Le Maroc excédé par Macron : La rupture


En persistant à souffler le chaud et le froid, le locataire de l’Elysée a amené le Royaume à cesser tout contact officiel avec son pays. Les relations maroco-françaises se remettront-elles de son mandat?

C’est “pour tourner la page” que Christophe Lecourtier a, selon ce qu’il a luimême confié début février 2023 à un magazine de la place, été nommé à la tête de l’ambassade de France à Rabat. “Pas de bol pour lui, le verso est blanc,” sourit, narquois, une source officieuse marocaine à qui nous posons la question sur ce propos. Ce qui suscite ce commentaire chez notre interlocuteur, c’est bien sûr le statut de paria qu’est devenu, depuis plusieurs semaines, celui de M. Lecourtier. Comme l’a rappelé la lettre d’information “Africa Intelligence” dans un article publié le 21 mars 2023, ses échanges avec les responsables nationaux sont désormais quasiment inexistants.

Depuis fin janvier 2023, il n’en a en fait rencontré aucun d’une façon qui aurait été concertée, sauf lorsqu’il se trouvait qu’ils participassent aux mêmes événements (ce qui s’était produit le 18 février 2023 au cours de la cérémonie de remise des diplômes de la cinquième promotion de l’École centrale Casablanca (ECC), présidée par le ministre de l’Industrie, Ryad Mezzour, puis lors de la deuxième semaine du mois de mars 2023 au Congrès mondial de l’Union internationale des chemins de fer (UIC), tenu à Marrakech et auquel avait également pris part le ministre délégué chargé de l’Investissement, Mohcine Jazouli).

Relation historique
Le diplomate français n’a pourtant, depuis sa prise de fonction officielle le 27 décembre 2022, commis aucun impair connu; au contraire, les différentes sources consultées par Maroc Hebdo reconnaissent que son attitude a, jusqu’à présent, été irréprochable, et surtout à rebours de celle de son prédécesseur, Hélène Le Gal, dont le départ acté fin septembre 2022 avait été accueilli avec un satisfecit d’ampleur égale au paternalisme quasiment colonialiste dont elle se rendait régulièrement coupable tout au long de ses quelque trois ans de mandat.

“N’oublions pas que depuis son enfance il a l’habitude de venir au Maroc, où sa mère est née, et qu’il est donc plus au fait de la mentalité marocaine,” met en exergue une source. “Il sait qu’autant nous respectons la France et que nous chérissons la relation historique qui nous lie à elle, autant nous attendons la réciproque. Mais ce n’est pas, comme vous le savez, le cas de tous les responsables français.” Et c’est à un responsable français très particulier que, on l’aura deviné, la référence est faite; qui, bien sûr, d’autre qu’Emmanuel Macron?

Derrière l’attitude adoptée par la partie marocaine à l’encontre de M. Lecourtier, le locataire de l’Élysée est d’ailleurs clairement le principal visé. Ce que, visiblement, on lui reproche, son “ambiguïté”: c’est le roi Mohammed VI lui-même qui, dans son dernier discours de la Révolution du Roi et du peuple du 20 août 2022, avait eu recours à ce qualificatif, bien qu’il faille dire qu’il s’était gardé de désigner nommément M. Macron, sans doute pour ne pas complètement insulter l’avenir et laisser la porte ouverte à une détente.

Dans son discours, le Souverain pointait plus précisément le positionnement du président français vis-à-vis de la question de la souveraineté du Maroc sur son Sahara, sur laquelle il y a lieu de revenir, mais, depuis lors, les dossiers d’achoppement se sont entassés. Parmi ces dossiers, celui de l’affaire Pegasus, qui voit les services marocains continuer de faire l’objet d’une campagne à charge de la part du landerneau politico-médiatique hexagonal eu égard à une utilisation alléguée, mais toujours pas prouvée, de ce logiciel d’espionnage israélien à l’encontre de pas moins de 10.000 personnalités, incluant la propre personne de M. Macron.


Rencontre à Rabat entre Catherine Colonna et Nasser Bourita en décembre 2022.


