Maroc-Espagne: Le Rubicon est franchi

La crise migratoire en cours dans le préside occupé de Sebta n'est que le résultat logique de la duplicité du gouvernement espagnol. Madrid doit assumer la conséquence de ses manigances avec la junte algérienne pour recevoir sous une fausse identité diplomatique le chef du Polisario.

Des dizaines. Puis des centaines. Et même des milliers. Ce lundi 17 mai 2021, les autorités coloniales espagnoles de Sebta ne savaient littéralement plus où donner de la tête, à mesure que les migrants affluaient sur la ville. À la tombée de la nuit, elles décomptaient déjà quelque 3.000 âmes, qui allaient même atteindre un nombre deux fois et demi plus élevé -un peu moins de 8.000 personnes- dès le lendemain. Ce qui, rapporté à la population vivant sur le territoire concerné, de l’ordre de 84.000 habitants, en faisait une véritable déferlante. Madrid allait même finir, dans les 24h, par décider le déploiement de son armée, dont les images ont fait le tour du monde alors que ses éléments se trouvent dispersés tout au long des plages de sable fin sebties et ce jusqu’aux grilles de fer situées à la lisière du territoire marocain, où des milliers d’autres candidats attendaient leur heure pour essayer eux aussi de passer entre les mailles.

Parmi ces candidats, une majorité apparente de mineurs, dont “l’avantage” pour eux et qu’ils ont la possibilité de ne pas être expulsés et de pouvoir, éventuellement, se constituer des papiers de résidence en Espagne et donc dans l’Union européenne (UE), promesse d’un devenir hypothétiquement meilleur, du moins matériellement, que dans le pays natal: ainsi en décide la législation sur le Vieux Continent.

Montrer les muscles
De quoi donner bien du grain à moudre aux théoriciens du “grand remplacement” et de l’“Eurabia”, qui de Bruxelles au bord de l’Oural s’en sont d’ailleurs donnés à coeur joie pour dénoncer une “invasion” -terme qu’utiliseront particulièrement, au cours d’une manifestation tenue dans la journée du 18 mai 2021 non loin de l’ambassade du Maroc à Madrid, où le drapeau marocain a notamment été brûlé, des membres d’un groupuscule néofasciste dénommé la Jeunesse phalangiste, se revendiquant de l’héritage du mouvement de la Phalange espagnole de José Antonio Primo de Rivera. Quoique pour la grande majorité de la classe politique européenne et en particulier, bien sûr, espagnole, ce qui importait le plus, c’était l’angle politique marocain de la crise: comment se pouvait- il que Rabat ait lâché du lest et laissé faire tous ces migrants, dont en général elle fait en sorte, en dépit de son refus maintes fois formulé d’être le “gendarme de l’Europe”, d’empêcher tout mouvement de traversée irrégulière des frontières? Était-ce vraiment une tentative d’“intimider ou [de] faire chanter l’UE”, comme l’a avancé le vice-président de la commission européenne, Margaritis Schinas? Et plus exactement, une réaction à l’accueil par l’Espagne, depuis le 21 avril 2021, du secrétaire général du mouvement séparatiste sahraoui du Front Polisario, Brahim Ghali, soi-disant pour des “considérations humanitaires” -dixit la ministre des Affaires étrangères espagnole, Arancha Gonzalez?

A l’évidence, oui, dans la mesure où, dès le 30 avril 2021, et ce par le biais d’une interview publiée par l’agence de presse espagnole EFE, le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, avait averti que le Maroc refusait tout partenariat qui serait “à la carte”, c’est-à-dire qu’en matière justement de migration irrégulière ou encore de lutte contre le terrorisme le Royaume compterait, avant de “sortir de l’écran du radar” dès lors qu’il s’agirait par exemple de questions telle celle du Sahara marocain, où l’on voit donc la voisine ibérique “comploter” avec la junte algérienne contre l’intégrité territoriale nationale -et ce “au plus haut niveau”, indiquait le 26 avril 2021 le quotidien La Razon, qui avait assuré que c’était le président du gouvernement espagnol en personne, à savoir Pedro Sanchez, qui avait donné son feu vert au transfert so us une fausse identité diplomatique algérienne de M. Ghali, atteint de Covid-19, en Espagne, de sorte à lui permettre d’échapper à la justice du pays qui le poursuit depuis novembre 2016 pour crimes contre l’humanité, tortures, génocide et séquestration.

Réponse du berger à la bergère
Le 18 mai 2021, l’ambassadrice du Maroc à Madrid, Karima Benyaich, rappelée, au passage, dans la foulée par le Palais, confirmait à Mme Gonzalez, qui l’avait convoquée dans ses bureaux pour lui exprimer le “mécontement” de son gouvernement, qu’il s’agissait bel et bien là de la réponse du berger à la bergère du Maroc, lequel estime qu’il est “des attitudes qui ne peuvent être acceptées”. Avant que sur sa page Facebook, le ministre d’État chargé des Droits de l’Homme, Mustapha Ramid, ne soit plus explicite en revendiquant, le même jour, le droit du Maroc à “laisser dépasser son pied”, c’est-à-dire à montrer les muscles.

