Interview de Mohamed Boussetta, Professeur d’universités et consultant international

"L’investissement public devra être le fer de lance d’une politique budgétaire expansionniste"

Avec les conséquences socioéconomiques désastreuses de la crise du Covid19, la nécessité et l’urgence d’une loi de finances rectificative s’est imposé. En effet, les hypothèses et priorités de la loi initiale deviennent caduques. Le point avec Pr Mohamed Boussetta, ex-Doyen de la Faculté de Droit et d’Economie de Kénitra.

Quels fondamentaux doivent constituer la loi de finances rectificative?
Trois éléments fondamentaux doivent être pris en considération dans le cadre de cette loi rectificative. D’abord, revoir les hypothèses et les priorités. En effet, la loi de finances en cours est fondée sur des hypothèses qui sont devenues complètement irréalistes et irréalisables. C’est le cas notamment du taux de croissance prévu qui devrait s’élever à 3,7%, du déficit budgétaire qui serait limité à 3, 5% du PIB ou de la production céréalière qui a été estimée à 70 millions de quintaux… Ainsi, les trois piliers de l’édifice de la loi de finances 2020 se sont effondrés avec la pandémie et la grave crise qui en est suivie. Concernant la campagne céréalière, celle-ci est estimée à seulement 30 millions de quintaux contre 70 millions prévu au niveau des hypothèses de la loi de finances. Sur le plan du déficit budgétaire, celui-ci passerait de 3,5% prévus au niveau de la loi de finances à 6% selon la Banque mondiale ou le PNUD. Un taux de déficit allant jusqu’à 7, voire 8% serait plausible.

Les orientations et les priorités de la loi initiale aussi, n’est-ce pas?
En effet, les orientations et les priorités de la loi de finances rectificative sont devenues très différentes de celles de la loi initiale. Deux grands axes autour desquels toute la loi de finances rectificative doit être construite apparaissent clairement. Il s’agit de faire de la résistance et d’assurer le redémarrage des activités économiques et des entreprises qui ont le plus souffert de l’état d’urgence sanitaire comme l’hôtellerie/restauration, le bâtiment … en les mettant en quelque sorte sous perfusion respiratoire.

La seconde priorité est la relance de l’économie dans le cadre d’un plan triennal ayant pour objectif central de redynamiser les activités économiques et d’assurer la pérennité et la viabilité des entreprises. Et enfin, la structure du budget de l’Etat doit comporter des changements significatifs tant au niveau des recettes que des dépenses publiques. Sur le plan des recettes, les recettes fiscales doivent être renforcées à travers surtout des mesures d’optimisation fiscale comme une révision générale des niches fiscales (dépenses fiscales, par exemple), une lutte implacable et permanente contre l’évasion et la fraude fiscales, l’introduction d’un impôt sur la fortune …

Comment cette loi rectificative peut aider à la relance économique escomptée?
Le plan de relance économique dont la loi de finances rectificative représente une composante essentielle se traduira inéluctablement par le creusement sans précédant des déficits budgétaires pour cette année et au moins pour les deux années suivantes et son corollaire naturel et direct qui est l’aggravation exceptionnelle de l’endettement public. En effet, les effets automatiques et délibérés de la crise du Covid 19 se traduiraient en premier lieu, par une forte baisse des recettes de l’Etat et plus particulièrement des recettes fiscales en raison notamment de la chute de l’activité économique, du report des échéances fiscales, du recul de la consommation et des revenus … D’un autre côté, les dépenses d’investissement ont reculé de 11%, soit 3,4 milliards de dirhams en raison surtout de la limitation des autorisations d’engagement.

Comment remédier au déficit budgétaire au moment où l’on parle de relance économique?
Le corollaire des déficits inévitables est le recours à l’endettement pour financer l’accroissement de l’investissement de l’Etat lié à la relance, mais également une partie de son fonctionnement. Tout d’abord, l’appel aux emprunts extérieurs, d’autant plus que le ministre de l’économie et des finances a désormais toute la liberté pour emprunter de l’étranger les montants qu’il juge nécessaires. L’endettement interne est aussi une source essentielle et privilégiée pour combler les déficits budgétaires et financer les dépenses publiques.

Si cette source de financement n’est pas contraignante en terme de remboursement en devises, elle peut exercer un effet d’éviction important sur l’investissement et l’entreprise privés en accaparant une grande partie des ressources financières des banques. Si la dette n’est pas un mal en soi, un endettement massif, structurel et mal utilisé aura des conséquences désastreuses sur l’économie nationale. Elle peut constituer un moindre mal actuellement en exerçant un certain effet de levier économique. Néanmoins, le problème de cette dette n’est pas uniquement comptable ou financier, mais aussi moral en faisant supporter son coût et ses effets sur les générations futures et aussi politique en donnant l’illusion de l’argent disponible et qui coule à flot afin de réussir un projet politique.

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