Chronique de Wissam El Bouzdaini : Mésinterprétations

Le courrier de «Maroc Hebdo» de cette semaine du vendredi 15 au jeudi 21 avril 2016 a été plus abondant que de coutume. Il faut dire que les lecteurs du journal ont vivement réagi à l’article paru dans la précédente édition sur la normalisation avec Israël (lire n° 1161). Le ton a même frisé parfois la protestation et je n’avancerais sans doute pas que c’était infondé: le discours que j’ai produit pouvait, je le reconnais, prêter à la mésinterprétation. Mais il ne s’est à aucun moment agi comme d’aucuns pouvaient le penser d’un appel à la normalisation: celle-ci ne peut de toute façon en aucun cas advenir tant que les droits du peuple palestinien sur ses terres historiques n’ont pas été reconnus par le gouvernement israélien. Le propos était plutôt le suivant: en soumettant en 2013 à la Chambre des représentants, chambre basse du Parlement, des propositions de loi condamnant toute normalisation avec Israël, les partis politiques à l’origine de ces textes pouvaient menacer le statut privilégié du Maroc, qui en tant que pays doublement musulman et juif -la Constitution fait à propos mention de la composante hébraïque- oeuvre depuis le début du conflit au rapprochement des parties prenantes.

C’est d’ailleurs le sens du travail mené par le Comité Al-Qods, dont la présidence revient de fait depuis sa mise en place en 1975 aux monarques marocains. Partant, le Royaume doit continuer à prendre langue avec tout le monde: il s’agit d’une nécessité politique.

Un autre point a au passage soulevé la critique concernant la légitimité de la présence juive au Levant. Là encore une méprise. Dans un précédent billet, l’auteur de ces lignes a lui-même rappelé la nature coloniale du fait israélien (lire n°1036, du 2 août au 5 septembre 2013). En effet, bien avant la spoliation dont à fait l’objet la Palestine au temps du mandat britannique (1920-1948) était déjà présent depuis plusieurs millénaires par sa culture et ses coutumes propres un peuple autochtone, en l’occurrence palestinien, et il est même probable que ce dernier soit le descendant direct des antiques populations israélites dont une partie fut chassée par la soldatesque romaine au deuxième siècle de l’ère commune.

La thèse est d’ailleurs solidement étayée par l’historien israélien Shlomo Sand dans son exhaustif «Comment le peuple juif fut inventé» (éditions Fayard). Contradiction de ma part? Voire. Citoyen du monde, je crois foncièrement à la liberté de circuler mondiale et sans entraves et je juge factice l’existence de frontières, surtout au Levant, où celles-ci ont été griffonnées de façon unilatérale et sans égard à la réalité sociopolitique de la région par le Royaume-Uni et la France en 1916 au titre des accords de mémoire controversée de Sykes-Picot. De fait, je ne vois pas d’inconvénient à ce qu’un Juif fasse son «aliyah», qu’il émigre dans la terre qu’il dit que son dieu lui a promise parce qu’il croit qu’ainsi il accomplit un dessein céleste dont lui seul connaît les ressorts intimes. Oui, absolument: il est légitime de mettre en cause en dernière analyse un état de fait inique, pour aboutir un jour, qui sait, à un vivre-ensemble transcendant les réalités étatiques, éculées et au demeurant sans fondement naturel.

Un rêve que j’ai caressé dans ces mêmes colonnes est celui d’un Etat binational qui pourrait non seulement réunir Juifs immigrés et autochtones, mais même peut-être à l’avenir Jordaniens, Syriens et Libanais, dans le cadre d’un Grand Levant pluriconfessionnel, comme l’ambitionnait à titre d’exemple dans les années 1930 et 1940 le Parti social nationaliste syrien (PSNS) d’Antoun Saâdé. Un Grand Levant démocratique mettant sur un même pied Juifs, Chrétiens, Musulmans et autres, en reflet fidèle de cette région tourmentée par le déchirement de l’Histoire et les meurtrissures de l’actualité

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