Le Maroc se félicite de la réconciliation des pays du Golfe

SOMMET DU CONSEIL DE COOPÉRATION DU GOLFE EN ARABIE SAOUDITE

C’est un difficile exercice d’équilibriste qu’à eu à faire ces dernières années le Maroc avec ses partenaires de la péninsule Arabique, scindé en deux camps depuis début juin 2017. A raison, car au final il ne se sera attiré les foudres de personne, alors que le processus de réconciliation est en bonne marche.

Satisfaction donc du Maroc par rapport à la réconciliation du Qatar avec ses voisins saoudien, émirati et bahreïni. Dans un communiqué rendu public ce 5 janvier par le ministère des Affaires étrangères, le Royaume “s’est”, ainsi, “félicité (...) de [cette] évolution”, qu’il a qualifiée de “positive”. “Le Maroc forme l’espoir que ces développements constituent le début pour la réunification et le rétablissement de la confiance mutuelle ainsi que pour dépasser cette crise afin de consolider l’unité au sein de la famille du Golfe,” poursuit le communiqué.

Le même jour, la ville d’Al-Ula, en Arabie saoudite, venait de donner lieu à la signature d’une déclaration conjointe par les six États membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), à savoir l’Arabie saoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Koweït, Oman et le Qatar, en plus de l’Égypte, en faveur de “la coordination et [de] l’intégration entre les États [du CCG] dans tous les domaines pour aboutir à terme à une union d’États”. La déclaration souligne également l’intention des États en question de “réaliser la sécurité, la paix, la stabilité et la prospérité dans la région [du Golfe] en travaillant comme un groupe économique et politique unique et unifié”.

Péril iranien
Symbole fort, c’est à coups d’accolades que l’émir Tamim du Qatar avait été accueilli à son atterrissage à l’aéroport Prince-Abdelmajid- ben-Abdelaziz d’Al-Ula par le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane. Pour en mesurer la pleine portée, il faut se rappeler qu’au moment du déclenchement de la crise, début juin 2017, dans le Golfe, on parlait, littéralement, d’un risque d’invasion militaire du Qatar par l’Arabie saoudite, les Émirats, Bahreïn et l’Égypte, ce qui avait amené l’émirat à faire appel à la Turquie pour que celle-ci dépêche, par anticipation, davantage de soldats chez lui -le contingent turc atteint désormais, au passage, les 5.000 hommes. À l’époque, le Qatar venait d’essuyer un blocus unilatéral de la part des pays concernés. En cause, ses liens avec la Société des Frères musulmans, qu’il est accusé de sponsoriser financièrement, mais aussi en lui offrant la tribune de sa chaîne satellitaire d’Al-Jazeera et des médias électroniques qu’elle contrôle indirectement que sont Arabi21, Rassd, Al-Araby Al-Jadeed et Middle East Eye.

Ainsi, l’Arabie saoudite et les Émirats surtout, on le sait, tiennent rigueur au Qatar d’avoir encouragé au cours du Printemps arabe, au début de la décennie précédente, la prise de pouvoir de partis proches, si ce n’est directement affiliés aux Frères musulmans, comme le fut le Parti de la liberté et de la justice (PLJ) en Égypte, afin d’étendre en même temps son influence dans la région -le Qatar accueille notamment, depuis son indépendance, une des figures tutélaires de la société en la personne de Youssef El Karadoui.

Querelle de voisinage
Ce qui, aux yeux de Riyad et Doha, a été de nature à mettre en péril leurs propres régimes, en ce qu’eux-mêmes doivent faire face à l’interne à une opposition d’inspiration «frériste». Mais la goutte qui a fait déborder le vase a, surtout, été le rapprochement du Qatar avec l’Iran, sur fond d’intérêts mutuels liés au gisement gazier de North Dome, qui chevauche leurs frontières maritimes communes. Ce rapprochement a notamment commencé à se manifester à partir de janvier 2014, lorsque le Qatar avait proposé à l’Iran de l’aider pour l’exploitation de la partie iranienne du gisement. Suscitant déjà, alors, un rappel par l’Arabie saoudite, les Émirats, Bahreïn et l’Égypte de leur ambassadeurs respectifs à Doha.

Car pour ces pays, l’Iran ne veut rien moins que faire passer la région sous sa coupe, de façon directe même en ce qui s’agit de Bahreïn qu’un des conseillers du guide de la révolution iranienne, Ali Akbar Nateq-Nouri, avait qualifié en février 2009 au cours d’une intervention publique de “quatorzième province” de son pays -par solidarité, le Maroc avait plus de cinq ans durant, de mars 2009 à décembre 2014, rompu tous ses liens diplomatiques avec Téhéran. En avril 2017, le Qatar allait payer à des milices chiites irakiennes réputées proches de l’Iran une somme estimée à 700 millions de dollars pour faire libérer 26 membres de sa famille royale kidnappés 16 mois plus tôt en Irak au cours d’une partie de chasse au faucon dans la province d’Al-Muthanna, et ceci allait accélérer les choses et conduire, quelques semaines plus tard seulement, à la rupture.