Harcèlement judiciaire
Mais il y a aussi, par ailleurs, ce que, dans le point presse qu’il avait donné le 5 janvier 2023 à Rabat suite à ses entretiens avec le haut représentant de l’Union européenne (UE) pour les affaires étrangères, Josep Borrell, le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, avait taxé de “harcèlement judiciaire et médiatique continu”, à savoir celui consécutif aux soi-disant révélations sur les dessous de table que des eurodéputés auraient reçus de la part du Maroc pour faire avancer son agenda au niveau de Bruxelles (lire n°1471, du 27 janvier au 2 février 2023). Sur ce dernier dossier au moins, M. Macron ne peut nier que ce ne soit pas “le fait du gouvernement de la France”, comme il l’avait assuré lors de la conférence sur le partenariat avec l’Afrique animée par ses propres soins le 27 février 2023 à Paris.

Et pour cause: la résolution hostile du parlement européen à l’encontre du Maroc sur la situation de la liberté de la presse avait directement fait suite au lobbying mené par le groupe parlementaire Renew Europe, dont le président n’est autre que Stéphane Séjourné, ex-conseiller de M. Macron et, depuis le 17 septembre 2022, secrétaire général du parti présidentiel “Renaissance”. C’est d’ailleurs cela que s’était chargé de rappeler, par le truchement de l’hebdomadaire français “Jeune Afrique”, une “source officielle au sein du gouvernement marocain”.

Un rappel en bonne et due forme
“Le vote du parlement européen ne pouvait pas passer sans la mobilisation active du groupe Renew,” avait indiqué ladite source, qui avait par ailleurs soutenu que “l’implication des médias et de certains milieux français dans la genèse et la promotion de l’affaire Pegasus ne pouvait pas se faire sans une implication des autorités françaises”. Et, surtout, cette source avait affirmé que “les relations [bilatérales] ne sont ni amicales ni bonnes, pas plus entre les deux gouvernements qu’entre le Palais royal et l’Élysée”, après que M. Macron avait déclaré lors de la conférence précitée que “les relations personnelles sont amicales et le demeureront” avec Mohammed VI.

La charge avait, pour le moins, été violente et avait laissé à penser que plus que de simplement connaître une crise, les relations entre le Maroc et la France sont, en vérité, rompues. A cet égard, le Royaume ne dispose d’ailleurs plus d’ambassadeur à Paris. Nommé le 18 octobre 2022 directeur général du Fonds Mohammed-VI pour l’investissement, le précédent titulaire du poste, à savoir Mohamed Benchaâboun, avait finalement vu, trois mois plus tard, Mohammed VI mettre fin à ses fonctions, et ce le jour même que le vote “incriminé” du parlement européen, c’est-à-dire le 19 janvier 2023.

Loin d’être, à l’évidence, un simple hasard du calendrier. “C’est un rappel en bonne et due forme,” assure une de nos sources, qui ajoute, ironique: “Mais nous ne faisons, en somme, que nous inspirer des méthodes françaises”. Par là, cette source renvoie à la façon dont Mme Le Gal était partie, puisqu’entre le moment où celle-ci avait pris la charge de la direction générale pour la région MENA au Service européen pour l’action extérieure (SEAE), raison qui avait été officiellement invoquée, et l’arrivée de M. Lecourtier, plus de trois mois s’étaient écoulés. Et de nombreuses parties marocaines y avaient vu un rappel qui n’avait seulement pas dit son nom.

Charge violente
Mais si tel a été le cas, qu’est-ce qui se serait passé à ce moment pour provoquer une telle décision de la part de M. Macron, étant donné que pour le Sahara marocain et Pegasus, les inimitiés datent par exemple de bien longtemps avant? Beaucoup croient en fait qu’il se serait agi d’une réaction à retardement au discours de la Révolution du Roi et du peuple qui avait donc appelé les “partenaires, traditionnels ou nouveaux”, dont bien évidemment la France ne peut que faire partie, à ce “qu’ils clarifient et revoient le fond de leur positionnement” vis-à-vis de l’intégrité territoriale du Maroc.

