Après sept ans à la tête du gouvernement, le PJD n’a pas sécurisé; il a déçu; il n’est pas porteur d’un véritable modèle de changement. Qu’en faire?
Aux affaires depuis plus de sept ans et demi donc, le PJD est-il un parti comme les autres? La réponse n’est pas univoque. D’un côté, il se réclame d’un référentiel religieux -il prend ses distances avec la qualification islamiste. A ce titre, il porte des valeurs et un projet de société qui tranche avec toutes les autres formations. Mais, en même temps, il doit assumer le cahier de charges des fondamentaux dont le Roi est le garant. Il a eu ainsi dès le départ une difficulté de belle taille: comment concilier son ADN originel avec les exigences de politiques publiques couplées à leurs contraintes?
Une croissance modeste
Aujourd’hui, à la veille d’un changement devant porter sur les profils à trouver et de nouvelles compétences mais aussi sur l’architecture même du cabinat, quel est l’état des lieux? Il faut parler ici d’un bilan de cette formation islamiste depuis janvier 2012, tant pour ce qui est du cabinet Benkirane (2012-2017) que de celui de son successeur, Saâd Eddine El Othmani, investi à la fin avril 2017.
Au plan économique, qu’en est-il? Le constat général porte sur la faiblesse de la productivité, une croissance économique modeste, voire atone, restant en deçà du potentiel, un chômage élevé (9,8%) en particulier chez les jeunes et les femmes. Pour remédier à cette situation, les cabinets PJD n’ont pas réussi à assurer des gains de productivité plus élevés pour stimuler la croissance économique (3% en 2018 et 2,9% en 2019), accroître les créations d’emploi, élargir la solidarité économique et, partant, renforcer la cohésion sociale. A leur actif, les deux cabinets PJD mettent en avant volontiers la réforme du régime des retraites; mais celle-ci demeure inachévée et elle reste tout aussi problématique à l’horizon 2025. Ils font également référence à la décompensation des prix des hydrocarbures dont se crédite à l’envi Abdelilah Benkirane; mais la libéralisation ainsi opérée s’est faite sans régulation conduisant à des surprofits de quelque 17 milliards de DH au profit du cartel des sociétés pétrolières. Au plan social, il est vrai que des mesures particulières ont profité à des catégories spécifiques (étudiants, femmes veuves, indemnité pour perte d’emploi, statut de l’auto-entrepreneur, aide scolaire aux enfants scolarisés dans le monde rural...). Un déficit social important même si le taux de pauvreté a été divisé par trois entre 2005 et 2014 avec 4,8%.
Déficit budgétaire
Au plan financier, les indicateurs restent préoccupants. Le déficit budgétaire se situe à 3,7% en 2019 après 4,2% en 2016 et 3,6% en 2017 et 2018. Pour boucler le budget 2019, la cession de 8% des actions de l’Etat dans le capital de Maroc Telecom a permis de réaliser quelque 6,8 milliards de DH. Elle doit être suivie dans les prochaines semaines par le retour du Maroc sur le marché international pour une levée de fonds d’un milliard de dollars. Si la dette se situe toujours autour de 65% par rapport au PIB, elle grimpe cependant à 85% si l’on inclut celle des entreprises publiques garanties par l’Etat et les arriérés de paiement de la TVA.
Reste à appréhender le bilan politique sous ces multiples facettes. Du point de vue des citoyens, quel est l’état d’esprit? Globalement, le camp des déçus n’est-il pas important? Vivent-ils mieux qu’en 2012? Les conditions matérielles de certaines catégories se sont améliorées. Pour autant, leur pouvoir d’achat ne s’est-il pas détérioré par suite de dépenses contraintes, dont la plus lourde est sans conteste les frais de scolarité des enfants qui grèvent jusqu’à 40% des revenus des ménages; l’accès aux soins dans les 1.104 hôpitaux publics est une autre préoccupation; l’habitat n’est pas mieux loti; quant au programme des villes sans bidonvilles, il reste en-deçà des objectifs annoncés au départ.
D’une autre manière, les politiques publiques n’ont pas réussi à être efficientes; elles nourrissent l’insatisfaction, parfois même la colère et diverses formes de contestation. Autre domaine où le PJD a pratiquement failli à ses promesses et à ses engagements: la lutte contre la corruption. Il en avait fait l’un des marqueurs de sa campagne électorale et de son programme. Peut-il exciper de résultats probants à cet égard? Rien n’est moins vrai. Le Maroc figure encore dans le lot des pays du milieu de classement avec la 73ème place selon Transparency international. Il gagne huit points par rapport à 2017 mais il reste tant à faire encore !
Schizophrénie morale
Quant à l’exemplarité des ministres et des élus PJD, le tableau n’est pas reluisant, tant s’en faut. Dans leur vie privée, «un lot d’affaires » a grandement altéré leur discours vertueux -une forme de schizophrénie irrecevable pour un électorat traditionnel plutôt sourcilleux sur les comportements et les actes. Assurément, le PJD accuse là un échec moral qui va peser sur l’adhésion de départ et le crédit dont il a bénéficié en 2011-2012.
Pas davantage, Saâd Eddine El Othmani n’a été à la hauteur de ses responsabilités. Il s’obstine même à entretenir un discours optimiste sans cesse démenti par les faits. Et d’ailleurs, depuis son investiture voici deux ans et demi, il a été censuré plusieurs fois par le Souverain: lors du Conseil des ministres du 25 juin 2017 à propos des dysfonctionnements liés au programme d’Al Hoceima; quatre mois plus tard avec le renvoi de quatre ministres; puis en août 2018 avec le limogeage du ministre des Finances et de la secrétaire d’Etat à l’eau. Il y a plus, avec le discours du Trône du 29 juillet 2019, où le Roi lui demande de proposer de nouvelles compétences lors de cette rentrée, tant au sein du cabinet actuel que dans la haute administration. Une situation bien fragilisante pour lui, tant au sein de son parti qu’à la tête de la majorité. Celle-ci n’est en effet ni unie ni solidaire; elle se distingue surtout par des tensions et des crises récurrentes qui sont minorées voire niées par M. El Othmani.
Au total, pour ce qui le concerne, le PJD mérite le carton rouge. Il n’a pas lancé ni mis en oeuvre les réformes prévues. Il n’a pas davantage conforté le dialogue social; il n’a pas non plus finalisé des textes importants tels le code du travail et le droit de grève encore au Parlement. Il a généré de l’attentisme puis de l’inquiétude. Du temps perdu lors de cette décennie.
Le PJD n’a pas sécurisé; il a déçu; il n’est pas porteur d’un véritable modèle de changement. Qu’en faire? Il sera toujours là, en 2021 et au-delà, parce qu’il a acquis une place et une influence dans le champ électoral et politique national. On ne peut que s’en accommoder et en prendre acte. Et c’est un autre projet qu’il faut désormais faire prévaloir avec des réformes continues et des réformateurs mobilisés.