“Du Golfe à l’océan”
L’Iran figurait d’ailleurs dans le premier des treize points transmis le 23 juin 2017 à l’État du Qatar pour lever le blocus à son encontre et insistait ainsi sur le fait de “réduire les relations diplomatiques avec l’Iran”, de “fermer les missions diplomatiques iraniennes au Qatar”, d’“expulser les membres des gardiens de la révolution iraniens” et d’“interrompre la coopération militaire et de renseignement avec l’Iran”. L’Arabie saoudite, les Émirats, Bahreïn et l’Égypte ont également accusé Tamim d’avoir déclaré, le 23 mai 2017, que “l’Iran constitue une puissance islamique régionale qui ne peut pas être ignorée et qu’il est imprudent de s’y confronter”, mais le concerné a toujours nié, ces propos ayant seulement été rapportés par l’agence de presse Qatar News Agency (QNA) dans des dépêches que la communauté du renseignement américain croit faux et ayant fait suite à une opération de piratage -les mêmes dépêches qualifiaient, en outre, les Frères musulmans ainsi que l’organisation politique libanaise du Hezbollah de “mouvements de résistance légitimes”.

En tout cas, le Maroc, ne voulant pas se mêler à une pure querelle de voisinage et sur la base “des liens forts et de l’affection sincère unissant Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu l’assiste, et ses frères, les dirigeants des pays du golfe Arabique”, comme y a aussi fait référence le communiqué du 5 janvier du ministère des Affaires étrangères, avait dès le départ choisi d’adopter “une neutralité constructive”, sans toutefois “se confiner à l’observation passive d’une escalade inquiétante entre des pays frères” plaidait-il alors. De fait, le Royaume se disait “disposé à offrir ses bons offices en vue de favoriser un dialogue franc et global, sur la base de la non-ingérence dans les affaires intérieures, la lutte contre l’extrémisme religieux, la clarté dans les positions et la loyauté dans les engagements”, en même temps que quelques mois plus tard, en novembre 2017, le roi Mohammed VI brisait le blocus entre le Qatar et ses voisins en se rendant en avion depuis Abou Dabi, où il aura au total passé quatre jours pour une visite de travail et d’amitié aux Émirats, à Doha, où il restera finalement deux jours.

C’est que l’année précédente, le Souverain avait insisté dans un discours qu’il avait tenu dans la ville de Dariya, en Arabie saoudite, à l’occasion du premier sommet Maroc-Pays du Golfe, sur la nécessité de faire front commun contre les “complots visant à porter atteinte à notre sécurité collective”. “La défense de notre sécurité n’est pas uniquement un devoir commun, elle est une et indivisible,” avait-il, en outre, indiqué.

Sauf que du côté de l’Arabie saoudite d’abord, puis surtout des Émirats, cette “neutralité constructive” du Maroc allait être mal comprise et assimilée à un lâchage de la part du Royaume. La jeune génération proche de ben Salmane allait ainsi, sur les réseaux sociaux, multiplier les sorties anti-marocaines, avec notamment un des conseillers du prince héritier, Saoud El Kahtani, qui allait écrire sur Twitter en janvier 2018 que la libéralisation du dirham allait faire chuter la valeur de la monnaie nationale mais aussi celle des Marocaines -il accusera, par la suite, des pirates d’avoir usurpé son identité numérique.

Sorties anti-marocaines
Puis, ce sera principalement Tourki El Cheikh, président de l’Autorité générale des sports et du Comité olympique d’Arabie saoudite, qui s’activera à partir de mars 2018 pour que le Maroc soit privé de l’organisation de la Coupe du monde de football de 2020 au profit du Canada, des États-Unis et du Mexique, bien que la Ligue arabe ait font montre d’un soutien clair et net envers la candidature du Royaume au cours de son 29ème sommet tenu dans la ville de Dahran, en… Arabie saoudite. À peine évasif, M. El Cheikh laissera, ainsi, lui aussi sur Twitter le message suivant, “du Golfe à l’océan” (allusion à l’océan Atlantique, qui borde le Maroc): “Il y en a qui se sont trompés de boussole, la tanière des lions se trouve à Riyad, c’est là que se trouve le soutien, ce que tu fais c’est perdre ton temps, laisse le “micro- Etat” t’être utile!”

Bien sûr, l’ancienne génération, qui mesure pleinement l’importance de maintenir des relations fraternelles avec le Maroc, montera rapidement au créneau: l’ancien ambassadeur d’Arabie saoudite au Maroc, Abdelaziz Mohieddine Khouja, dénoncera par exemple à l’époque sur le média électronique Le Site Info “un débat stérile dont certaines parties profitent pour attiser la haine entre les peuples frères”. Mais rien n’y fera, même l’entrevue qu’auront le 10 avril 2018 le roi Mohammed VI et ben Salmane à l’hôtel La Réserve de Paris et documentée par le Premier ministre libanais Saâd Hariri, également présent ce jour-là, par une photo publiée sur les réseaux sociaux.

