Les migrants, un vrai casse-tête


Le Maroc opte pour la "manière forte"


Les rafles se poursuivent à l’endroit des migrants en situation irrégulière depuis fin juillet. Les ONG dénoncent une répression choquante.

Quelle mouche a donc bien pu piquer les autorités marocaines? A rebours de la politique migratoire adoptée en septembre 2013 et dont les deux premières phases avaient permis la régularisation de plus de 50.000 migrants en situation irrégulière, de véritables rafles sont opérées un peu partout dans le Royaume, particulièrement dans le Nord à la lisière des présides occupés de Sebta et Melilla, où depuis fin juillet 2018 migrants en situation irrégulière ou simplement soupçonnés de l’être font l’objet d’arrestations massives et sont conduits de force selon diverses sources associatives dans d’autres régions, notamment dans l’Oriental, à la frontière maroco-algérienne, ou dans le Sud, dans les villes de Tiznit, Errachidia, Ben Guerir, Béni Mellal ou Marrakech.

Arrestations “discriminatoires”
Dans le lot se trouveraient même quatre réfugiés et quatorze autres demandeurs d’asile selon des chiffres communiqués par le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR). Quelque 5.000 personnes ont, d’après l’Association marocaine de droits humains (AMDH), jusqu’ici été arrêtées.

Dans un communiqué publié le 7 septembre 2018, Amnesty International avait condamné une «répression choquante contre les migrants et les réfugiés au Maroc », «à la fois cruelle et illégale» selon les propos de la directrice du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient de l’organisation non gouvernementale (ONG), Heba Morayef.

Cette dernière a regretté «un recul inquiétant » au regard des progrès qui avaient été réalisés dans la foulée de l’adoption de la nouvelle politique migratoire, et a appelé les autorités marocaines à mettre fin à des arrestations qu’elle qualifie de «discriminatoires» et par là même «défendre les engagements positifs pris ces cinq dernières années». «Pour la suite, doivent adopter une loi sur l’asile qui établira des procédures et des protections adéquates conformément au droit international,» a-t-elle appelé.

Retour volontaire
Lesdites autorités ne semblent cependant pas l’entendre de cette oreille. Par la voix de son porte-parole, le ministre délégué aux Relations avec le parlement et la société civile, Mustapha El Khalfi, le gouvernement s’est, au contraire, félicité, le 7 septembre à l’issue du conseil du gouvernement, d’avoir fait avorter plus de 54.000 tentatives d’immigration irrégulière en 2018, démantelé 74 de ce qu’il qualifie de «réseaux criminels actifs dans le domaine de la traite des êtres humains et de l’immigration clandestine» et saisi 1.900 embarcations.

«Le Maroc a, aussi, oeuvré, en parfaite coordination avec les représentations diplomatiques des pays concernées et les organisations internationales en charge de la migration, à assurer le retour volontaire des migrants à leurs pays d’origine dans des conditions respectant leur dignité et leurs droits,» a-t-il assuré (quelque 22.000 migrants auraient bénéficié de cette opération en 2014, dont 400 depuis le début de l’année, selon la même source).

“Approche solidaire”
A vrai dire, la migration irrégulière du Maroc vers l’Espagne a pris de l’ampleur ces dernières années, enregistrant même quelque 27.994 arrivées de migrants pour la seule année 2018, selon les chiffres communiqués par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Au passage, au moins 313 personnes sont mortes en tentant la traversée.

Le bilan aurait pu d’ailleurs s’alourdir le 8 septembre si des unités de la Marine royale n’étaient venues à la rescousse de dix-neuf Marocains, dont une femme et un enfant, qui tentaient de se rendre de façon irrégulière outre-Gibraltar. Cela justifie-t-il pour autant les arrestations menées? Et, surtout, leur brutalité? Selon Amnesty International, une femme disposant pourtant du statut de réfugiée et son fils d’un an auraient été arrêtés dans la ville de Tanger, où la femme élit domicile, et de là, forcés de monter dans un bus, auraient été emmenés jusqu’à la ville de Kénitra, à plus de 200km. Les faits se seraient produits le 7 août. «Il est choquant de voir que de jeunes enfants se retrouvent parmi les personnes soumises à ces traitements brutaux, tout comme des demandeurs d’asile et des réfugiés reconnus par l’ONU et des migrants enregistrés qui détiennent des cartes de séjour,» selon Mme Morayef. Le gouvernement marocain insiste cependant sur le fait que le Maroc ne peut d’après lui se permettre que ses territoires servent d’abris pour les réseaux de trafic d’êtres humains et refuse de jouer au gendarme dans la région, selon les propos de M. El Khalfi.

«Le Maroc, qui ne cesse de prôner le principe de la responsabilité partagée, a adopté une approche solidaire avec l’ensemble des pays concernés par la problématique de l’immigration illégale et appelle l’ensemble des partenaires à davantage d’interaction en vue de réaliser les objectifs escomptés,» avait soutenu le ministre.

Violences inacceptables
Ces propos semblent surtout s’adresser aux pays de l’Union européenne (UE) et principalement l’Espagne, qui tentent depuis quelques mois de convaincre les pays du Maghreb d’accueillir sur leurs territoires des plateformes régionales de débarquement de migrants; solution qualifée de «facile» par le ministre marocain des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Nasser Bourita, lors de son entrevue du 28 juin 2018 dans la ville de Rabat avec son homologue espagnol Josep Borrell.

Les autorités européennes n’hésitent en tout cas plus à expulser directement vers le Maroc les migrants qui se sont introduits irrégulièrement dans leurs territoires, comme c’est arrivé le 23 août lorsque Madrid avaient refoulé en moins de 24h 116 migrants de Sebta, au prétexte qu’ils auraient commis «des violences inacceptables contre les garde-frontières espagnols ».

Dix-huit de ces migrants viennent d’ailleurs d’écoper de deux mois de prison de la part du tribunal de première instance de la ville de Tétouan pour séjour et sortie irréguliers, outrage à des fonctionnaires publics, rébellion armée et détention d’armes. Les ressortissants du Cameroun et de la Guinée impliqués ont, eux, été, en accord avec les autorités concernées, renvoyés vers leurs pays respectifs.

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