Et c’est dans le même sens que fin août 2022, M. Macron, qui venait alors d’effectuer une visite de trois jours en Algérie, aurait voulu humilier les autorités marocaines en annonçant un déplacement officiel à Rabat par le biais d’un simple échange qu’il avait eu avec des passants qui l’avaient apostrophé en marge du Touquet Music Beach Festival (alors qu’il avait parlé de “fin octobre” 2022, il n’a à ce jour, soit dit en passant, pas encore foulé le sol marocain). Mais une autre source met, ceci dit, tous ses éléments sur le simple compte de la gaucherie du concerné, incapable selon elle d’apprécier l’impact de ses différents agissements.

Source de raillerie
“C’est quelqu’un qui manque d’empathie, tout bêtement à mon avis, et les Français eux-mêmes en sont les premières victimes comme le démontre par exemple la polémique actuelle sur la réforme des retraites,” expose-t-on. Sans compter, en outre, le “en même temps”, une des expressions que M. Macron aime à utiliser au point qu’elle est devenue une source de raillerie parmi ses compatriotes, et qui se traduit, concrètement, par un comportement la plupart du temps caméléonesque.

Il en va d’ailleurs du dossier du Sahara marocain: d’un côté, il a au minimum laissé “Renaissance”, à l’époque encore appelé La République en marche (LREM), se doter en avril 2021 d’un comité local à Dakhla -ce que confirme le fait qu’il a toujours, depuis lors, pignon sur rue-, mais de l’autre côté il a envoyé son ministre délégué chargé de l’Europe, Clément Beaune, au casse-pipe au parlement pour “regrette[r]” la décision afférente. “Mais il n’y a pas que cela,” insiste une source. “Revenez par exemple à ses visites au Maghreb. Pour contenter à la fois Rabat et Alger, il était d’abord venu au Maroc dans un cadre qu’il avait qualifié de privé -on se demande bien en quoi il est privé de se déplacer dans un autre pays surtout que vous en rencontrez le chef de l’État-, avant de se rendre quelques mois plus tard en Algérie pour une “visite officielle”. Les Algériens sont peut-être dupes et, de toute façon, cela ne regarde qu’eux, mais pas nous.”

Même au niveau du Palais, on serait devenu, au fur et à mesure, excédé par les manières de M. Macron. La réponse au vitriol livrée à “Jeune Afrique” tendrait à confirmer cela. Mais il y a eu également la lettre de félicitations plus que laconique envoyée par Mohammed VI à M. Macron à l’occasion de sa réélection le 24 avril 2022. Au total, le message n’avait comporté que deux paragraphes; ce qui est beaucoup moins que celui autrement consistant de 2017, que la dépêche de l’agence Maghreb arabe presse (MAP) avait à elle seule reproduit sur neuf paragraphes de plusieurs phrases chacun. Selon ce que l’on croit comprendre, le Maroc attend de toute façon désormais patiemment la fin du présent mandat de M. Macron, même si cela dure, en principe, encore jusqu’en 2027.

Ainsi, sur le sujet central du Sahara marocain par exemple, il ne donne pas l’impression d’être disposé à fléchir, si l’on se base en tout cas sur ce qu’il a dit le 2 mars 2023 au Gabon, où, chose intéressante, se trouvait au même moment Mohammed VI en séjour privé (mais un vrai celui-là): “On semble encore aussi attendre d’elle des positionnements qu’elle (la France, ndlr) se refuse à prendre et je l’assume totalement. Au Gabon comme ailleurs, la France est un interlocuteur neutre qui parle à tout le monde et dont le rôle n’est pas d’interférer dans des échanges politiques intérieurs.” Dont acte.

D’ici le départ de M. Macron de l’Élysée, le Maroc poursuivra, quoi qu’il en soit, son bout du chemin avec ses partenaires qui, eux, ont choisi d’emprunter la voie de la clarté, et si M. Lecourtier doit encore s’éterniser au 1, rue Ibn Hajar, où se trouve le siège de l’ambassade de France à Rabat, on espère pour lui qu’il trouvera de quoi s’occuper pour ne pas se contenter de se tourner les pouces...

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