Migration irrégulière : Rabat et Madrid accordent leur violons

 

 L’Espagne a bien tiré profit de la fin de sa crise avec le Maroc pour bénéficier d’un meilleur soutien au niveau de la gestion des flux migratoires à ses frontières. Mais le Royaume continue d’insister à ne surtout pas en faire une affaire purement sécuritaire.

 

Cela se passera en décembre 2022, et cela concernera également d’autres pays. Pour l’heure, c’est tout ce que l’on sait de la réunion que le Maroc et l’Espagne ont prévu d’organiser d’ici deux mois pour discuter de la migration. Au moment d’annoncer le 22 septembre 2022 sa tenue, et ce lors des entretiens qu’ils ont eus à New York en marge de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU), le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, et son homologue espagnol, José Manuel Albares, ne se sont, pour le moins, pas vraiment répandus en détails. Mais il n’est sans doute nullement besoin d’être dans le secret des dieux pour deviner de quoi il va s’agir.

La question migratoire domine, en effet, tellement les échanges entre Rabat et Madrid depuis quelque temps que nul n’ignore plus la position de l’une et l’autre capitale et, de fait, son agenda. Du côté marocain, on insiste que “le Maroc n’a pas vocation à être le gendarme de l’Europe” -propos tenu par M. Bourita lui-même en mai 2021 à la chaîne de télévision française LCI.

Il assumerait, plutôt, en tant que partenaire la responsabilité qui lui échoirait du fait de son statut de pays de transit, mais sans plus. De l’autre rive du détroit de Gibraltar, on aimerait, à l’évidence, bien que le Royaume soit ce gendarme, et on met même tous les moyens disponibles dans la balance: financiers, avec par exemple 20 millions d’euros annoncés rien qu’à New York par M. Albares au titre d’un projet de fonds de promotion du développement qui octroiera des microcrédits aux jeunes et aux femmes (et les découragera, on l’espère sans doute, de chercher à émigrer, surtout en Espagne); mais aussi les moyens symboliques.

 

Changement de position

 

 A ce dernier égard, il est clair que c’est pour inciter les autorités marocaines à se faire plus coopératives en matière de migration que le président du gouvernement espagnol, à savoir Pedro Sanchez, a procédé à une reconnaissance tacite, le 14 mars 2022 au moyen d’une lettre adressée au roi Mohammed VI, de la souveraineté du Maroc sur son Sahara en considérant l’initiative pour la négociation d’un statut d’autonomie comme la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend autour de la région. Un changement de position conforté le mois d’après par le même M. Sanchez à Rabat par le biais de la déclaration conjointe du 7 avril 2022, laquelle officialisait d’ailleurs aussi la relance et le renforcement de la coopération migratoire, après près d’un an de froid consécutif à l’hospitalisation à partir d’avril 2021 pour Covid-19 en Espagne, et plus précisément à l’hôpital San Pedro de la ville de Logrono, du secrétaire général du mouvement séparatiste du Front Polisario, Brahim Ghali.

Comme quoi, le sujet de la migration et celui du Sahara marocain (ou la possibilité de maintenir des relations basées “sur les principes de transparence, de dialogue permanent, de respect mutuel, de respect et de mise en œuvre des engagements et des accords signés par les deux parties”, pour reprendre la même déclaration du 7 avril 2022) sont bel et bien intriqués dans l’esprit des dirigeants espagnols, du moins celui de M. Sanchez et de son équipe.

Ces derniers auront de toute façon gain de cause: comme s’en félicitait, encore à New York, M. Albares, “les chiffres des arrivées irrégulières [en Espagne] ont été réduits de 20% au cours des quatre derniers mois par rapport à la même période de l’année précédente”.

Il faut dire aussi que de l’autre bord, le Maroc n’a également pas manqué de faire usage, avant la réconciliation, de la question de la migration pour arriver à ses fins: pendant trois jours, en mai 2021, il avait laissé plus de 8.000 migrants, dont une majorité âgés de moins de 18 ans, franchir la frontière avec e préside occupé de Sebta, au niveau la préfecture de M’diq-Fnideq, et l’explication donnée par la suite par M. Bourita à des médias qu’il avait expressément réunis au siège de son département, celle que le “contexte de fatigue dans la police marocaine après les festivités de fin de Ramadan” avait prévalu, n’avait pas vraiment convaincu grand-monde -et encore moins le parlement européen, qui, en juin 2021, avait condamné le Maroc pour “violation de la convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant” et “instrumentalisation des mineurs”.

 

Représailles algériennes

 

 Pour autant, le Maroc n’a, loin s’en faut, pas le contrôle des flux qui passent par son territoire, et l’affaire de Sebta avait plutôt été l’exception que la règle qui voudrait que le factuel migratoire procède toujours de son laxisme, volontaire ou non.

Comme l’avait illustré l’affaire de l’assaut du 24 juin 2022 lancé par quelque 2.000 migrants principale ment d’origine soudanaise à l’encontre d’un autre préside, celui-là de Mélilia, dans la province de Nador, il se trouve, en vérité, le plus souvent dépassé, d’autant plus lorsque se trouvent impliquées des puissances étatiques, pour ne pas citer l’Algérie: en plus de confirmer les efforts fournis et qui dès le départ ont été reconnus par la commission européenne elle-même, l’enquête instruite dans la foulée, et qui avait donné lieu à la condamnation, le 17 août 2022, d’une cinquantaine de migrants à des peines allant de 11 mois à deux ans et demi de prison par la cour d’appel de Nador, avait mis en évidence l’implication au moins passive de la voisine de l’Est dans l’intensification des flux, vraisemblablement en représailles contre à la fois le Maroc et l’Espagne du fait du nouveau partenariat qui les lie.