Le temps des négociations
Était-ce la bonne réaction à adopter? Moralement à coup sûr non, car comme beaucoup l’ont rappelé, et ce en réponse même à la publication de M. Ramid, le Maroc n’avait pas à sacrifier des milliers de ses mineurs, qui sont autant de forces vives à chérir et le véritable trésor, in fine, du pays, et son avenir. Et le fait, plus généralement, de montrer qu’en deux jours seulement 8.000 Marocains en pleine possession de leurs moyens étaient prêts à tout pour échapper à leur pays, quitte à subir les coups de matraque de l’armée espagnole, n’est pas vraiment porteur d’espoir et pour faire croire surtout à la jeunesse qu’elle n’a pas nécessairement besoin de se rendre sous d’autres cieux pour s’accomplir.

Pour ainsi dire, et sans pour autant délégitimer les raisons de la colère marocaine, il est sans doute plus que temps d’organiser cette fameuse réunion de haut niveau Maroc-Espagne que l’on reporte systématiquement depuis le mois de décembre 2020, de s’asseoir à la table des négociations et tout aplanir, définitivement.

Plus que des voisins, les deux États forment une véritable communauté de destin, avec à leur tête deux monarchies pluricentenaires qui après les guerroiements de l’époque de la Reconquista ont établi au fur et à mesure, au cours du XXe siècle, des liens quasiment personnels -le roi Felipe VI d’Espagne tenterait d’ailleurs une médiation avec le roi Mohammed VI, dont on peut dire que, au-delà de leur statut de monarques, il est un ami d’enfance-, et leurs relations bilatérales se doivent de rester à cette hauteur.

Et ici la pierre est à jeter principalement au gouvernement Sanchez, car le Maroc a, toutes ces années durant, été un partenaire plus que fidèle, se levant même contre le séparatisme en Catalogne alors qu’il pouvait bien en jouer pour extorquer des positions qui lui sont favorables -la condamnation du référendum catalan du 1er octobre 2017 avait d’ailleurs été claire et nette de la part de Rabat.

Si, aujourd’hui, la Moncloa tient vraiment à être en bons termes avec le Maroc, qu’elle cesse d’abord de protéger M. Ghali, qui en plus de trahir son pays en échange des subsides algériens est, comme l’a rappelé M. Bourita à EFE, un “violeur”. Concrètement, qu’elle n’entrave plus le cours de la justice, et si celle-ci finit par estimer que M. Ghali est innocent -ce qui sera difficile, car les preuves à son encontre sont plus qu’irréfutables-, Rabat en prendra seulement acte.

Et aussi, qu’elle soit transparente: on ne peut pas accepter qu’à chaque fois un prétexte soit exploité pour légitimer ce qui n’est absolument pas légitime. Ici donc la maladie de M. Ghali; là en fait, quand des membres du parti Podemos prennent fait et cause pour le Polisario alors même qu’ils figurent dans le même gouvernement, ils n’exprimeraient que leurs voix personnelles: argument sorti quand, fin février 2020, le secrétaire d’Etat aux Droits sociaux, Nacho Alvarez, a accueilli au siège de son département la soi-disant “ministre” sahraouie des Affaires sociales et de la Promotion de la femme, Souilma Birouk, et quand, quelques mois plus tard, le vice-président même du gouvernement, Pablo Iglesias, s’est opposé à l’opération du 13 novembre 2020 des Forces armées royales (FAR) dans la zone de Guergarat.

Amateurisme politique
N’était-ce également que la voix personnelle de Mme Gonzalez quand celle-ci avait manifesté, le 15 décembre 2021, son opposition à la décision prise cinq jours plus tôt par le président américain Donald Trump de reconnaître la souveraineté du Maroc sur son Sahara et de souhaiter que le successeur de M. Trump, à savoir Joe Biden, fasse machine arrière aussitôt investi?

C’est peut-être de la politique, mais c’est d’abord et surtout de l’amateurisme, et on ne peut résolument continuer de discuter sur ces bases. Et la critique qu’on peut faire au gouvernement Sanchez vaut également pour de nombreux autres pays européens, à commencer bien sûr par l’Allemagne, avec qui une crise couve depuis le 1er mars 2021.

Dans une dépêche publiée ce 19 mai 2021, l’agence Maghreb arabe presse (MAP) a parfaitement résumé la situation: “La nouvelle réalité géopolitique impose soit une reformulation, responsable et pragmatique, des alliances et des rapports stratégiques avec nos partenaires traditionnels ou, carrément, les errements espagnols poussant vers cela, de changer de partenaires et de construire de nouvelles alliances plus loyales, plus crédibles, moins mâtinées de mépris colonial du 19ème siècle, et, surtout moins hypocrites”, pouvait-on lire sur son fil. Que les concernés en prennent de la graine...

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