Les chiffres le disent clairement: la femme marocaine est toute disposée à se lancer dans l’aventure entrepreneuriale. Encore faut-il qu’elle bénéficie d’un soutien suffisant et que les mentalités ne viennent pas s’interposer face à son ambition.
D’emblée, Mme Leila Doukali reconnaît qu’elle a été chanceuse. Contrairement à beaucoup d’autres Marocaines, elle a pu compter sur un soutien, en l’occurrence celui de son père, pour se lancer dans l’entrepreneuriat. “Il ne faisait aucune distinction entre mes frères et moi”, se souvient-elle. “Pour lui, nous étions tous égaux”. Active depuis plus d’un quart de siècle déjà dans le domaine du prêt-à-porter notamment -elle détient les franchises des Français Gérard Darel et Pablo-, cette quinqua bon teint native en 1970 de la ville de Casablanca préside actuellement l’Association des femmes chefs d’entreprises du Maroc (AFEM), à la tête de laquelle elle avait été portée en décembre 2019.
Un engagement qui, à ses yeux, est de nature à lui permettre de contribuer à faire en sorte que les femmes comme elles ne fassent plus exception; ce qui revient à faire bénéficier davantage de ces dernières d’un mentoring à l’aune de celui qu’elle a pu ellemême recevoir du seul fait de son environnement familial particulier.
Question des mentalités
Au sein de l’AFEM, une “help team” de pas moins de treize bénévoles a, ainsi, été mise en place, comprenant notamment des expertes en coaching managérial, stratégie de marque, ressources humaines ou encore communication digitale. Pour l’heure, elle n’est active qu’au niveau de la région de Casablanca- Settat -“qui concentre de toute façon la majorité des entreprises marocaines,” commente Mme Doukali-, mais l’association espère pouvoir élargir l’expérience aux autres régions où elle est présente, à savoir Dakhla-Oued Ed Dahab, Marrakech-Safi, Rabat-Salé-Kénitra, l’Oriental et Tanger-Tétouan- Al Hoceima.
A un moment où l’économie nationale se relève encore de la pandémie de Covid-19 à laquelle a été en proie le Maroc à partir de mars 2020, cette aide prodiguée ne saura, naturellement, être que la bienvenue, car dans le lot des entreprises touchées, nombreuses sont bien évidemment dirigées par des femmes. Lesquelles éprouveraient en fait, à en croire tout du moins l’AFEM, davantage de difficultés à sortir leurs boîtes respectives de l’ornière que leurs compères patrons masculins.
“Difficile de vous donner un chiffre exact, mais selon nos estimations, que je crois être plutôt fondées, la part de femmes chefs d’entreprises au Maroc est passée d’environ 12% à 10% au cours des dix dernières années,” nous indique Mme Doukali. “Cela vous dit tout.” Dans son rapport 2020-2021 publié le 14 octobre 2022, l’Observatoire marocain de la très petite et moyenne entreprise (OTPME) en était arrivé à un pourcentage relativement plus élevé, de l’ordre de 16,2%. Dans le détail, il se décomposait comme suit: 14,6% pour les entreprises personnes morales; 16,3% pour les entreprises personnes physiques; 25,5% pour les auto-entrepreneurs.
Toutefois, l’OTPME relevait que les entreprises dirigées par des femmes ont effectivement vu leur nombre proportionnellement réduit, augmentant de 3% en 2021 après un repli de 3,3% en 2020. “Quand on est femme et qu’on souhaite entreprendre, on doit impérativement se battre plus,” estime M. Doukali, qui cite notamment comme frein à l’entrepreneuriat féminin au Maroc la question des mentalités.
Raisons familiales
Un postulat que confirme Mme Khadija Benazzi, professeure à l’École nationale de commerce et de gestion (ENCG) de la ville de Marrakech et qui a consacré de nombreuses études à la question au cours des dernières années. Selon cette dernière, la femme marocaine se retrouve tout d’abord à devoir concilier, dans le contexte culturel national, entre généralement vie professionnelle et personnelle davantage que son conjoint, dont le soutien est, pour Mme Benazzi, de toute façon essentiel dans la réussite de toute aventure entrepreneuriale dans laquelle elle voudrait s’engager. “D’après les études que j’ai menées, je puis vous dire que, malheureusement, une grande part des échecs que connaissent les femmes marocaines dans le domaine de l’entrepreneuriat sont consécutives à la désolidarisation dont elles peuvent faire l’objet eu égard aux tâches ménagères,” regrette Mme Benazzi.
Questionnée au même propos, Mme Doukali nous donne l’exemple des formations données par l’AFEM dans le cadre du programme NAWAT de l’Agence nationale pour la promotion des petites et moyennes entreprises “MarocPME”, dans lequel il y a une sorte d’obligation à toujours devoir élargir le nombre de femmes sélectionnées afin de ne pas se retrouver en deçà du seuil requis de dix participantes. En effet, notre interlocutrice confie que c’est de façon systématique que des femmes doivent zapper des parties des formations pour des raisons notamment familiales. “C’est comme si certains maris ne se sentaient pas concernés,” note Mme Doukali. Autre obstacle posé par l’entrepreneuriat féminin, l’accès au financement. D’après Mme Benazzi, la même problématique des mentalités mentionnée plus haut ferait que les bailleurs de fonds feraient par exemple moins confiance aux femmes qu’aux hommes, considérant qu’elles n’étaient pas en mesure de mener une entreprise.
Encouragement de l’entrepreneuriat
D’où l’impératif qu’il y ait des programmes étatiques ad hoc, au moins au niveau du lancement. A ce niveau, l’actuel gouvernement, dirigé par M. Akhannouch, ne consacre pas vraiment de volet “femmes” dans les projets d’encouragement de l’entrepreneuriat qu’il mène, même s’il faut dire que dans le cas d’Awrach notamment, 30% des bénéficiaires appartiennent, selon le bilan donné le 13 février 2023 par le chef de l’Exécutif, à la gent féminine. Aussi bien pour Mme Doukali que Mme Benazzi, la spécificité de la condition des femmes au Maroc devrait être entièrement prise en compte.
Elles insistent également toutes deux qu’un terreau favorable existe déjà, du fait de l’appétence indéniable de la femme marocaine pour l’entrepreneuriat: Mme Doukali cite notamment un fameux chiffre trouvé il y a quelques années par le cabinet Deloitte, selon qui 34% des Marocaines seraient disposés à entreprendre, contre 17% seulement en France. “Qu’elle soit jeune ou pas, instruite comme manquant de formation, urbaine comme rurale, la Marocaine est une entrepreneuse dans l’âme, et il faut certainement juste l’appuyer,” estime Mme Doukali. Celle-ci en sait elle-même bien quelque chose...