Mawazine face aux milices digitales

Mustapha Sehimi

Ceux qui appellent au boycott du festival s’inscrivent dans un contre-projet d’exclusion et d’obscurantisme.

Voilà que ce boycott dérape! Après avoir frappé trois marques commerciales, il se déploie vers d’autres périmètres, dont le fastival Mawazine avec sa 17ème édition, prévue du 22 au 30 juin 2018. Un groupe d’internautes s’est mobilisé dans ce sens. Ses mots d’ordre appellent l’interrogation critique. De quoi parlent-ils? De l’argent public mal utilisé. Une fake news puisque, depuis 2012, cet événement ne bénéficie plus d’aucune subvention publique, son budget -de quelque 100 millions de dirhams- étant assuré pour un tiers par des sponsors privés et pour les deux autres tiers par des revenus variables. C’est un modèle économique qui a été ainsi mis sur pied: faut-il donc lui reprocher cette autonomie financière? Les mêmes voix chagrines invoquent le décalage entre la fête et le boycott.

Plutôt consternant comme argument comme s’il fallait porter le deuil et mettre les drapeaux du Royaume en berne parce qu’une contestation -fûtelle légitime- occupe le devant de la scène et qu’elle polarise l’attention. Une bien mauvaise pioche parce qu’elle réduit les boycotteurs à un seul statut et qu’elle évacue le fait qu’ils sont aussi des citoyens en demande de culture et de désir de spectacles musicaux et artistiques. C’est qu’en effet Mawazine est un fait social de grande portée. Il est marqué par l’accessibilité à tous avec 90% d’entrées gratuites –qui dit mieux à l’international pour une manifestation de cette ampleur? Que deux millions de personnes y assistent durant une huitaine de jours traduit la place qu’il occupe dans la vie culturelle nationale. Là est sa dimension citoyenne qui fait justice du populisme des mesures du boycott.

Mais il y a plus. Il importe en effet que l’on mette à plat la place et le rôle du digital dans la vie sociale. Personne ne peut sérieusement contester la nature et la dimension du militantisme cybernétique depuis une bonne dizaine d’années et même bien auparavant. Il a ainsi polarisé, médiatisé, préparé et mobilisé des revendications démocratiques couplées à des contestations sociales. Il a marqué dans le même temps une véritable révolution culturelle, faisant tomber toutes les barrières de toutes sortes -interdits sociaux, politiques, religieux et géographiques- et permettant au cyberespace d’investir le champ politique en déclassant et en ringardisant même les acteurs partisans qui s’y déploient.

Le meilleur des internautes est là, mais le pire n’en demeure pas moins à son passif. Référence est faite à cet égard à ce qu’il faut bien appeler une forme de terrorisme digital qui s’instaure et qui génère des actes et des processus sociaux bien éloignés des valeurs originaires. N’importe qui peut dire n’importe quoi! Sans contrôle, sans limite, sans véracité des faits et sans sanctions. L’anonymat devient le courage des planqués dans leurs domiciles, le nez sur les tablettes. Ce n’est pas une «libération » démocratique d’une nouvelle citoyenneté jusque-là corsetée, mais le défoulement débridé de toutes les attentes et aspirations, bien sûr, mais aussi des frustrations, des rancoeurs et des rancunes, lesquelles relèvent de ce qu’il faut bien appeler la haine sociale. Dans ce même registre, l’on ne peut évacuer l’instrumentalisation de courants, de groupes et d’officines de toutes sortes -locales et à l’étrangerconnues pour leur hostilité à l’endroit du Maroc.

En s’en prenant aujourd’hui à Mawazine, qui est un événement phare de notoriété mondiale, il n’est pas question de pouvoir d’achat des citoyens mais de livrer assaut à une citadelle du Maroc de l’ouverture, de la tolérance, de la culture pour tous et de l’insertion dans les valeurs universelles de paix et de citoyenneté culturelle. Les milices digitales qui s’activent pour appeler au boycott de Mawazine s’inscrivent dans un contre-projet, un paradigme totalitaire d’exclusion et d’obscurantisme.

Ce terrorisme-là ne peut que faire long feu parce que le public attendu fera, à son tour, la démonstration de sa mobilisation et partant de la disqualification des initiateurs et des relais du boycott pour bien les reléguer dans le hors champ du Maroc de 2018.

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