Entretien avec Mohamed Said Karrouk, climatologue, professeur de l’enseignement supérieur

Mohamed Said Karrouk : "Les barrages existants n’ont pas été faits pour ce type d'événements"

Docteur en climatologie, professeur à l’université Hassan II de Casablanca, Mohamed Said Karrouk considère que les précipitations que les régions du Sud Est marocain ont connues sont exceptionnelles. Il ne s’agit pas d’averses mais de mousson. Un phénomène auquel le Maroc n’est pas habitué.


Des précipitations diluviennes se sont abattues, le week end du 7 et 8 septembre 2024, sur différentes régions du Sud-Est marocain, connu pour être aride et sec. Comment expliquez-vous ce phénomène inhabituel ?
Ces précipitations inhabituelles sont exceptionnelles parce que l’événement météorologique qui les a causées représente, à mon sens, une première dans notre région. Il s’agit d’un front intertropical qui crée des moussons, celle ouest africaine qui nous concerne. La mousson ouest africaine est arrivée pour la première fois au Maroc. C’est pour cela que je dis qu’il s’agit d’une situation exceptionnelle qui a provoqué des précipitations exceptionnelles.

Pensez-vous que le Maroc se situe dans une zone d’instabilité climatique exposée à des phénomènes inhabituels ?
On peut dire que c’est le cas parce que le Maroc, vu les latitudes où il se trouve, est le carrefour des événements météorologiques intertropicales, mais aussi polaires. Notre pays se situe dans une zone de transition entre le climat tropical et celui polaire. On s’était toujours habitué à une alternance entre d’une part les événements météorologiques tropicaux qui se caractérisent essentiellement par les sécheresses et la grande chaleur, mais jamais par le retour ou l’arrivée de la mousson ou du front intertropical, et d’autre part les perturbations du front polaire qui a toujours été à l’origine des précipitations hivernales.

Au-delà des dégâts humains et matériels causés, ces précipitations ont alimenté la nappe phréatique de ces régions. Que faut-il faire pour éviter la perte de millions de mètres cubes déversés dans la mer ?
Ces précipitations inattendues ont créé des pertes humains et des dégâts matériels importants. C’est l’effet de ce déluge qui préoccupe pour l’instant. Une fois la douleur passée, il va falloir réfléchir aux moyens de profiter de ces grandes quantités d’eau. Ces événements reviendront même dans des probabilités faibles et ils causeront encore des dégâts. Surtout qu’ils touchent des zones basses où des barrages, par exemple, installés en amont de la région, sont bâtis pour recevoir l’eau de la fonte des glaces mais pas des précipitations.


Avec les précipitations, les barrages se sont remplis, mais pour la plupart rapidement à cause de l’envasement. La région étant aride, il y a beaucoup de poussière, beaucoup de sable et tout cela va finir dans le fond des barrages. Je ne peux avancer aucune hypothèse sur l’apport de ces précipitations à la nappe phréatique généralement alimentée par la fonte des glaces doucement et lentement. Mais selon certains hydrologues, cette eau est bénéfique même s’il s’agit là de la nappe phréatique du désert.

Les ouvrages hydrauliques disponibles ne répondent pas à des situations exceptionnelles. Que peut-on faire ?
Etant installés en amont de versants de montagne, les barrages dans cette région répondent à deux missions. La principale est de stocker l’eau de neige sur les fleuves. Ce sont des barrages qui servent aussi à protéger des inondations en cas d’averses.

Ce que nous avons vécu, c’est l’effet d’un front tropical, de la mousson de l’Afrique occidentale, de l’Afrique de l’Ouest. Les barrages existants n’ont pas été faits pour ce type d'événements. Donc, il faudrait penser peut-être à construire d’autres barrages ou développer et réhabiliter les barrages existants comme celui de Mansour Eddahbi pour qu’il puisse faire face à ce type de situation.

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