Réseaux sociaux
Quand, ainsi, ben Salmane voudra se racheter quelques mois plus tard auprès de l’opinion publique arabe de l’assassinat de l’opposant et journaliste Jamal Khashoggi au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, le 2 octobre 2018, le Maroc lui fermera tout simplement ses portes: M. Bourita le révélera lui-même en janvier 2019, dans une interview à Al-Jazeera, et invoquera une question de mauvais timing pour motiver la décision du Royaume. Ce que, à l’évidence, ne goûtera pas ben Salmane, puisqu’une semaine après l’interview de M. Bourita, la chaîne satellitaire Al-Arabiya, contrôlée par l’Arabie saoudite, diffusera une séquence de 1min45 présentant le conflit autour du Sahara marocain sous un jour favorable aux thèses algériennes, c’està- dire pro-séparatiste, culminant alors par un rappel de Mustapha Mansouri de son poste d’ambassadeur à Riyad. Et c’est, en fait, au même moment que se montreront également au grand jour les divergences avec les Émirats, puisqu’à la même occasion il sera aussi demandé à l’ambassadeur du Royaume sur place, à savoir Mohamed Aït Ouali, de rentrer à Rabat, le Maroc interprétant la séquence d’Al-Arabiya comme un tir conjoint à son encontre et non seulement une action isolée de l’Arabie saoudite.

D’ailleurs, dès mars 2019, M. Bourita, en marge d’une visite du roi Abdellah II de Jordanie au Maroc, parlera de “désaccords” avec Abou Dabi au sujet de la Libye, où la capitale émiratie soutient ouvertement l’Armée nationale libyenne (ANL) de l’autoproclamé maréchal Khalifa Haftar contre le gouvernement d’union nationale de Fayez El Serraj, né des accords de Skhirat du 17 décembre 2015. Et le mois suivant, c’est-à-dire en avril 2019, il se gardera de visiter, au cours d’une tournée, les Émirats, alors même qu’il se rendra dans les cinq autres pays du CCG, y compris l’Arabie saoudite.

Ceci dit, et contrairement à ce qu’il en est avec ben Salmane, le prince héritier d’Abou Dabi et véritable homme fort en fait des Émirats, Mohammed ben Zayed, n’a jamais pris les choses personnellement, comme l’illustrera le fait qu’il se rendra aussitôt en janvier 2020 au Maroc après avoir assisté à la Conférence de Berlin sur la Libye, en Allemagne, signifiant que s’il avait des vues stratégiques divergentes quant à la région, cela n’entamait en rien sa vision de ses liens personnels avec le Royaume et en particulier avec le roi Mohammed VI -qui lui rendra d’ailleurs, alors, visite à son lieu de résidence personnelle.

De fait, il ne fallait pas être surpris par la décision de ben Zayed, en date du 27 octobre, d’inaugurer un consulat au Sahara marocain et plus précisément dans le chef-lieu de la région, à savoir Laâyoune: elle fait, à ce propos, complètement sens, et il faut aussi se rappeler que s’il n’y a pas un alignement total en termes de vision politique, le Maroc reste tout de même lui aussi en opposition avec l’Iran depuis mai 2018, le régime iranien ayant appuyé par le biais du Hezbollah des entraînements militaires en faveur du mouvement séparatiste du Front Polisario.

Soutien aux séparatistes
La déclaration d’Al-Ula vient ainsi, au final, donner tout-à-fait raison au Maroc de n’avoir pris partie pour personne. Du côté du Palais, la conviction semblait prédominer que la crise entre les pays du Golfe ne saurait être que passagère, et il était surtout conscient du travail mené par feu l’émir Sabah du Koweït et son successeur depuis le 29 septembre, Nawaf, pour aplanir les choses entre, d’un côté, le Qatar, et, de l’autre, l’Arabie saoudite, les Émirats et Bahreïn, avec qui plus est le soutien appuyé des États-Unis, qualifié de “constructif” par le Royaume.

Le roi Mohammed VI avait d’ailleurs, à ce dernier égard, remercié le président américain Donald Trump pour son “rôle important”, au cours de leur appel téléphonique du 10 décembre 2020 ayant notamment débouché sur la reconnaissance par Washington de la souveraineté du Maroc sur son Sahara. Bien sûr, la crise n’est pas totalement terminée, comme semble l’illustrer l’absence de ben Zayed d’Al-Ula, puisque ce n’est que par leur vice-président et Premier ministre, Mohammed ben Rached, que les Émirats se sont fait représenter. Mais c’est sans doute de nature à amorcer un nouveau changement dans le Golfe, qui, tout compte fait, n’aura profité à personne, et ce “du Golfe à l’océan”, pour reprendre M. El Cheikh...

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