  Et ce même assaut avait aussi rappelé pourquoi, pour des raisons politiques objectives, le Maroc ne pourra jamais, même s’il le voulait, se servir de la migration comme arme de pression, en l’occurrence la sensibilité du sujet dans les autres pays africains, d’où arrivent la majorité des migrants: deux jours après les événements, des cadres de l’Administration nationale avaient eu à se démener auprès des ambassadeurs de ces pays à Rabat, qu’ils avaient conviés au ministère des Affaires étrangères, pour les convaincre que les autorités marocaines avaient vraiment eu un recours minimal à la force, que la vingtaine de morts enregistrés étaient le fait de mouvements de foule impromptus et non le leur et qu’elles avaient plutôt été, en l’espèce, les victimes -un mort d’ailleurs dans leur rang, sans compter les blessés. En la personne de Mohammed VI, le Maroc est d’autant plus en charge depuis juillet 2017 de la question au niveau de l’Union africaine (UA), et c’est à ce titre que le Roi avait été à l’initiative de l’agenda de l’organisation sur les migrations, dans le cadre duquel avait notamment été institué l’Observatoire africain des migrations (OAM), inauguré à Rabat même en décembre 2020.

 

A son niveau aussi, il avait, à partir de septembre 2013, adopté une politique migratoire que dans son message à la Conférence intergouvernementale sur la migration tenue en décembre 2018 à Marrakech, le Souverain avait qualifié d’“humaniste dans sa philosophie, globale dans son contenu, pragmatique dans sa méthode et responsable dans sa démarche” -c’est au cours de cette conférence qu’avait, soit dit en passant, été adopté le pacte mondial sur les migrations qui porte désormais simplement le nom de “pacte de Marrakech”, consacrant définitivement depuis lors la prééminence internationale du Maroc en la matière.

 

Dialogue euro-africain

 

Concrètement, la politique migratoire actuelle avait fait suite à un rapport du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) sur les étrangers et les droits humains au Maroc qui avait appelé à une politique d’asile et d’immigration “radicalement nouvelle” et elle s’était principalement traduite par la régularisation de la situation de pas moins de 50.000 migrants. Céder au sécuritarisme pur et dur, comme cela semble souvent l’envie de bien des dirigeants européens, constituerait, de la sorte, un retour en arrière dommageable: Mohammed VI avait lui-même apostrophé ces dirigeants à ce propos dans son message au 5ème sommet UA-UE tenu en novembre 2017 à Abidjan et où il avait martelé qu’“il s’agit de faire de l’immigration un sujet de débat apaisé et d’échange constructif”.

Ce même message, qui allait être suivi par la présentation d’un rapport circonstancié en février 2019 au 32ème sommet de l’UA à Addis-Abeba, avait d’ailleurs bien résumé la vision marocaine de la chose, qui voit la migration non “comme porteuse de menaces et de désespoir”, comme, il est vrai, elle peut l’être, mais “comme une source de solutions et d’opportunités”. “Au Nord comme au Sud, nous en tirerons tous avantage,” assurait-il. Ce qui commanderait, plutôt que de lutter contre elle, de réguler cette migration, et ce en impliquant les “pays d’émigration, de transit et d’installation”. A ce propos, il faut signaler que des mécanismes tels que le dialogue euro-africain sur la migration et le développement, dit aussi processus de Rabat (où il avait été mis en place à l’occasion d’une conférence interministérielle en juillet 2006) existent déjà et qu’il suffit juste de les actionner à bon escient: réunissant cinq-sept pays africains et européens en plus de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CÉDÉAO) et de l’UE ainsi qu’une trentaine d’organismes, ce dialogue voit justement l’Espagne et le Maroc le présider en 2022 et 2023. Réuni le 6 mai 2022 sous la présidence du wali-directeur de la migration et de la surveillance des frontières au ministère de l’Intérieur, Khalid Zerouali, et du secrétaire d’État espagnol des Migrations, Jesus Perea Cortijo, le groupe migratoire mixte permanent maroco-espagnol, réinstitué par la déclaration du 7 avril 2022, y avait en tout cas fait référence.

 

Il avait alors aussi indiqué, dans un communiqué publié ultérieurement, que “les deux parties accordent une importance particulière aux possibilités accrues d’accompagnement financier en faveur du Maroc dans le nouveau cadre financier multi-annuel de l’Union européenne” et que l’Espagne “continuera à mettre en valeur le rôle du Maroc comme partenaire stratégique de l’Union européenne tout azimut, y compris dans le domaine migratoire”; ce qui allait être confirmé par le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, et son homologue espagnol, Fernando Grande-Marlaska, aussi bien lors de la réunion de travail qu’ils ont eu le 15 juin 2022 à Madrid que lors de leur rencontre du 8 juillet 2022 de nouveau à Rabat intervenue suite aux événements de Sebta avec en plus la présence de la commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson. Depuis lors, on a annoncé la mise à la disposition du Maroc d’une enveloppe européenne de 500 millions d’euros pour la période 2021-2027, ce qui n’a pour l’heure pas encore été confirmé”: cette somme constituerait une augmentation de 50% par rapport à celle d’avant, qui atteignait déjà les 343 millions d’euros. La réunion de décembre 2022 pourrait toutefois permettre de livrer davantage d’informations…

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