– c’est pour une raison simple: il a la capacité de mettre en oeuvre une diplomatie propre.

Latitude d’action
Il n’est aligné sur aucun État ni sur aucune puissance. Sa politique étrangère a sans aucun doute des fondamentaux; elle se déploie sur des sphères géographiques et des espaces de solidarité culturelle (monde arabe, communauté islamique). Dans cette perspective, elle est actée au grand jour, sans frilosité ni faux-semblants.
En se rendant en novembre 2017 à Doha (Qatar), après le royaume saoudien, S.M. Mohammed VI a tenu à adresser un signe fort dans une double direction: celle d’une initiative participant d’un principe de médiation proclamé dès les premiers jours du blocus de Qatar, au début de juin 2017; celle aussi d’une latitude d’action d’une diplomatie «activiste», autonome, sans pression ni tutorat.

Principe de médiation
La feuille de route était proprement marocaine; elle ne participait d’aucune autre préoccupation pouvant émaner d’ailleurs. Le Maroc n’était pas tenu de choisir un camp contre un autre, ce qui aurait porté atteinte à sa doctrine constante depuis des décennies –en tout cas avec le Nouveau Règne. Et les dirigeants actuels de Riyad sont bien placés pour ne pas se formaliser de cette position de Rabat.

Maroc-Qatar, Maroc-Arabie saoudite, Maroc-CCG: n’est-ce pas une seule et même équation à consolider, quelles que soient les circonstances particulières pouvant peser dans la région? Isoler le Qatar et le soumettre à un embargo, n’est-ce pas contreproductif? Parce que cela ne ferait que pousser cet État à s’insérer davantage, par nécessité et par sécurité, dans une alliance encore plus étroite avec le régime iranien.

Demain, quand il faudra renouer forcément les fils d’un dialogue Doha-Riyad, quel pays pourra offrir ses «bons offices », à part le Maroc? Preuve que le couple «fraternité–intérêts» est le seul axe stratégique fécond et porteur de sens.

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